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Abidjan : "Yopougon mon amour" 

vendredi 12 août 2011, par Robin Hunzinger

De retour à Abidjan. On a décidé plein de choses mais il fait chaud, les moustiques me dévorent la nuit et le ventilateur marche uniquement par intermittence. Le quartier où nous habitons est loin de tout et je suis fatigué de devoir à chaque fois négocier les prix des taxis.

Pas envie de bouger. Juste envie de dormir vraiment. Le retour de Sakassou a été violent. Envies de je ne sais quoi.

Heureusement Aya m’entraîne.

Cet après-midi nous partons à Yopougon [1] retrouver la grand mère d’Aya. Cela faisait partie des buts de notre voyage. Nous n’avons pas de numéros de téléphone. Juste l’adresse imprécise d’une tante maternelle.

Après une matinée au Plateau à la sécurité intérieure à arroser des flics afin de faire un passeport, un déjeuner au marché du Plateau où nous avons pris un tchiep [2] au tarif de "gaou" [3] (1000 francs) ce qui a mis tout le monde de mauvaise humeur, jusqu’à ce que nous obtenions le tarif ivoirien (700 francs). Bref il ne nous ont pas "yërë" [4] On fini par prendre un taxi pour Yopougon et nous arrivons pas loin de l’endroit dont les amis se souviennent.

Commence alors une véritable recherche par immeuble, pour retrouver la maison proche du collège Segbu.

D’abord on se trompe de côté. Personne ne connait le nom de famille qu’on cherche. On marche dans le dédale de cette cité ouvrière avec squares, petites rues, ruelles et avenues.

On s’est trompé de côté. On fait marche arrière.

On contourne le collège, et là soudain, Aya et son oncle reconnaissent l’endroit.

On prend une ruelle. On questionne quelques vendeurs qui appellent des gamins qui appellent des gamines.

Une petite fille espiègle finit par arriver. Aya lui parle. Elle sourit, l’embrasse.

Et voilà qu’on traverse à nouveau des ruelles incroyables, suivis par une vingtaine de gamins. Tim est transi face à ces yeux qui le regardent. Moi aussi, mais je me sens plus à l’aise dans ce quartier qu’à Riéviera 3.

La petite ouvre la porte. Là, on entre dans une cour intérieure. La petite aux yeux espiègles nous apporte des chaises, de l’eau, de la bière et des cacahuètes sucrées que la tante prépare pour de grands hôtels.

Succulent.

Je m’aventure dans la maison et trouve un grand portrait de la tante avec le président Félix Houphouët-Boigny.

Yopougon, 2011
Yopougon, 2011
Yopougon, 2011

Aya a la tante au téléphone. Elle sera là dans une heure.

Je finis par sortir de la maison avec Omer. On se ballade dans le dédale des rues. On tombe sur un square transformé en terrain de foot. Des gamins de 12 à 20 ans font des matchs en parallèle. Je ne comprends pas toutes les règles. Les buts me paraissent riquiqui.

Tim, lui, est resté dans la maison. Je vais le chercher. Il ne veut pas sortir à cause des gamins qui lui disent qu’il "chokobi" (orthographe approximative du mot).

Le Chokobo ne s’apparente pas à un gros poulet jaune, proche de l’autruche.

C’est juste quelqu’un qui parle de manière affectée à la française, ou plutôt qui imite la prononciation à la française.

"Chokobiteu" disent les gamins aussi bien au cousin de Tim qu’à mon fils. Le cousin ne se démonte pas et continue à jouer dans la ruelle. Mon fils, lui revient en pleurs et ne veut plus sortir de la maison. Je le prends par la main, le rassure et nous finissons par traverser la ruelle ensemble afin de rejoindre le match de foot.

Une heure plus tard, la tante arrive enfin. Elle nous annonce que la grand mère maternelle est retournée au village près de Man dans l’ouest de la Côte d’ivoire. On sait déjà qu’on ne la verra pas. Man est près du Libéria et des massacres. Voir la reprise ici par le site pro Gbagbo direct scoop qui parle de ce qui s’est passé.

La grand-mère n’a pas le téléphone, mais la tante peut arriver à communiquer avec elle. On sait qu’on va pouvoir enfin la revoir.

Aya est triste. Sa grand-mère c’est sa première maman. Elle voulait vraiment la retrouver. Vu la tristesse que nous ressentons, on parle d’autre chose. Puis la grand mère c’est pour le film que je prépare. Une longue histoire familiale compliquée qui fait l’objet de toute mon attention. Mais là, ce n’est plus le moment.

Justement, l’oncle arrive. On parle un peu de la situation à Yopougon. Lui et sa femme ont fuit un moment le quartier en mars-avril 2011. Ici on a "braisé" des personnes dans des pneus. Souvent des étrangers venus du nord (burkinabés, maliens). Le quartier a été un des derniers bastions du président refondateur Laurent Gbagbo. Des milices ont commis des massacres et sans doute des crimes contre l’humanité. Depuis, les Forces du président Ouattara, les FRCI, quadrillent le quartier. Apparemment les soldats de l’ancien commandant des forces nouvelles de Bouaké, Cherif Ousmane.

Je ne cherche pas à savoir quand la famille a fuit le quartier. On me fait juste rencontrer l’un des plus vieux sages de Yopougon. L’un est toujours resté. D’ailleurs tout le monde le salue. Pour la première fois je ne parle pas de politique. Pas un blanc n’a dû venir dans ce quartier depuis des années. Si, des Casques bleus au loin, voire des soldats de la force Licorne. Et encore, pas sûr.
Justement c’est peut-être pour cela que, là, à ce moment "X", nous nous sentons bien dans ce quartier qu’a quitté une partie de la famille. Nous devons être un peu fous d’être là, à ce moment là. Mais je me dis qu’il faut des fous inconscients. C’est grâce à mon inconscience que j’ai fait mon premier voyage en 1993. Mais là, j’ai deux enfants. Et ils sont avec moi à Yopougon. Aya et moi pensons qu’il n’y a pas de risques pour les enfants. En tout cas le climat est bien plus chaleureux qu’ailleurs, même si je le sais, par les témoignages des uns et des autres, les situations politiques sensibles peuvent apporter le pire et que le pire est arrivé ici : brûler vif un étranger dans un pneu en le filmant avec son téléphone portable. J’avais vu ces images d’avril 2011 sur le site Koaci. Cela m’avait rendu malade.

Nous marchons dans les ruelles. Je parle avec l’oncle de tout cela. De ce que j’ai vu de loin, de mon dégoût lointain, et de ce que je découvre là. L’oncle sourit.

On finit par quitter la petite fille aux yeux espiègles, la tante et l’oncle bienveillant.

Je propose à Aya, Léa et Omer de nous rendre Rue princesse . La rue princesse a toujours été le lieu ou Aya m’a défendu d’aller sans elle. Raison de plus d’y aller ensemble.

Notes

[1Yopougon surnommé Yop city ou encore Poy, est l’une des 13 communes du district d’Abidjan. Yopougon est la plus grande commune de la capitale économique ivoirienne. Située à l’ouest dans la zone géographique Abidjan nord, un peu excentrée, elle se trouve entre la forêt du Banco et la lagune ébrié. Yopougon qui s’étend sur une superficie de 153,06 km2 avec une population d’environ 1 000 000 d’habitants, comporte 12 villages et 28 arrondissements. La commune est surtout connue pour la Rue Princesse, où se trouvent plusieurs maquis et boîtes de nuit ; elle s’anime chaque soir jusqu’à l’aube. Un recensement datant de fin 2006 indique qu’il existe près de 1 500 maquis dans la commune de Yopougon. La commune est aussi connue pour ses nombreux quartiers précaires tels que « Sicobois » ou « Yao Sehi » qui contrastent avec les quartiers résidentiels. On y trouve aussi le camping Copacabana et c’est sur cette commune que sont installés l’Institut Pasteur et la station de recherche de l’ORSTOM.

[2Le « Tchep Bou Djen » est le plat national sénégalais par excellence.

Ingrédients : - pour 4 personnes, 4 morceaux de poisson « capitaine »
- un bouquet de persil
- un bouquet d’oignons verts
- une gousse d’ail
- des tomates
- une boite de tomate concentrée
- des aubergines noires
- 2 oignons
- des carottes, des navets, des choux et du piment frais (quantité selon votre goût personnel)
- du sel, du poivre et de l’huile

1°) Préparer la farce : écraser puis mélanger l’oignon vert avec le persil et un morceau de piment frais, puis y ajouter du poivre, du sel avant de macérer le tout dans un peu d’huile.

Bonus : L’oignon vert aromatise la farce et sert à la colorer. Le persil sert à parfumer la farce et regorge de vitamines et minéraux essentiels au bon fonctionnement de notre organisme.

2°) Remplir le poisson avec la farce, en faisant deux à quatre trous, avec l’index, par morceau.

Bonus : le poisson capitaine est choisi dans cette recette, pour le goût savoureux de sa chair blanche et fine.

3°) Laisser reposer les morceaux de poisson quelques minutes puis, les faire frire.

4°) Pendant ce temps, faire cuire le riz à la vapeur douce pendant une trentaine de minutes, jusqu’à ce qu’il devienne très blanc.

5°) Lorsque les morceaux de poisson sont bien dorés, les retirer et les réserver.

6°) Faire revenir l’oignon finement découpé, la tomate fraîche écrasée et l’ail pilé, et laisser mijoter.

7°) Rajouter le concentré de tomate puis laisser cuire à feux doux.

8°) Verser dans la casserole, le volume d’eau correspondant au volume de riz que vous aurez choisi.

9°) Rajouter les légumes (aubergines noires, carottes, navets, choux, piments) ainsi que le poisson et laisser le tout cuire.

10°) Lorsque notre sauce boue et que légumes et poissons sont bien cuits, les retirer de la sauce puis les remplacer par le riz cuit à la vapeur.

11°) Couvrir le riz dans la sauce et laisser cuire à feu moyen. Il faudra remuer de temps en temps pour que le riz cuise uniformément.

12°) Lorsque le riz aura absorbé toute la sauce et ne sera plus humide, le servir chaud en le décorant des légumes et du poisson préalablement enlevés.

Astuce : cette recette est faite avec des ingrédients que l’on peut trouver dans tous les pays, même si l’on n’est pas en Côte d’Ivoire. Telle était la demande de « O-Lys Bieza ».

Cependant, pour ceux qui ont la possibilité d’avoir d’autres ingrédients, ce Tchep Bou Djen peut être accompagné d’une pâte de dah. Cette dernière se fait avec une poignée de feuilles de dah, un soumara et de l’oignon :
il faut faire bouillir les feuilles de dah puis les retirer et les piler
écraser le soumara
puis, faire revenir dans une poêle le soumara et le dah avec de l’huile et un peu d’oignon
laisser mijoter le tout jusqu’à l’obtention d’une pâte assez compacte.

[3Expression ivoirienne qui est passée dans le langage de la banlieue qui décrit l’immigrant de manière comique et tendre comme un naïf, sans un sou, crédule, plein d’espoir, de réussite ; en résumé : ils n’ont rien, ils ne savent rien, mais ils vont tout tenter !

[4Expression ivoirienne qui signifie plein de choses : Il faut yêrê le gaou bref le le croquer tout cru !.

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