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La script réalité, une production tabloïd 

mercredi 24 octobre 2012, par Rédaction

La RdR vous propose cette réflexion du groupe 25 images sur le sens des politiques de soutien à la constitution d’un patrimoine de création audiovisuelle devant le déferlement y compris sur le service public de programmes de scripted reality se revendiquant oeuvres.

Comme « Popstar » en son temps s’est voulu documentaire, « Le jour où tout a basculé » ou « Si près de chez vous » par exemple, se rêvent œuvre de fiction. A l’heure où le CSA ouvre une concertation sur la qualification en œuvre audiovisuelle de ce type de programmes*, les professionnels de la fiction veulent fermement rappeler l’élément fondamental qui prévaut à toute création d’œuvre de fiction : la distanciation au réel, à partir et au travers d’un imaginaire d’auteur accompagné d’un point de vue narratif.

Dans un programme de script réalité, l’intention première consiste au contraire dans une mise en situation du réel de manière fictive (mais non fictionnelle) à partir d’un concept proposé à l’auteur : reconstitution de faits divers criminels réels ; mise en scène de personnages confrontés à une décision réelle capitale ; réaction de personnages devant un événement inattendu. La script réalité se développe autour de concepts, économiquement très rentables pour les chaînes qui les diffusent, dans une seule logique d’audience à moindre coût. Cette logique est d’ailleurs revendiquée comme telle, y compris par les chaînes de service public.
L’ironie de la script réalité développée en France est qu’elle utilise en effet, dans certains cas, des codes de la fabrication de fictions (recours à des auteurs, à des comédiens) pour créer du "faux reportage" à sensation : récit par la voix off, images vidéo volontairement banalisées, cadres en plans moyens caméra à l’épaule sans recherche de mise en scène visuelle, éclairage naturel etc., sans aucune intention filmique... . L’objectif est bel et bien de créer une similarité avec l’image du reportage afin de faciliter l’adhésion du public car cette image lui paraîtrait « vraie ». Deux raisons au moins expliquent le recours à ces méthodes de production de programmes développés sur la base de concepts totalement marketés :

- Les histoires réelles pour lesquelles il est demandé aux comédiens (ou non) une mise en situation réelle ne peuvent faire l’objet d’un reportage qui implique un traitement journalistique. Rappelons que le travail journalistique se conforme à des règles déontologiques et éthiques. D’une certaine manière, les traitements artistique et déontologique quasiment inexistants de ces programmes pourraient être comparés avec ceux des tabloïds ou des journaux de faits divers.

- La deuxième raison est d’ordre économique : ces émissions de flux permettent de faire des programmes à très bas coûts, notamment en s’exonérant de l’acquisition de droits d’auteurs sur les histoires réelles (ce qui pourtant se fait en fiction dans le cas d’adaptation de livres de témoignages ou à caractère biographique par exemple), en produisant dans des temps records un contenu impossible à produire en vrai reportage.


Quand bien même, dans ces économies ultra serrées, les auteurs seraient rémunérés selon les usages du secteur de la fiction, les talents et les techniciens seraient assurés d’être rémunérés sur la base des minima sociaux en vigueur dans ce secteur, ce qui relève du challenge à 30 000 euros de budget l’épisode (le coût de fabrication est inférieur à celui d’un reportage), cela n’en fait pas pour autant une œuvre audiovisuelle de création fictionnelle dont l’essence même est l’extrapolation du réel grâce à un point de vue d’auteur, à un espace donné à l’expression de multiples talents pour concevoir une œuvre de création.

Le recours à la script réalité, dans un effet de mode et une recherche de la rentabilité maximale, pourrait se comprendre sur des chaînes commerciales. Ce qui ne peut s’admettre, c’est la volonté de ceux qui diffusent et produisent ces programmes de détourner l’esprit des dispositifs de soutien à la création (aides à la production gérées par le CNC, investissements en production d’œuvres audiovisuelles obligatoires contrôlés par le CSA). Sa place sur France Télévisions pose, elle, véritablement la question du rôle et des missions du service public de l’audiovisuel. Elle pose la question de la considération du téléspectateur qui s’acquitte d’une redevance et qui est en droit de se voir proposer une offre de service public distinctive et mieux disante culturellement.

À l’heure des réflexions sur le 2ème acte de l’exception culturelle, nous appelons solennellement les pouvoirs publics à ne pas vider de son sens la notion même de patrimoine culturel audiovisuel et la notion d’Œuvre.

Le groupe 25 images

P.-S.

* En 2012, l’épidémie de "scripted reality" (réalité scriptée), envahit toutes les chaînes : Au nom de la vérité et Mon histoire vraie (TF1), Le jour ou tout a basculé (France 2), Si près de chez vous (France 3), Face au doute (M6), Hollywood Girls (NRJ12), Paris jour et nuit et Les Chtis à Mykonos (W9) etc...

A LIRE :

Sur lemonde.fr : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/24/scripted-reality-aussi-vrai-que-nature_1764087_3246.html

sur teleobs.fr :
http://teleobs.nouvelobs.com/articles/38112-le-csa-decouvre-la-scripted-reality

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