La Revue des Ressources

Mère 

traduit du birman par Sutiya Laksana

mercredi 14 novembre 2007, par Juu

J’éprouve un grand besoin de raconter à quelqu’un l’histoire d’un serpent que j’ai revu de temps en temps et qui a tourmenté mon esprit pendant longtemps.
Je n’ai encore jamais raconté cette histoire à qui que ce soit. Je vais vous raconter les faits, qui relèvent soit de la réalité, soit de mon imagination. Dans les deux cas, ces faits sont valables pour moi.
Tout s’est bien terminé. Mais cette histoire m’a tellement perturbée que j’ai dû en parler à Paya. [1]
J’ai rêvé de ma mère l’autre soir. Si je m’en souviens bien, cela faisait longtemps que je n’avais pas rêvé d’elle. Je n’avais eu la moyenne à mes examens dans aucune matière. Je voulais tellement emprunter les cours des autres élèves, prendre des notes et étudier que j’étais affolée. Je me rappelle bien que ce jour-là ma voisine de chambre avait eu une visite de sa mère dans l’après-midi. Ainsi, j’avais dû beaucoup penser à mère. L’an dernier, elle était venue dans ma chambre d’étudiante avec des bocaux remplis de « let pet » [2] et de friture de pois. Il était vers les deux heures de l’après-midi quand elle arriva.
« Ma fille, tu dors ? » cria-t-elle fort derrière la porte. Sa voix me combla de bonheur et, lorsque je l’entendis, je me réjouis vraiment. Je me rappelle encore aujourd’hui la façon dont je lui répondis, avec une immense joie.
Mais, l’autre soir, dans mes rêves, ma mère arriva au milieu de la nuit.
Dans mon rêve, j’étais endormie avec mon livre posé sur la poitrine. J’entendis faiblement une voix qui demandait : « Ma fille, tu dors ? », et je vis ma mère apparaître. J’aurais dû savoir que ce n’était qu’un rêve car c’était au milieu de la nuit. Je sautai du lit et regardai dehors. Cependant, sur le rebord de la fenêtre qui était au dessus de l’autre lit inoccupé, je vis son visage. Sa coiffure était belle, son visage était couvert d’une légère couche de « tanaka », et de la voir ainsi me donna de la force.
Je perdis complètement la tête et courus dehors. Lorsque j’ouvris la porte, je fus étonnée et choquée.
« Mère... »
Elle n’était pas dans le couloir.
Il n’y avait personne.
Tranquillité dans les couloirs d’habitude si bruyants ; je commençai à avoir la chair de poule.
« Mère... »
Je criai fort et je n’entendis plus la voix de ma mère.
Je me disais : « Mon dieu, tout à l’heure elle était sur le rebord de la fenêtre, maintenant où est-elle partie ? » Bien sûr, j’étais à moitié endormie, et, évidemment, comment ma mère pouvait-elle venir au milieu de la nuit ? Je fis demi-tour et laissai la porte entrebâillée.
A ce moment, je sentis mon corps se refroidir et se raidir. Ma mère était debout à côté de la table près de la tête du lit. Je ne comprenais plus rien et j’étais abasourdie.
« Mère.... Comment es-tu rentrée ici ? » demandai-je.
Elle regarda vers la fenêtre en souriant.
« Puisque tu avais ouvert la fenêtre, je suis rentrée par là, évidemment » répondit-elle.
Elle portait des vêtements ordinaires, comme à son habitude : une chemise courte, jaune et souple ainsi qu’un longyi avec un fond noir et des motifs de fleurs dorées.
« Je me suis inquiétée pour toi, puisque tu travailles beaucoup, et je suis venue » me dit-elle.
A ce moment, je me réveillai en sursaut.
Ma chambre était sombre et silencieuse. Je m’étais endormie sans avoir abaissé la moustiquaire. Comme dans mes rêves, la fenêtre à côté de moi était ouverte et un vent froid pénétrais dans la chambre. Après quelques instants, je me rendis compte que ma mère ne pouvait plus me rendre visite et je fus remplie de tristesse.
Ma mère m’a laissée il y a un an avec beaucoup d’inquiétude. Chaque fois, que je pense à la mort de ma mère, j’ai l’impression d’avoir reçu un coup fort sur la poitrine et qui me fait si mal. Seulement, maintenant, je me demande, en revoyant le corps paisible de ma mère, si elle est vraiment morte ou si elle s’est juste évanouie. J’ai appréhendé le moment où on allait mettre son cercueil sous terre et la mettre dans le caveau.
« Mère est vraiment morte. Je suis allée la toucher avant qu’elle soit mise dans le cercueil » disait mon frère en me consolant avec le visage en pleurs. Cependant, sans raison valable, je n’arrêtais pas d’avoir peur qu’on l’enterre sans qu’elle soit morte et en pensant qu’elle était peut-être dans le coma. Nombre de fois j’imaginais dans mes rêves que c’était moi, enfermée sous terre sans pouvoir respirer, et cela me faisait sursauter dans mon lit.
Les personnes superstitieuses disent que lorsqu’on enterre quelqu’un, l’âme de cette personne ne peut pas être en paix pendant quelque temps. Mais pour combien de temps, un an, deux ans ou plus ? Pour moi, je m’étais dit que ma mère était partie dans une autre vie.
Cette nuit là, j’avais oublié de laisser la lumière et dans la chambre obscure, sur le lit, je m’allongeai en pensant à mon rêve et en regardant la fenêtre par laquelle ma mère était entrée. A ce moment, un événement étonnant se produisit.

*

Etant donné que mes yeux me jouaient des tours de temps en temps, je pensais que ce qui m’arrivait à ce moment-là était vrai. Cependant j’étais sûre que quelque chose venait de bouger et de disparaître sous le lit. Il y avait un bruit de papier provenant de sous le lit. Ce n’était pas un bruit que j’avais l’habitude d’entendre dans la nuit paisible. C’était le bruit de quelque chose d’étrange, comme une ficelle qu’on faisait bouger. Dans l’obscurité, étonnamment, j’aperçus une chose brillante et tachétée qui passait rapidement devant moi. Dans le noir, cette chose brillante et longue bougeait...
Mon dieu ! C’était un serpent.
La peau luisante et tachetée, il se glissa rapidement sous mon lit.
« Au secours ! » Ce n’est qu’à ce moment que je m’assis sur mon lit. Mon cœur se mit à battre rapidement comme si je tombais dans un précipice. La peur m’oppressait, j’avais des palpitations très fortes. Je pensais à ne pas crier car le serpent était sous mon lit. Mon dieu, je n’osais pas descendre de mon lit, et y rester n’arrangeait rien ! L’animal était d’une forme cylindrique longue de deux mètres et demi peut-être, ce que je ne pouvais vraiment vérifier en raison de ma peur.
Cependant, il fallait que j’allume pour que le serpent ne monte pas sur le lit. Après avoir eu le courage de me baisser pour voir sous le lit, je constatais que le serpent avait disparu ; même sa queue n’était plus visible. J’étais hypnotisée, incapable de savoir si j’avais eu peur ou si je n’étais qu’étonnée. Peut-être éprouvais-je les deux à la fois.
Mais je me demandais si un serpent pouvait monter sur le lit. J’ôtais cette idée effrayante de mon esprit et décidait d’attraper le fil de la lampe de chevet pour allumer.
Une fois la chambre éclairée, ma peur sembla disparaître. Mais le fait que la pièce soit éclairée n’avait pas résolu tout le problème.
Et si le serpent montait sur le lit...
J’étais assise sur mon lit et je sentais mes mains, mes pieds et mon dos gagnés par le froid. Je ne savais pas par quel côté du lit il allait monter. Je me souvenais d’un serpent qui s’était trouvé piégé dans un vieux puits presque à sec, et qui s’accrochait à la paroi sans pouvoir monter. Quelqu’un avait pris un long bâton et l’avait secouru en le faisant sortir du puits. Par conséquent, cela m’assurait qu’un serpent ne pouvait pas monter sur les surfaces lisses et donc qu’il ne pouvait pas monter le long des pieds du lit. Mais j’étais sûre qu’il pouvait tout de même grimper car les pieds de mon lit étaient en bois.
Je ne savais pas trop quoi faire. Si je descendais pour sortir de la chambre, en posant ma jambe par terre, le serpent pouvait me mordre.
J’aurais pu taper des mains très fort à côté du mur pour réveiller ma voisine de chambre, mais j’avais peur qu’elle ne vienne pas pour une raison ou une autre et, si elle venait, que le serpent ne bouge et n’aille se cacher autre part à cause du bruit.
Ma tête fourmillait d’idées. J’attendrais peut-être le moment où le serpent remonterait sur le bord de la fenêtre et, à ce moment-là, je sortirais de ma chambre. Pendant des heures, je restais à surveiller la fenêtre sans fermer les yeux alors que dans le même temps ma bouche séchait. Je savais que la rapidité des serpents ne me laisserait pas le temps de m’échapper.
Cependant, je n’entendais ni ne voyais plus rien.
Quel genre de serpent était-ce ? Venimeux ou pas, je l’ignorais, mais qu’importe, tout serpent est effrayant.
En Birmanie, la ville de Magwe est réputée pour être infestée de serpents. On en trouve où qu’on aille : dans la salle de bain, dans le salon, dans les toilettes, dans les rues, dans les buissons...
Cependant, il ne m’était jamais arrivé qu’un serpent entre dans ma chambre en pleine nuit. Plus j’y pensais, plus j’avais la chair de poule.
Si j’étais mordue, est-ce que je vivrais ? Je me disais que l’hôpital n’était pas si loin. Si j’étais transportée immédiatement après avoir été mordue, j’aurais peut-être la vie sauve. Mon dieu ! est-ce que les hôpitaux avaient des vaccins contre les morsures de serpent ? Bon, je pensais que c’était tout de même des hôpitaux d’État. Mais si je me faisais mordre, et avant de m’évanouir, arriverais-je à réveiller ma voisine dans l’autre chambre ?
Non, je ne devais pas penser à tout cela.
J’avais pensé me plonger dans un livre, mais avec un serpent sous le lit, qui aurait lu ?
A la fin, pour me protéger du danger, je décidais de baisser ma moustiquaire. Sans faire de bruit, je laissai tomber la moustiquaire, et je mis les bords sous le matelas. (En faisant toute cette installation, je décidai de ne pas penser à la tête du serpent qui pouvait surgir à tout moment). Ensuite, je pliai toutes les couvertures pour former une barricade tout autour de mon lit. Ainsi, avec les mains et les pieds rentrés dans les creux de mon corps, je m’installai toute la nuit sans être dérangée par quoi que ce soit.

Voir sur le site « Birmanie : les écrivains face à la dictature » par Sutiya Laksana

Notes

[1Bouddha.

[2Thé fermenté.

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