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Aristote, le premier moteur et l’énergie universelle 

jeudi 21 septembre 2017, par Jean-Jacques Micalef

Aristote démontre dans la Physique qu’il est nécessaire qu’il existe un Premier Moteur immobile qui cause le mouvement de tout l’univers. L’argumentation a comme premier fondement le principe de causalité qui, appliqué au mouvement peut être formulé de la façon suivante : Tout mû est nécessairement mû par quelque chose. (Physique, VII, 1, 241 b )
À partir de cette évidence, Aristote monte rigoureusement jusqu’à prouver l’existence du Premier Moteur immobile : si tout ce qui est en mouvement est mû par un autre, si cet autre est aussi en mouvement, il doit être mû par un autre à son tour. Mais pour expliquer l’existence de n’importe quel mouvement il faut arriver à un principe moteur qui n’est pas mû. Il serait absurde de penser que l’on puisse remonter d’un moteur mû à un autre moteur mû lui aussi, jusqu’à l’infini : le processus à l’infini n’expliquerait rien. S’il en est ainsi, il doit avoir, en plus des moteurs qui causent les mouvements particuliers et qui sont mus à leur tour, un Principe absolument immobile et premier, qui cause le mouvement de tout l’univers. Sans lui, rien ne pourrait se mouvoir. En plus d’être immobile, le Premier Moteur est éternel, car si son existence avait un commencement, il aurait besoin d’une cause. D’autre part, d’après Aristote, l’éternité du mouvement de l’univers manifeste l’éternité du Premier Moteur (voir ici). 
Aristote aboutit à ce paradoxe difficilement acceptable pour la physique actuelle et la relativité : le mouvement a pour origine une première cause qui se doit d’être immobile. En termes plus modernes on traduit Aristote en affirmant que tout objet en mouvement détient son énergie d’autre chose que lui-même. Cette affirmation est à l’origine du principe de conservation de l’énergie selon lequel l’énergie totale d’un système isolé est invariante au cours du temps, l’énergie totale initiale du système isolé est égale à l’énergie totale finale ; l’énergie passe d’une forme à une autre durant le déroulement du phénomène, sans création ni disparition d’énergie.
Mais si on applique ce principe à l’ensemble de l’univers, on s’aperçoit qu’aucun système n’est isolé, ce qui se perd dans une partie de l’univers passe à une autre partie, ce qui implique que l’énergie universelle est finie. Les transferts d’énergie ne s’effectueraient qu’entre corps en mouvement sans que jamais nous puissions déterminer une cause première : « si tout ce qui est en mouvement est mû par un autre, si cet autre est aussi en mouvement, il doit être mû par un autre à son tour ». L’énergie peut alors se transmettre indéfiniment et il est inutile de chercher un premier moteur qui serait lui immobile : telle est la conception contemporaine issue de la relativité selon laquelle tout est mouvement, il n’y a pas un principe premier d’inertie, le mouvement se mesure à partir d’un étalon premier qui est celui d’une vitesse, celle de la lumière.
Cette conception relativiste du mouvement aboutit à un modèle clos d’énergie finie selon lequel les échanges d’énergie ne s’effectuent qu’entre objets physiques. Elle occulte délibérément la question de la cause, de l’origine du mouvement universel, celle du premier moteur d’Aristote, dont on peut très bien se passer si on conçoit la science physique comme excluant a priori les délibérations métaphysiques.

Cependant, les physiciens relativistes se trouvent devant une aporie : cette énergie se conservant indéfiniment, il a bien fallu qu’elle surgisse le jour de la création de l’univers qui est celui du big bang. Pour initier la mise en mouvement de toute la matérialité de l’univers, il a bien fallu qu’existât une « réserve quelque part », laquelle ne pouvait être elle-même en mouvement puisqu’il s’agit du phénomène mettant l’univers en action. Et ce quelque part ne peut être situé ailleurs que dans l’univers lui-même puisqu’on ne saurait concevoir une sorte « d’arrière univers ». Dés lors, nous retrouvons pleinement l’argument d’Aristote de l’impossible régression à l’infini des causes nous contraignant à nous arrêter à une cause première origine du Tout. Cette cause première du mouvement ne saurait être en mouvement et ne peut donc être que parfaite immobilité.

Mais c’est ici que l’argumentation d’Aristote nous ouvre un précipice : comment physiquement imaginer que le principe d’inertie initial soit à l’origine du mouvement ? Car il nous faut raisonner en termes physiques relatifs à un objet physique et non pas renvoyer la question à une méta-physique évanescente, au domaine des dieux et des religions. Nous devons concevoir un objet physique dont la caractéristique est d’être inerte mais présent, présent de toute éternité et donc incréé puisque ne pouvant naître d’un ailleurs que lui-même au risque de retomber dans la régression infinie d’Aristote. Cet objet recherché ne saurait être la matière ou les ondes puisque leur propriété est d’être en mouvement, de le recevoir et le transmettre. Existe-t-il « autre chose » que la matière dans l’univers qui détiendrait des propriétés différentes telles qu’on puisse assez radicalement les distinguer ? Cet autre que la matière ne peut être que l’espace lui-même dont on remarquera qu’il est le « lieu » du mouvement qu’il accueille et le rend possible, puisqu’un mouvement sans espace est un non sens. Or l’espace qui permet la translation des corps ne saurait être lui-même en mouvement, c’est un lieu immobile par excellence. Mais être absolument inerte suppose qu’il s’agisse d’un état de quelque chose qui existe car un néant d’être n’aurait même pas la faculté d’être sans mouvement. Il faut donc qu’il soit composé d’une substance et que celle-ci emplisse tout l’espace de sorte que contenant et contenu se confondent et qu’il soit impossible de penser l’espace comme cadre vide d’un côté, que l’on remplirait d’une substance distincte de l’autre comme ce fut le cas pour l’éther.

Ainsi, une substance composant l’espace mais différente de la matière, est par sa nature même, pure immobilité. Comment peut-elle être à l’origine du mouvement et constituer ainsi le premier moteur immobile tel que l’a entrevu Aristote ? Mais par premier moteur il nous faut entendre l’origine du mouvement et donc de l’énergie et puisque toute matière est en mouvement et contient ainsi son énergie : ce premier moteur est le créateur de la matière elle-même. En d’autres termes, c’est la substance de l’espace qui est à l’origine de la création de la matière, d’où elle provient, où elle retourne. Il existe un lien de proximité entre la substance de l’espace et la matière de telle sorte qu’un changement d’état de l’une soit à l’origine de la création de l’autre. D’où l’on conclut que la matière est un composé de cette substance de l’espace que nous nommerons à juste titre la prématière. Si celle-ci, dans son état d’énergie zéro est pure inertie, cela ne signifie nullement qu’elle ne puisse être mise en mouvement par l’intermédiaire des corps et se présenter à l’existant physique sous forme d’ondes électromagnétiques.
En définitive, c’est le plus ancien de nos physiciens qui semble avoir raison sur les plus modernes praticiens de cette science, à cette seule et unique condition : donner un substrat de réalité physique à ce premier moteur immobile.

(1)

P.-S.

Le logo est de Jessica Eaton.

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