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La lieue de Jérusalem 

jeudi 26 juin 2003, par Serge Meitinger (Date de rédaction antérieure : 1er janvier 1970).

Dict en forme de requiem pour ma marraine Mireille
dont le nom et le cœur m’ont toujours semblé
contenir le soleil qui manqua si fort
à son ciel

*

Ce soir ou ce matin-là

lorsque tu tombas

sur le sol de ta cuisine

il n’y eut pas d’anges

pour te soutenir

.

À même le carreau froid

sentant s’épuiser ta chaleur

tu suivis l’étrange lueur

qu’accrochaient encore ou déjà

les pieds chromés de ta petite table

s’esquiver se brouiller

partir au loin

.

Comme les pas les visages les présences

qui dans ta vie n’ont cessé

de se détourner de toi

pour te laisser

mourir

seule

*

Humble vie

humble ta vie :

jeunesse et guerre

travail d’usine

jusqu’à la mort du textile

mariage sans maternité

veuvage précoce

.

Des bêtes de compagnie

pourries comme des enfants non élevés

aussi égoïstes

que neveux et petits-neveux

avides mesquins

quémandeurs

.

À tout tu opposas

sans te rebuter

l’élan l’allant

sans arrière-pensée

la main ouverte

et le cœur libre

*

Humble vie

humble ta mort :

un double coup

brisa la naïveté

qui était ta seule défense

.

Le petit malheureux

réchauffé en ton sein

comme un fils imprévu

organisa contre toi

une agression

et fit plus

que te dépouiller

.

Une sœur déchaînée

par la mort de tous les autres

pour un mot pour un rien

sur toi lâcha

son chien

.

Tu fus cruellement

mordue

*

Je suis celui

qui pleure ici

entre les lignes

.

Comme d’habitude

j’étais loin

je ne t’ai pas vue

morte

.

(J’ai vu d’ailleurs

bien peu de cadavres

et ne verrai le mien)

.

Ton décès

je l’appris après tes funérailles

par le biais de la sœur

au chien

*

Terre picarde

si grasse et noire

- poétesse des jardins ouvriers

ouvrière en fertile campagne -

creuse à son corps

ton lit profond

.

Terre brisée battue soumise

accueille-la

toute crampie

dans sa boîte

.

Accorde-lui ton repos

et même plus

s’il est vrai que les sources

qui hantent tes cimetières

conduisent l’essence

des morts

jusqu’à la mer

*

Tu vois

je cherche des issues

je ne puis admettre

ta fin sans appel

.

Je me dis

que tu n’es pas bien loin

bien qu’invisible

je t’entrevois pourtant

j’entends ta voix

à l’intérieur de moi

.

Je me dis aussi

que s’il est un séjour

posthume

pour les cœurs simples

et droits

tu dois y être

*

Il y a

à Saint-Quentin (Aisne)

dans la basilique

un dallage en labyrinthe

appelé "La Lieue de Jérusalem"

.

Ceux qui ne pouvaient

faire pèlerinage

aux Lieux saints

s’y usaient longuement

douloureusement

les genoux en pénitents

.

Nous la découvrîmes

ensemble

j’achetai sur place

cette carte postale

qui témoigne aujourd’hui

sur ton carrelage glacé

tu l’as terminée seule

ta lieue

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