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Arbre en colère, arbre attristé, arbre aimant ses amis 

Poèmes de Shizue Ogawa traduits de l’anglais par Michèle Duclos

jeudi 14 septembre 2017, par Shizue Ogawa

En nous tenant tout droit, nous pouvons devenir arbre. Quand nous entrons dans la forêt, nous y trouvons beaucoup d’amis. Il y a aussi des arbres en colère dans la forêt mais ils ne sont pas nombreux. Et il y a des arbres attristés par la solitude, mais ceux qui aiment leurs amis sont plus nombreux. Des voix résonnent en moi quand je touche un arbre. Tout un monde me parle en se balançant dans le vent et me dit : « Écoutez mon histoire. »
Je suis un arbre. Les arbres m’aiment. Ils peuvent se muer en moi. Allons dans la forêt, aussi loin que possible. Parlons de notre famille aux arbres en leur demandant leur nom. Les arbres nous montrent des bébés écureuils qu’ils protègent sous leurs bras. Des chenilles qui se cachent dans leur écorce nous disent « bonjour ! » tandis qu’un pic-vert nous chante une berceuse du soir. Des branches font leurs adieux : « Au revoir, au revoir. Revenez nous voir demain. » Vous voyez, nous ne sommes pas seuls.


Arbre en colère

L’arbre en colère
 
Près des rails il y avait un arbre en colère
qui portait des excroissances tumorales sur son tronc.
L’arbre était là à écouter les trains,
ses branches, courbées en forme de coude, pointaient leurs ongles vers le ciel.
Chaque articulation était pleine de colère
dans le champ printanier d’astragales de Chine
à côté d’une route illusoire qui se prolongeait en arc-en-ciel.
 
Une lumière était réfléchie par la surface du champ.
Des rayons se projetaient dans les yeux.
L’arbre en colère était solitaire
dans le soleil printanier.
Il était là sans donner ni bourgeons,
ni pousses, ni fleurs.
Des globules ronds de sève sortaient des excroissances.
Les branches noires pendant à angles aigus
révélaient le pouvoir de l’arbre.
 
Ah ! Le rêve ondoyant de l’arbre, comme des vagues de chaleur !
L’arbre ne souhaite pas toujours rester là en colère
et aborde tranquillement le jour à venir.

La vérité sur un arbre
 
Je ne sais pas pourquoi cet arbre était triste,
et toujours un arbre d’hiver.
Bien que ses racines fussent vivantes, l’arbre était desséché,
et ses feuilles et ses baies l’avaient déserté.
Le tronc faisait face au vent et devenait plus sec.
Les pluies de la montagne ne mouillaient pas l’écorce,
Et les gouttelettes glissaient jusque dans la vallée.
Elles gelaient et créaient du froid à nouveau.
L’arbre avait un secret.
Il cachait des images à l’intérieur.
 
Sûrement l’eau est trop froide.
Bien que ce fût un arbre triste
et un arbre d’hiver
il poussait perpendiculairement à la pente.
La neige sur le sommet craquait parfois
et cherchait des veines d’eau.
Depuis les racines de l’arbre 
jusqu’à celles d’autres arbres il cherchait un passage.
Avec de l’eau de neige
les racines faisaient des pigments.

Arbre attristé

L’arbre
 
Les jours de pluie
asseyons-nous à côté de la fenêtre et dessinons un arbre –
les branches courbes bien courbées
et le tronc droit bien droit.
 Le tronc de l’arbre vu de ma fenêtre
est noir et humide.
 
Les jours sans vent
il est immobile, comme une image.
Tapant l’écorce de leurs antennes,
des insectes rampent vers le bout des branches.
Familier de leur chemin,
l’air ne bouge pas.
 
L’arbre se dresse à l’extérieur de ma fenêtre.
La nuit je le regarde.
Quand il oscille dans le vent
je murmure aux branches,
« Qu’il est plaisant d’être un arbre ! »
 
Même les nuits sans lune, l’arbre luit.
Des esprits de la nature s’approchent attirés par l’odeur émise par l’écorce.
Puis ils appliquent leurs oreilles sur le tronc
et écoutent la montée de la sève.
L’arbre leur dit,
« Juste une fois
J’ai désiré me déplacer.
J’ai désiré revenir sur mon sol natal. »

Embarras des feuilles

Regarde ! Voici un arbre qui a une forme inhabituelle,
un arbre qui a changé sa manière de vivre au mitan de sa vie.
Cachant des veines variqueuses violettes, ses racines se retirent dans le sol.
Voyez-les se crisper comme des poings alors qu’elles étreignent le sol.
Bien qu’elles absorbent de l’eau pure,
il y a une tache rouge sur le tronc.
L’arbre se gratte en se dénudant au vent, tu sais !
 
« Quand tu vois l’arbre, as-tu envie d’écrire un poème ? »
demanda un homme près de moi.
Oui, j’en ai réellement envie.
Tiens, une branche pousse vers le sol depuis le milieu.
Tous ceux qui la voient veulent offrir une parole aimable.
Essaye de mettre ton oreille sur la courbe de la branche.
Elle parle, tu sais.
« Pourtant, ce sera dur pour l’arbre. »
Qu’est-ce qui le sera ?
« Sa vie, à partir de maintenant. »
« Pourquoi ? »
« Que sont censées faire les feuilles ? »
Elles pousseront en regardant vers le sol.
Cela est-il étrange ? 

Arbre aimant ses amis

Le pin parasol chinois
 
Tu te tiens dans l’ombre des feuilles d’un pin parasol chinois –
en un temps ordinaire, 
dans les trainées de brume matinale.
Il n’y a pas encore de nuages,
pas de vent.
Seules les choses à demi transparentes, communes,
remplissant l’espace alentour.
 
Un vieux bâtiment s’aperçoit dans le lointain.
La terre est couverte de mousse
où l’arbre dresse,
fier et libre, son tronc lisse et blanc.
Là, sous lui,
ne regarde rien
jusqu’à ce que je vienne.
 
Il y a peu les nuages ont dérivé au loin –
les nuages proches rapidement,
ceux dans le lointain lentement.

Nos jours et nos années
ont semé des graines humides, fertiles
parmi les racines de l’arbre.
Les feuilles tombées de l’année dernière n’ont pas encore pourri
et respirent là à tes pieds
dans l’humidité de la brume matinale.
 
Les jours et les années sont devenues des particules grossières,
plus lourdes que l’air,
pourtant elles ne tombent pas sur le sol.
Parmi les feuilles,
juste à l’endroit que toucherait ta main tendue,
demeurent leurs formes toujours familières.
 
Les jours que nous avons toujours chéris,
la vie ordinaire que toi et moi aimons,
sont devenus des couches nombreuses de lumière chatoyante
dans les trainées vert pâle de brume matinale.

Note de l’auteur :
La première version française de ce poème a été publiée dans Une âme qui joue – Le cercle, publié à Paris en 2012 aux éditions Caractères, collection Planètes. (Traduction du japonais de Véronique Brindeau.)

Sous le lilas
 
Irons-nous écouter les insectes ?
Allons-y ensemble,
un peu plus tôt dans la saison.
Il est agréable de les écouter dans la journée
mais encore plus la nuit.
L’odeur de l’herbe, les chants affairés des insectes…
Ah, ce fut une bonne journée, n’est-ce pas ?
 
Quand je t’ai demandé le nom de cet arbre,
Tu as dit que tu ne savais pas.
Mais nous assiérons-nous, côte à côte, sous ses branches ?
 
« Écoutons le changement dans les voix des oiseaux » proposé-je,
levant les yeux de temps à autre vers le ciel nocturne
à celui qui m’a dit plus tard
que l’arbre était un lilas.
« Comme les étoiles sont nombreuses dans le ciel ! », dis-je.
 
Dans la soirée, pourquoi ne pas terminer ton travail un peu plus tôt
et venir écouter les insectes
avec quelqu’un proche de toi,
dans le champ d’herbe le plus proche ?
Un lieu où il y a des arbres
est meilleur pour écouter.
Bien que l’obscurité
vienne entre toi et moi,
c’est ce qui me parait si merveilleux. 

L’amitié du calebassier
 
Le calebassier
portait des baies.
Beaucoup de petites
baies en forme de gourdes.
Les baies en forme de gourdes
aimaient leurs amis.
Elles étaient heureuses
se balançant dans le vent –
baies mystérieuses
qui joignent les mains si facilement.
 
L’amitié des petites baies du calebassier
nous réconforte dans nos chagrins.
La lumière passe à travers
la peau des baies du calebassier et on peut voir l’intérieur.
Les bonnes graines amies peuvent être vues à l’intérieur.
Nos cœurs
sont apaisés quand nous voyons les baies.
C’est bon de vivre comme elles.
 
Comme je marche
portant mon sac dans la grande ville,
même les nuits où souffle un vent solitaire 
Les petites baies en forme de gourdes dans mon cœur
se balancent comme des cloches.
Elles s’approchent de leurs amis si facilement.
Oui, c’est bon de vivre comme elles.

L’arbre tordu
 
C’est le seul arbre qui ne pousse pas droit.
Il se tord en direction du champ de riz sous l’eau.
Une maladie nerveuse rend ses membres rigides.
Le tronc sent avec révolte ses jambes s’enfoncer dans le sol,
donnant à l’arbre un air de défi.
 
Quand le vent soufflait
les autres branches caressaient avec tendresse celles qui souffraient.
Prise dans une branche d’un arbre proche il y avait une ficelle noire.
L’observant qui se balançait, l’arbre tordu 
se demanda si elle se sentait seule.
 
Aucun autre arbre ne levait les yeux d’un lieu si bas.
L’arbre se demandait pourquoi tous les autres arbres étaient si droits.
D’une oreille, il pouvait entendre les battements de la terre
et de l’autre, écouter les chants du ciel.
L’arbre avait le cœur pur.
Les enfants aimaient marcher sur son tronc tordu.
 

Enfants dans une forêt verte dense
 
Au profond d’une forêt
il est rare pour un ginkgo de prendre racine.
« Mais regarde ! Une pousse ! »
« Viens ! Tiens-toi près d’elle ».
« Prenons des photos ! »
Les enfants sont debout alignés.
Les abeilles vertes furent surprises
et sortirent de leur ruche.
Doucement. Tranquillement.
Ne contrariez pas les abeilles.
 
Ils prirent des photos à nouveau l’année suivante.
Le ginkgo grandissait plus vite que les enfants.
Mais l’année suivante sûrement ce seront les enfants.
« Avec des pommes de terre,
des potirons,
et des pousses vertes de soja dans nos mains,
prenons des photos près du ginkgo. »
Dans l’ombre de roses trémières lointaines
le dos de leur grand-mère bouge.
« Venez ! Voyez qui est le plus grand ! »

Forêt de Belgique, forêt de poètes 
 
Plantons des arbres dans la forêt de Belgique.
Plantons-en beaucoup, amis poètes.
Debout dans le vent, chantons nos chants.
Les peupliers sont des sopranos.
Les chênes, des basses.
 
Rassemblez-vous avec vos instruments et jouez.
Frappez tout
ce qui donne un son.
Poètes, tous.
Amis, tous.
 
Apportez le sol de vos pays.
J’apporterai l’eau de l’Asie,
et en la versant, nous nourrirons les arbres.
Dans la forêt de Belgique,
faisons pousser une luxuriante forêt de chant.
 
Les arbres en chantant étendent leurs branches au loin
et joignent les mains.
Poètes ! Regardez vers le ciel et chantez –
les chants de votre pays,
les chants forestiers de votre pays bien-aimé.

Note de l’auteur :
Ce poème a été composé après que Shizue Ogawa eut reçu une première invitation, régulièrement renouvelée, pour la Biennale Internationale de Poésie de Liège en 2005, en remerciement pour la Belgique.

Un ginkgo 

Tu jouais sous un ginkgo,
ramassant les feuilles tombées pour me les donner.
Les feuilles dorées rassemblées sur ma poitrine,
je les envoyai vers le ciel,
et vis pour la première fois un motif.
Alors les nuées se firent plus proches.
 
Tu te défis des feuilles qui collaient à tes gants,
les branches de l’arbre chantaient des mélodies de flute,
un vent avide secoua le ginkgo de ses mains,
précipitant les feuilles
dans l’obscurité
et le froid.

Le vent joua une mélodie mélancolique,
les feuilles tombées émirent un cri en touchant le sol.
« Ne nous emporte pas. »
Comme tu me regardais tes yeux sourirent,
« Laisse-moi partager avec toi une récit effrayant. »
Je fis voler les feuilles mortes très haut,
pour qu’elles collent davantage
à tes gants de laine l’année prochaine.

P.-S.

Tous les poèmes ont été traduits à partir de la version anglaise élaborée par Shizue Ogawa. Les dessins sont tous de l’auteure.

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