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Sciences, philosophie et arts 

lundi 26 février 2007, par Lorand Gaspar

"Lorsque le monde cesse d’être la scène de nos espoirs personnels et de nos souhaits, lorsque nous l’affrontons en hommes libres qui admirent, qui questionnent et qui observent, alors nous rentrons dans le royaume de l’art et de la science. Si ce que l’on voit et ce que l’on éprouve est décrit dans le langage de la logique nous sommes engagés sur la voie de la science. Si c’est communiqué à travers des formes dont les rapports ne sont pas accessibles à la conscience, mais dont la signification est reconnue intuitivement, alors nous sommes engagés dans le domaine de l’art. La dévotion passionnée pour tout ce qui transcende les intérêts personnels et la volonté individuelle est commune aux deux."
(Extrait d’un texte, que Einstein a appelé "un aphorisme", écrit à la demande de l’éditeur d’une revue allemande d’art moderne en 1921.)

« En tant qu’être humain, on a été doté de juste assez d’intelligence pour pouvoir distinguer clairement à quel point cette intelligence est fondamentalement insuffisante quand elle se trouve face à ce qui existe. Si l’on pouvait faire comprendre à tous les hommes la nécessité d’une telle humilité, l’univers des êtres humains serait plus attrayant. » (D’une lettre adressée à la reine Elisabeth de Belgique le 19 septembre 1932.)

Ce n’est pas la science ou les arts en eux-mêmes qui sont "importants", mais l’homme qui les a inventés en cherchant à comprendre lui-même, sa vie et tout ce qui l’entoure, ses rapports avec ce monde proche ou lointain que nous appelons communément nature. Dans cette quête il s’est donné deux outils d’exploration qui semblent être diamétralement opposés dans leur démarche, deux façons de s’interroger et d’interroger les choses. Ces deux approches de nous-mêmes, de la vie en général et du monde que nos cultures ne cessent de considérer comme contraires, m’apparaissent à la fois essentielles et complémentaires.

L’homme de poésie et l’homme de science, ces deux façons d’être - de regarder, sentir, penser - réputées contradictoires, ma nature les a produites conjointement : aussi loin que je remonte dans ma mémoire, j’ai toujours éprouvé le besoin de ces deux approches pour me sentir en équilibre dans mon entreprise d’être là, de vivre, d’agir et de penser. Il m’a fallu souvent combattre dans ma jeunesse un léger malaise ou doute que tendaient à éveiller en moi les modes de penser dominants de notre société, pour lesquels il ne peut y avoir rien de commun entre ces deux activités humaines que je percevais complémentaires sur le chemin d’une même quête fondamentale : trouver les moyens pour mieux se connaître, mieux connaître l’homme et cette vie finie qui s’offre à lui, une vie que seule une meilleure connaissance de la nature du monde et de la nature humaine (faisant partie du monde) pouvait à mes yeux éclairer.
Il s’agit de deux types d’interrogation, d’exploration et de communication, de deux outillages que certaines structures de nos cerveaux engendrent naturellement, une fois que nous avons appris à nous en servir. A l’aide de ces deux approches différentes nous abordons différemment les visages divers, toujours relatifs à nos sens et à notre cerveau, d’une réalité infinie dont nous n’explorons que des fragments, mais dont nous faisons indissociablement partie.

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Les divers langages que l’une et l’autre de ces approches, de ces questionnements du monde et de notre vie produisent, les ensembles plus ou moins cohérents que chacun d’eux construit en se servant d’une démarche déductive rigoureuse et universellement reconnue pour déployer les diverses disciplines de la science, une autre, à la fois singulière, intuitive, sans cesse réinventée, visant une autre sorte d’universalité, quand il s’agit de poésie, de peinture, de musique, de danse, etc., je les conçois donc comme des instruments, des structures, des moyens plus ou moins sensibles, différemment efficaces d’exploration, de détection, de recherche ; sortes de prolongements ou réseaux produits par notre corps doté d’un cerveau sensible, doté de plusieurs sortes de mémoire et capable d’un grand nombre d’apprentissages - empiriques, logico-mathématiques et artistiques -, doté d’un accès à ce que nous appelons intelligence, faculté que nous savons complexe et dont l’accès ne semble pas spontanément disponible. Ce qui est d’accès spontané pour la plupart d’entre nous, c’est notre fonds d’expérience pragmatique répété, fidèlement enregistré depuis notre enfance. La mémoire de ce fonds permet de faire des rapprochements par une démarche analogique entre un objet ou un évènement dont les composantes nous semblent connues et nous-nous rappelons que cette expérience a été agréable ou douloureuse. Il s’agit d’un mode d’apprentissage en vigueur depuis l’enfance, basé sur la mémorisation des actions, des rencontres, qui d’une façon réitérée nous sont apparues heureuses ou malheureuses. Cet apprentissage empirique fonctionne d’une manière semblable (par "punition et récompense") quand nous désirons nous insérer dans une société, une culture, un système de valeurs.
La curiosité exploratoire de notre environnement est la faculté de notre cerveau qui se manifeste le plus tôt dans notre existence ; elle a, hélas, tendance à disparaître chez un grand nombre d’adultes enfermés dans leurs habitudes, leurs conditionnements physiques, psychiques et idéologiques, dûment enregistrés dans certaines structures de notre cerveau, pouvant court-circuiter l’accès à notre intelligence déductive, créatrice, intuitive.
Heureux qui arrivent à préserver leur curiosité, leur désir de comprendre autant que possible le monde qui nous entoure et de nous comprendre dans nos rapports avec la Nature, en tant qu’être humain en général et en tant qu’individu singulier. Cette quête, quand nous y sommes vraiment engagés, peut nous accompagner jusqu’à la fin de notre vie ; elle est inépuisable, comme la Nature qui nous a produits.
Chacun cherche à sa façon, selon ses gènes, ses empreintes et apprentissages à mieux s’adapter à "sa vie", à son environnement, aux évènements imprévus qui le touchent de près ou de loin, aux choses du monde et aux rapports qui les lient, aux lois qui régissent leurs coexistences à l’intérieur d’ensembles, des plus simples aux plus complexes. L’homme est une de ces choses, un de ces ensembles corrélés, qui s’articule à l’intérieur d’autres ensembles et ensembles d’ensembles sans que se rompe à aucun niveau le tissage plus ou moins serré, plus ou moins apparent des déploiements singuliers, des interactions, qu’il s’agisse de milieu environnant général ou humain, de l’humanité ou de la nature sur la planète Terre, de toute vie qui s’y développe, présente peut-être sur d’autres planètes, dans d’autres galaxies d’un Univers sans clôture. L’homme est donc une partie de ce que nous appelons le réel et chaque homme, bien que construit à partir des mêmes éléments et selon les mêmes lois générales, est un ensemble singulier, qui produit des actions physiques et mentales, des langages qui lui permettent de mettre en formes communicables ses désirs, ses observations et ses idées et nous savons que ces langages que je viens de concevoir comme des outillages primordiaux, au même titre que nos silex taillés, nos télescopes, nos microscopes et nos images par satellites et nos systèmes informatiques, comme un déploiement de propriétés, d’aptitudes intrinsèques de notre corps-cerveau, n’ont de signification, de vie que par et pour lui, c’est à dire l’homme. Si nous supprimons l’homme, la société des hommes, ses productions cessent d’avoir un sens, une réalité autre que celle de la matière organique ou minérale diversement modifiée qu’implique leur fabrication. Les livres innombrables, les partitions de musique, les peintures, les grands échafaudages des mathématiques et de la physique, de l’architecture et de l’organisation complexe des Etats, sont frappés, en l’absence de l’homme, du même mutisme, de la même "inexistence" en tant qu’objets ou choses investis d’un sens humain.

Il n’est guère douteux que l’homme qui comprend et produit toutes sortes de choses - pas toujours favorables à son existence, à sa santé globale, pas plus qu’ à celle de son environnement auquel il est étroitement lié -, l’homme qui exprime son être-là affirmatif de façons si variées, est aussi un produit - nous l’avons déjà dit -, une construction complexe, parmi une infinité d’autres, de la même Nature qu’il cherche à comprendre et qu’il est plus raisonnable de concevoir infinie que produite ou "créée" à "l’extérieur" d’une puissance infinie. La matière, la vie, l’intelligence et tant d’autres choses que nous ignorons, sont ou seraient les manifestations, les façons d’exister, de se déployer de la même Nature, monde, ou réalité, peu importent les noms que nous donnons à ce qui existe sans bornes et dont nous ne connaissons qu’une partie infime en dépit de nos instruments toujours plus performants. Demain nous découvrirons d’autres façons d’être de la Nature, du cosmos, que nous "verrons", "comprendrons" , toujours relativement à nos instruments, à nos sens-cerveaux, à ce que nous appelons notre intelligence.
Il est difficile de penser qu’une Nature capable de produire la vie qui en se complexifiant est parvenue à ce que nous appelons réfléchir et comprendre des enchaînements physiques et biologiques, ainsi que les règles et les lois non écrites qui semblent déterminer leur déploiement, ne puisse pas produire une infinité d’autres "choses" que nous sommes très loin de percevoir et de comprendre.
Nous n’ignorons pas la différence qu’il y a entre ce que nous appelons une loi de la nature, mise en évidence, même imparfaitement, par les approches et "langages" de la science, et les lois des sociétés humaines, les règles de telle grammaire, de telle école de composition ou de peinture, voire celles qui sont propres à chaque artiste. Les premières, les lois de la nature (ce que nous en percevons), sont intrinsèques à cette part que nous percevons de son déploiement (matière, vie et tant d’autres choses que nous ignorons), tandis que les secondes, les règles sociales, celles de nos langues et de nos arts, n’ont d’existence que par et pour l’homme. Cela ne veut pas dire qu’elles soient arbitraires ou produits du hasard. Elles sont liées à la dynamique physico-chimique, biologique de nos corps-cerveaux, à leurs interactions, aux sociétés qu’ils forment, aux cultures qu’ils produisent dans un environnement naturel donné. Bref, l’élaboration de ces règles de l’art dépend de facteurs aussi innombrables que variables, dans la mesure où sont variables les corps-esprits humains, les structurations de la personnalité de tel ou tel artiste, au sein de telle ou telle culture ; facteurs tout aussi actifs, même si nous ne savons pas les mesurer, que ceux qui en science expérimentale déterminent l’établissement d’un formalisme. Il faut ajouter que le nombre des éléments et la complexité de leurs rapports qui jouent dans l’élaboration d’une voie de "recherche", d’exploration, de creusement dans tous les domaines de l’art sont si grands qu’il faut renoncer à les démêler jamais, à les connaître exhaustivement.

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Ces choses innombrables qui naissent, se développent, se modifient, se détruisent, qui existent et coexistent, vues par nous ici en conflit, là en accord mais prises, apparemment, dans une structure mouvante, dynamique, nous ne pouvons pas en tant qu’ensembles, et ensembles d’ensembles, assigner une limite à leur production et disparition. Ces choses, prises dans le tissage indéfini, l’expérience nous montre qu’elles tiennent leur dynamique d’existence de ce qui les précède dans le tissage, de ce qui précède ce qui les précède et ainsi de suite sans terme. Nous ne pouvons donc concevoir cette succession, cette étoffe qui se déploie indéfiniment dans les dimensions ou expressions qui nous sont connues, qu’en admettant l’existence d’une dynamique intrinsèque, commune à toute chose, produisant sans commencement ce « tissu » de matière-énergie, de pensée (et de tant d’autres réalités que nous ignorons), de même que les lois inhérentes à son activité qui se développe dans ce que nous percevons comme des transformations et des assemblages sans nombre.

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Galilée, du temps où la science et la forte exigence en nous d’une intelligence cohérente du monde, n’étaient pas inconcevables, Galilée, le fondateur de la physique mathématique, a reconnu implicitement la nécessité d’une dimension ontologique pour rendre raison de la réalité physique expérimentale. Il est peut-être le premier à avoir montré clairement qu’on ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe en physique si on s’en tient à la description des expériences, de l’enchaînement des causes et des effets, des lois qui les régissent, si nous nous interdisions l’usage de concepts qui sont suspects, voire contradictoires pour les mathématiques. On peut noter en passant que les contradictions du concept d’infinité ont été maintes fois analysées, il n’empêche que nous ne saurions nous en passer, ni dans nos mathématiques, ni dans notre pensée.. Notons également que les concepts scientifiques rigoureusement établis par le truchement d’axiomes et de définitions, sont fortement idéalisés et de ce fait, se rapportant à un groupe de phénomènes isolés, perdent en quelque sorte le « contact » avec la réalité. Si l’ontologie est aujourd’hui rejetée par la science, celle-ci sait néanmoins que ce qui est à connaître étant infini, notre compréhension de la réalité restera, quelque progrès que nous fassions, toujours relative et partielle. Un ensemble descriptif, aussi cohérent soit-il, n’est qu’une idéalisation, une abstraction dont nous ne connaissons pas le degré d’exactitude vis-à-vis de la réalité. Notre science sait aussi depuis la mécanique quantique que pour comprendre certains phénomènes il faut donner une place parmi les termes a priori des instruments de la connaissance humaine à la présence de l’homme, élément de la Nature et qui lui pose des questions. L’objectivité parfaite d’une description semble de plus en plus contestable.

Mais je reviens à Galilée. « Il faut remarquer, dit-il, que le degré de vitesse que l’on trouve dans le mobile lui est éternellement imprimé par sa nature, tant que les causes extérieures d’accélération ou de retard ne le détruisent. » Et après avoir examiné les causes extérieures d’accélération ou de retard, à savoir les divers plans inclinés, il conclut que le mouvement sur le plan horizontal est éternel en soi.

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Au XVIIe siècle, Baruch de Spinoza, philosophe, ayant une connaissance approfondie de la physique et des mathématiques de son temps, de 36 ans le puîné de Descartes, avait osé attribuer une puissance infinie à la Nature (s’opposant à Descartes qui la considérait comme une simple mécanique recevant son mouvement, son énergie dirions-nous, de Dieu qui a créé le "monde" à "l’extérieur" de sa propre existence ) dans la mesure où, pensait-il, nous ne pouvons la concevoir qu’existante, c’est-à-dire sans cause extérieure et sans limitation d’aucune sorte. Peu importe le nom toujours arbitraire, conventionnel que nous lui donnons (Nature, Cosmos ou Dieu), pourvu que nous la concevions comme immanente à cette existence sans bornes, inséparable de ce qu’elle produit depuis "toujours" , "sans commencement ni fin".
Pour bon nombre de philosophes, scientifiques et artistes ce ne sont là que des mots. Des noms pour essayer de dire ce qui échappe au langage commun, aux images, à nos formalismes...A chacun ses opinions. Je remarque cependant que, bien compris, le mot
infini pose une barrière à toute représentation, nous ouvre à une pensée sans images.
L’idée, si j’ose dire, la plus "palpable" dans la construction de l’Ethique est celle de l’unité de l’esprit et du corps, du monisme face au dualisme cartésien qui semble avoir la vie dure : "...l’esprit et le corps sont une seule et même chose, qui est conçue tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous l’attribut de l’Etendue."(Eth.III.prop.2,scolie). Dans l’Introduction de cette troisième partie de l’Ethique qui traite "de l’origine et de la nature des sentiments" , Spinoza s’en prend à tous ceux qui traitent des sentiments humains comme de choses qui sont en dehors de la Nature :"... ils paraissent concevoir l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Car ils croient que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses actions une puissance absolue et qu’il ne se détermine d’autre part que de lui-même. Ensuite la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, ils l’attribuent non à la puissance commune de la Nature, mais à je ne sais quel vice de la nature humaine : ainsi pleurent-ils, rient-ils à son sujet, la méprisent-ils ou, comme il advient le plus souvent, la détestent-ils ; et celui qui sait avec le plus d’éloquence ou de subtilité blâmer l’impuissance de l’esprit humain,, est regardé comme divin".

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Toute description scientifique vise des universaux physiques et biologiques qui se déploient selon ce que nous appelons des lois naturelles. Les déploiements de la structure dynamique de la matière et de la vie que nous arrivons à élucider à des niveaux de fonctionnement divers, sont de plus en plus complexes en passant d’une molécule d’eau à un être vivant unicellulaire, puis à l’édifice impressionnant qu’est l’organisme d’un mammifère supérieur, enfin, au sommet de cet organisme, l’architecture prodigieuse du système nerveux central construit à partir de quelque cent milliards de cellules nerveuses ou neurones, et leur arborescence touffue faite de ramifications dendritiques et de projections axonales formant des réseaux denses de communication entre groupes de neurones et régions, comme celui par exemple du système thalamo-cortical déployé entre les couches corticales qui couvrent la totalité du cerveau et les structures thalamiques et hypothalamiques situées au centre et à la base de l’encéphale.
Un jour nous connaîtrons, sans doute, dans tous ses détails et toutes ses variables cet assemblage prodigieux, oeuvre de la "sélection naturelle". Cependant, aussi balbutiantes que puissent paraître nos connaissances actuelles en constante progression - enrichies par l’étude des lésions pathologiques chez l’humain et expérimentales chez les mammifères - elles nous permettent d’avoir un certain nombre d’idées assez précises et de déployer un grand nombre d’hypothèses que l’avenir vérifiera, corrigera ou remplacera par d’autres, tant qu’il y aura des hommes.

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Avant de parler de nos connaissances actuelles du cerveau, il me semble intéressant de jeter un coup d’œil sur l’expérience, les idées que les hommes pouvaient avoir de ce précieux organe à l’aube de notre civilisation. Nous connaissons, bien sûr, depuis longtemps les idées plus ou moins floues qu’en avaient les médecins et philosophes grecques, mais c’est le déchiffrement d’un papyrus égyptien datant du XVIIe siècle d’avant notre ère que les érudits en la matière pensent être la copie d’un texte de l’Ancien Empire (-2720 à - 2300) qui fut la découverte la plus étonnante. Ce papyrus désigné comme "chirurgical", nous énumère et commente quarante-huit cas de blessures du crâne, des vertèbres cervicales, de la face et des mâchoires, de la clavicule, du sternum et de l’humérus. Quand on prend la peine de lire la totalité des 48 observations suivies des conseils concernant la conduite à tenir et la thérapeutique, on est frappé par la qualité objective des observations et la rigueur de la classification.
Presque cinq millénaires avant la naissance de la neuro-anatomie, de la neurologie et des neurosciences, ces praticiens ont su établir des rapports entre certaines lésions grossièrement localisées du cerveau, les mouvements des yeux, des membres et la production du langage parlé ; ils ont même observé qu’une dislocation haute des vertèbres cervicales entraînait une quadriplégie avec coma, érection, éjaculation et incontinence d’urine. Ils savaient que le cerveau était couvert d’une enveloppe dont la déchirure laissait échapper un liquide et ont bien vu les circonvolutions corticales, qu’ils comparent aux "rides semblables à celles qui se forment sur le cuivre en fusion". Ils avaient senti et décrit également des palpitations et des battements, qu’ils savent être en rapport avec ceux du cœur.
Le huitième "compte rendu" contient un constat surprenant de neurologie toujours actuelle, dans la mesure où le "chirurgien" qui dicte son observation au scribe précise qu’il s’agit d’une lésion osseuse sans ouverture du cuir chevelu, produisant une enflure considérable, s’accompagnant d’une déviation de l’oeil (probablement des deux yeux) du côté de la lésion, et le blessé "marche en traînant le pied du côté de de la lésion". Le chirurgien égyptien constate donc clairement qu’une blessure du crâne peut entraîner des troubles moteurs au niveau des yeux et de la jambe du côté opposé à la blessure. Notre praticien d’il y a cinq mille ans décrit clairement les causes matérielles d’une hémiplégie droite due à un enfoncement osseux dans la région pariétale gauche blessant le cerveau au niveau du cortex moteur, dans la région dite précentrale gauche. Plus étonnant encore le cas 22 présentant un enfoncement osseux de la région temporale : "lorsque tu l’appelles, il est sans parole, il est incapable de parler." Chacun sait aujourd’hui qu’une lésion de l’aire de Broca, se trouvant dans le cortex frontal (F3) côté dominant (à gauche chez les droitiers), si souvent lésée au cours des hémiplégies droites, est cause de troubles d’élocution plus ou moins graves . Enfin, le cas 31 concerne la perte combinée des mouvements des quatre membres par dislocation des vertèbres du cou...

Il nous faut traverser pas loin de deux mille années pour réentendre parler du cerveau dans un passage, par exemple, du Phédon de Platon.(Comme chacun sait la scène se passe dans un cercle de pythagoriciens de Phlionte, où Phédon rapporte les conversations de Socrate au cours de son dernier jour. Dans le passage qui nous intéresse, après avoir résumé la quête de Cébès, en constatant qu’elle soulevait "d’une façon générale, le problème de la cause, en ce qui concerne la génération et la corruption", Socrate se rappelle le zèle merveilleux qu’il avait dans sa jeunesse pour le savoir qu’on appelle "Connaissance de la Nature". Il dit à ses amis que maintes fois ils se mettait sens dessus dessous sur des problèmes tels que : "L’élément par lequel nous pensons serait-il le sang ? ou l’air ? ou le feu ? Ou bien aucune de ces choses, mais le cerveau, qui nous procure les sensations de l’ouïe, de la vue et de l’odorat, desquels naîtraient la mémoire et l’opinion ? Puis de le mémoire et de l’opinion devenues stables, se formerait de la même manière un savoir ?" Mes connaissances modestes de l’oeuvre de Platon ne me permettent pas de savoir si ce grand philosophe connaissait ou non le non moins grand médecin grec, Hippocrate, d’une trentaine d’années son aîné, fondateur de la médecin occidentale. Il considère le cerveau comme étant le centre de la sensation, de la motricité et des émotions : "L’homme devrait savoir que la jopie, le plaisir, le rire et le divertissement, le chagrin, la peine, le découragement et les larmes ne peuvent venir que du cerveau. Ainsi, de façon singulière, nous acquérons sagesse et connaissance, nous pouvons voir et entendre, apprécier ce qui est intelligent et sot, ce que sont le bien et le mal, ce qui est doux et sans saveur...C’est à cause du même organe que l’on peu devenir fou et dément et que la peur et l’angoisse nous assaillent...Tout ceci se passe quand le cerveau est malade..."

Hérophile (vers 300 av.J.-C.), médecin et anatomiste grec de la famille des Asclépiades, un des premiers avec Erasistrate, son contemporain, à avoir pratiqué la dissection, localise les fonctions supérieures du cerveau dans les ventricules, cavités situées à l’intérieur de l’organe et remplies de liquide céphalo-rachidien. L’existence de plusieurs cavités bien séparées, mais communiquant entre elles, permettait d’imaginer une circulation des "esprits fluides". Au cours des siècles suivants et jusqu’au XVIIe, cette théorie ventriculaire continuera à se développer ; c’est au Moyen Age que l’on attribuera des facultés différentes (sens, raison et mémoire) à chacune des trois cavités.
Claude Galien, médecin, anatomiste et physiologiste grec du deuxième siècle de notre ère, opère une sorte de synthèse entre les théories platonicienne et hérophilienne . Il écrit :"N’allez pas consulter les dieux pour découvrir par la divination l’âme dirigeante, mais instruisez-vous auprès d’un anatomiste". En tant qu’anatomiste du cerveau, Galien parle du "réseau merveilleux", rete mirabilis, décrit déjà par Hérophile. Aujourd’hui c’est la richesse à peine imaginable des réseaux d’interconnections neuronales, entre autres, qui nous émerveille.

Toutes les structures cérébrales se développent considérablement dans la lignée des grands singes et plus encore dans celle des homo , mais le développement le plus caractéristique semble être celui du néocortex et des lobes frontaux. Tous ceux qui s’intéressent au cerveau humain ont entendu parler de la lobotomie préfrontale de sinistre réputation. Elle soulage certes les angoisses, l’agitation et les douleurs ne répondant pas aux traitements habituels, mais elle réduit, quand elle ne supprime pas totalement, la capacité de raisonner aussi bien que celle de ressentir et d’exprimer ses émotions, ainsi que la faculté d’attention et la mémoire de travail. C’est dire que cette intervention, mais aussi des lésions accidentelles ou pathologiques des mêmes lobes frontaux réduisent l’individu humain à un état de semi-débilité ou de débilité totale irrécupérables. Antonio Damasio, un des neurologues remarquables de notre temps, a analysé longuement les lésions accidentelles des diverses parties des lobes frontaux et leurs conséquences cliniques, non seulement dans ses publications médicales, mais aussi dans un premier livre adressé à un public curieux de nos connaissances actuelles du cerveau .

A part les observations cliniques de plus en plus rigoureuses dans le domaine de la neurologie, de la neurochirurgie et de la neuropsychologie, nous avons à notre disposition de nouvelles techniques d’imagerie de l’activité cérébrale et mentale chez le sujet humain sain, qui nous permettent de suivre la plupart des manifestations de nos fonctions cérébrales en action. Ces techniques, étudiées depuis le milieu des années 1980 chez l’humain, sont basées sur les observations de Charles Sherrington et de Claude Roy à la fin du 19e siècle (1890), concernant le fait, largement admis aujourd’hui, que les fonctions supérieures du cerveau sont accompagnées de changements hémodynamiques - augmentation de l’afflux sanguin - au niveau des structures corticales en jeu. La dernière technique en date est l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (milieu des années 1990), mise au point par l’équipe de Bruce Rosen au Massachusetts General Hospital de Boston, qui permet d’obtenir une résolution spatiale de moins de 1mm. C’est considérable, certes, mais il ne faut pas oublier qu’un millimètre cube de cortex contient autour de cent mille neurones et plus d’un milliard de connexions synaptiques.

Sans cette construction d’une complexité prodigieuse qu’est un cerveau humain, sa capacité de traiter les informations recueillies par nos sens, de les transformer en sensations, en images, en langage parlé et écrit, sans sa faculté d’enchaîner des causes et des effets, de faire appel à l’intuition, d’établir des rapports, bref, de raisonner, nous n’aurions ni arts, ni sciences, pas plus que de philosophie. Or, pour conduire un raisonnement, c’est à dire reconstruire aussi adéquatement que possible l’unité d’un acte d’entendement, pour relier une série de rapports, pour expliciter une intuition, nous avons besoin de ces outils diversement composés que sont nos divers langages. Notons que l’aptitude à les construire est également "inscrite" dans nos cerveaux.
Sans ces "outils" (traitement des informations, production de nos langues et langages, de notre capacité logique, intuition) sans l’aptitude de nos cerveaux à les produire, à les "manier", à les combiner, à "jouer" avec eux, comme un musicien joue sur tel ou tel instrument et comme le compositeur "joue" avec tous les instruments d’un orchestre nous n’aurions pas dépassé la "conscience primaire" (Edelman), ou "conscience noyau"(Damasio) dont disposent une certain nombre de mammifères supérieurs qui ne possèdent pas les aptitudes pour développer des langages sophistiqués. Sans la capacité de nos cerveaux à produire toutes ces aptitudes nouvelles dans le règne des vivants, il n’y aurait jamais eu de quête, d’interrogation humaines.

Tous les cerveaux humains sains se ressemblent, dans la mesure où ils possèdent tous les mêmes structures histologiques et anatomiques, dont les neurones ou cellules nerveuses sont interconnectés par un riche réseau de fibres nerveuses (prolongements des neurones) et de synapses - aires de jonction ou régions de contact - d’une façon complexe. On peut affirmer que les amples et denses réseaux de connexions entre diverses structures anatomiques existent pareillement dans tous les cerveaux. Les différences se révèlent dans les détails subtils de ces systèmes de connexions.
On n’insistera jamais assez sur la richesse et la complexité prodigieuse des connexions et interactions entre neurones, groupes neuronaux, aires corticales, structures ou régions du cerveau. Aucune machine ou système électronique fabriqués par l’homme ne peut pour l’instant en approcher la richesse. Notre cortex, la structure la plus récente des cerveaux les plus évolués, composé d’environ trente milliards de neurones, dispose autour d’un million de milliards de synapses ou connexions. Comme ces chiffres dépassent notre capacité d’en former une idée concrète, certains livres d’anatomie nous apprennent qu’en en comptant deux par seconde, nous aurions besoin de seize milliards d’années pour les compter tous.
Les différences dans les détails, en particulier au niveau des connexions, nous permettent d’affirmer clairement qu’il n’existe pas deux cerveaux absolument superposables. Qui plus est, nous savons que nos cerveaux individuels soumis à l’expérience vivante - et dès les trois derniers mois intra-utérins - changent tout le long de notre existence au niveau de la configuration de leurs connexions, et ces variations sur un thème commun touchent toutes les modalités de communication au sein de cette prodigieuse organisation : biochimique, biophysique, micro-anatomique. La vie du cerveau n’a rien à voir avec un système informatique même inimaginablement complexe, doté de codes et de registres fixes. Construit de cette façon, notre cerveau ne pourrait pas lire les informations souvent ambiguës de son environnement.

Parmi tant d’hypothèses passionnantes que la recherche en matière de neurosciences est capable d’élaborer aujourd’hui, notons celles construites autour de l’aptitude de la conscience dite primaire chez certains mammifères, et la conscience "d’ordre supérieur", apanage des humains. L’étude neuro-anatomique et neuro-biologique de la conscience, de la production de l’expérience subjective, du sens, du raisonnement, de la pensée soulève des problèmes passionnants qu’ à ma connaissance jamais aucun philosophe n’a pensé pouvoir un jour être abordés par la science. Pour la plupart des neuroscientifiques il est clair que la matière vivante du cerveau interagissant avec son environnement, y puisant ses informations (au-delà de celles qui lui parviennent régulièrement de son propre corps), est nécessairement apte à produire la conscience et la pensée....Au cours de leur étude assez récente, dans laquelle ils font une mise au point de l’état actuel de leurs hypothèses concernant la biologie de la conscience, Edelman et Tononi font une remarque qui m’a paru particulièrement juste concernant les bases actuelles de l’épistémologie, fondée sur des points de vue normatifs et sur la pensée de la pensée. Pour aborder d’un point de vue neurobiologique le problème de la conscience, il faudrait commencer par repenser ces bases de l’épistémologie, afin de lui donner des assises neurobiologiques, incluant une théorie biologique de la conscience et de la pensée.

Il se produit actuellement sous nos yeux - sous les yeux de la pensée de tous ceux qui les gardent ouverts - une première rencontre fondamentale, et non point fortuite ni passagère, entre philosophie, science et poésie. Les neurosciences sont désormais capables de reconnaître et de justifier l’existence de ce que nous appelons subjectivité, c’est à dire le vécu propre de chaque individu singulier disposant - comme nous l’avons déjà vu plus haut - d’un cerveau unique, marqué par son expérience propre ( depuis la fin de la vie intra-utérine et tout le long de l’existence), par le biais de changements, de remaniements dans les riches réseaux de connexions. Chaque expérience d’une "qualité spécifique" (depuis la simple perception individuelle d’une couleur, d’une sensation, d’un paysage, jusqu’à celle d’une peinture, d’une musique, d’un poème ou d’une simple opinion) correspondrait à un état particulier d’un vaste réseau (celui du système thalamo-cortical pour Edelman). Edelman distingue deux types de conscience : primaire, que nous partageons avec d’autres mammifères capables de construire une scène mentale, mais ne disposant pas de véritable langage, nécessaire pour accéder à une conscience de niveau supérieur, requérant une aptitude sémantique à son plus haut niveau, parallèle à l’accès au langage parlé. De son côté, Antonio R. Damasio fait la différence entre ce qu’il appelle conscience noyau qui n’a pas besoin de véritable langage (il suffit que le cerveau établisse un compte rendu à l’aide d’images) et une conscience de soi autobiographique pouvant s’enrichir, se déployer tout le long de la vie, constituant l’aspect le plus développé de cette aptitude qu’il appelle conscience- étendue. Les structures cérébrales nécessaires à l’apparition de la "conscience noyau" comprennent selon son hypothèse (je remarque que ce chercheur est d’abord un clinicien, certes au courant des résultats actuels de la recherche) des structures assez étendues aussi, incluant celles nécessaires à la configuration de l’organisme propre et de l’objet extérieur, ainsi que celles requises pour la configuration de la relation entre les deux . Ces hypothèses vont forcément évoluer au cours des années à venir.

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Nous avons tous, dans la mesure où nous possédons des yeux et un cerveau sains, observé la progression de l’aube au bout de la nuit, conscients de ce changement, sans penser, sauf exception, aux phénomènes physiques qui en rendent compte ; la plupart du temps nous aurons plutôt des idées, des sentiments, des émotions individuels (fondés sur notre expérience personnelle de vivants et sur notre culture non moins personnelle) que nous chercherons, peut-être, à décrire, à exprimer en musique, en poésie. Or, aucune description, à l’aide des mots, des sons, des couleurs, des images ou des mouvements du corps ne pourra rendre compte exhaustivement d’un vécu individuel toujours complexe. Personne n’entendra jamais comme lui les idées, sentiments, émotions et sentiments que Schubert cherchait à exprimer dans sa sonate en ut mineur, ou Rimbaud dans Une saison en enfer ; chacun de nous y projettera, mis à part ses connaissances de la musique et de la poésie en général et celles de Schubert et de Rimbaud en particulier, les siens.
Toute approche, dans un quelconque domaine des arts - et aurions nous la puissance créatrice d’en inventer sans cesse de nouveaux -, s’avèrera impuissante à épuiser la richesse d’une expérience singulière, de jour en jour renouvelée au cours d’une vie. Un poète pourra se sentir particulièrement en accord avec tel poème ou ensemble de poèmes qu’il vient d’achever, cela ne l’empêchera pas de penser qu’il n’a pas su exprimer le millième de son expérience vécue, ni l’essence de ce qu’il cherche à communiquer et qui, en réalité, tend à l’infini, qu’il s’agisse de l’infiniment simple ou de l’infiniment complexe. Par contre la description scientifique d’une loi ou d’un évènement physique ou biologique dira fondamentalement la même chose à tous ceux qui connaissent le langage qui les formule d’une façon univoque. D’un autre côté, aucune description des mécanismes neuronaux bien connus lors de la perception de la couleur rouge ne rendra jamais compte de ma perception personnelle de telle nuance du rouge, dans telle circonstance. Mon oeil-cerveau-visuel est doté d’un très grand nombre de capacités, mais la connaissance même parfaite des mécanismes bio-physiologiques ne dira jamais rien sur mes liens individuels avec telle ou telle nuance de couleur.

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Je fais partie de ceux qui tendent à penser aujourd’hui que le déterminisme génétique est en général beaucoup moins important dans le déploiement de ce que nous pouvons appeler constitution ou structuration de notre corps-cerveau singulier (sur les plans physique, biologique et psychologique indissociables), que les effets de l’empreinte épigénétique , qui serait liée à ce que Edelman a appelé "darwinisme neuronal" , et tous nos apprentissages, au sens large du terme, depuis l’enfance et l’adolescence jusqu’à notre mort . Les premières étapes embryonnaires franchies, les connexions neuronales (au niveau des synapses) seraient, au cours du développement, dans une large mesure établies par sélection somatique. Les myriades de branchages que les neurones font pousser dans de nombreuses directions, engendrent ainsi - dès les trois derniers mois de notre vie intra-utérine - une très grande variabilité dans les structures de connexions de chaque cerveau individuel. Peu à peu ces mêmes neurones renforcent certaines connexions et en réduisent d’autres selon leurs structures d’activité électriques propres. D’autres types de sélection - déjà mentionnés - s’opèrent tout le long de l’existence, liées toujours à la suite de nos apprentissages, qui englobent ce que nous appelons l’expérience individuelle.

Tandis que l’évolution génétique proprement dite se contente d’une adaptation statistique, les sélections synaptiques - néonatales et plus tardives -permettraient une adaptation beaucoup plus rapide et surtout une modulation des potentialités de l’individu en fonction des variations locales ou temporelles du milieu. Notre "empreinte" néonatale étant structurelle (donc ineffaçable) serait déterminante dans l’établissement de notre style cognitif, émotivo-affectif et comportemental, bref, dans la constitution de notre "personnalité" fondamentale ou primaire, que notre milieu familial, notre éducation, nos apprentissages divers peuvent ensuite développer ou "réprimer" plus ou moins. L’expérience clinique fondée sur une nouvelle approche en psychothérapie basée sur certaines de nos connaissances actuelles en neurosciences et en neurosciences cognitives, en y intégrant les acquis du cognitivisme et du comportementalisme, menée depuis plus d’une quinzaine d’années par J. et F. Fradin à l’Institut de Médecine Environnementale avec leurs collaborateurs, tend à montrer de plus en plus clairement que c’est la façon dont nous nous servons de notre cerveau, de ses diverses aires et circuits concurremment, qui est décisive quant au développement mental et psychique de l’individu. Il n’y aurait pas d’individus dépourvus de dons, il n’y aurait que des cerveaux non exploités ou bloqués par quelque conditionnement fâcheux. Accéder à l’ouverture est presque toujours possible, surtout s’il y a souffrance et désir d’en sortir.
Un scientifique qui est ouvert à l’art ne pourra qu’en être stimulé dans sa recherche ; de la même façon, un artiste s’intéressant aux sciences en sera nécessairement enrichi, son champ perceptif ne pourra être qu’élargi. En art, comme en science, la mise en oeuvre de territoires cérébraux en friche, l’ouverture sur des approches, des modes d’exploration qui nous semblent étrangers ne peut être que bénéfique. Bref, non seulement il n’y aurait pas de contradiction entre ces deux domaines que généralement on oppose, mais renforcement des activités d’un groupe de structures par d’autres.
Aujourd’hui la spécialisation de plus en plus poussée triomphe dans la plupart des domaines (on peut le comprendre pour des gestes techniques complexes qui nécessitent un long apprentissage, par exemple en chirurgie ; peut-être dans certains types de recherches), mais l’avenir nous demandera de nous ouvrir à des échanges interdisciplinaires.
Le poète, le philosophe, le scientifique vraiment ouverts, cherchent à déployer leur quête autant que leur vie, les deux étant inséparables.
Dans chaque domaine de l’exploration, de la recherche humaine, créer (avec ce que nous propose, permet la vie), chercher à ouvrir un sentier dans l’inconnu suppose prendre des risques.

P.-S.

Texte extrait de : Lorand Gaspar, Cahier 16, aux éditions Le Temps qu’il fait, 2004.

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