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Le sens de la démesure 

L’exil d’Hélène

mardi 21 août 2012, par Jean-François Mattéi (Date de rédaction antérieure : 5 novembre 2009).

Le vingtième siècle aura été le siècle de la démesure. Aucune époque ne saurait lui être comparée, aussi loin que notre mémoire remonte. Démesure de la politique, tout d’abord, avec deux guerres mondiales et des conflits régionaux permanents, des déportations et des tortures de masse, des camps de la mort déclinés en allemand et en russe, et, pour culminer dans l’horreur, deux bombes atomiques larguées sur des populations civiles. Démesure de l’homme, ensuite, puisque tous ces crimes ont été commis en son nom, qu’il soit nazi, communiste ou démocrate, ou plutôt au nom d’idéologies abstraites qui, pour mieux sauver l’humanité, ont sacrifié sans remords les hommes réels. Démesure du monde, enfin, avec une science prométhéenne qui a voulu percer les secrets de l’univers, une technique déchaînée qui a cherché à asservir la nature, et une économie mondialisée, sous le double visage du capitalisme et du socialisme, dont les flux incessants d’échanges ont privilégié le prix des choses au détriment de la dignité des hommes. Telle a été la démesure revendiquée du progrès, nouveau Moloch auquel il fallait à tout prix sacrifier. Elle a affecté l’homme tout autant que le monde qu’il habite au point de mettre en péril – ce sera la grande peur du siècle à venir – l’équilibre de la planète et la survie de ses habitants. On l’a imputée, sur le plan théorique, à la raison, et sur le plan historique, à l’Europe, tout en utilisant, pour dénoncer les excès du rationalisme et de l’eurocentrisme, ces mêmes outils théoriques que l’Occident avait conçus et imposés aux autres civilisations.

La critique marxiste

Il est frappant de constater que la majorité des penseurs du XXe siècle, en suivant la voie de Marx ou celle de Nietzsche, a discerné sous le masque de la raison le visage de la violence et pressenti dans les avancées modernes un retour aux vieilles barbaries. Pour les tenants de la critique socialiste, dans la lignée de la révolution française, c’est l’histoire tout entière qui, conduite par la lutte des classes, doit être dénoncée comme inhumaine même quand elle se réclame de la rationalité. Il suffit de lire la Dialectique de la raison, de Max Horkheimer et Theodor Adorno, pour constater que leur théorie critique, au rebours de la théorie traditionnelle qui, depuis les Grecs, postulait l’autonomie de la raison, impute à cette même raison la déshumanisation de l’homme. La mesure des Lumières ne serait que l’artifice de la démesure des Ténèbres, la civilisation éclairée, le travestissement d’une sombre barbarie, et la subjectivisation du sujet, la disparition de l’humanité. Les auteurs marxistes n’hésitent pas à faire remonter la perversion de la raison, et donc l’aliénation de l’humanité, à la naissance de la philosophie, avec l’ontologie de Parménide qui aurait imposé à la tradition la tyrannie de l’Un sur le jeu chatoyant des multiplicités. La science elle-même n’est pas épargnée puisque, toujours dans son commencement grec, elle aurait soumis la pensée à la contrainte de la démonstration et à la clôture du système. Dès lors, la condamnation de cet excès de théorisation est définitive : « La raison est plus totalitaire que n’importe quel système. Pour elle tout est déterminé au départ : c’est en cela qu’elle est mensongère » [1].
Mais ce n’est pas assez que de condamner la philosophie et la science. Il faut remonter plus haut dans le temps pour voir apparaître l’ombre de l’hubris dans les récits mythiques. Horkheimer et Adorno ne lisent pas l’Iliade et l’Odyssée à la mesure de la poésie, mais à la démesure de la guerre. Le personnage d’Ulysse, qui deviendra le modèle de l’homme européen dans la littérature, de Virgile à Joyce, est ramené à la figure de l’individu bourgeois dont « la socialisation radicale » est la manifestation hypocrite de l’« aliénation radicale » [2]. L’apparition de la subjectivité de l’homme à travers la figure du héros antique se reconnaît d’emblée par une affirmation violente de soi qui s’épanouit dans le déchaînement de l’orgueil. La démesure native du roi d’Ithaque se révèle, non seulement par sa ruse et sa cruauté envers ses adversaires, pensons au pieu enflammé plongé dans l’œil du Cyclope, mais par le massacre final des prétendants lors de son retour au palais. Homère décrit en ces termes l’aspect bestial d’Ulysse qui règne à nouveau sur un monceau de cadavres :
« Il était tout souillé de poussière et de sang. On eût dit un lion qui vient de dévorer quelque bœuf à l’enclos : son poitrail et ses deux bajoues ensanglantées en font une épouvante. Des pieds au haut des bras, c’est ainsi que le corps d’Ulysse était souillé » [3].
S’il est vrai, cependant, selon la thèse majeure d’Horkheimer et Adorno, que la caractéristique profonde de la rationalité est sa tendance à l’autodestruction, on peut supposer que le marxisme lui-même n’est pas épargné. Il s’est en effet toujours présenté, en premier lieu chez Marx, comme la seule véritable science, celle de l’histoire, et, par conséquent, comme le seul système rationnel. On se souvient des prétentions de la science matérialiste ou prolétarienne, vraie par principe, et de sa condamnation de la science idéaliste ou bourgeoise, fausse par essence, à l’époque soviétique. L’affaire Lyssenko aura été l’illustration la plus grossière de cette hubris idéologique qui a affecté les sciences expérimentales elles-mêmes. Mais le mal est plus profond, et la démesure plus grande encore, lorsque l’on envisage la philosophie marxiste dans la pureté de son dogme. La violence de la rationalité révolutionnaire produit alors des effets de barbarie revendiqués dans la réflexion théorique avant de les réaliser concrètement dans la pratique sociale, que ce soit sous la forme de la déportation des koulaks, de l’institution du Goulag, ou de la création d’un homme nouveau sur la ruine de l’ancien.
La pensée de Walter Benjamin en est le meilleur exemple parce qu’elle articule la rationalité marxienne, d’obédience politique, à l’attente messianique, d’inspiration religieuse, dans l’horizon attendu d’une révolution destructrice. C’est là corrompre, avec la politique et l’histoire, la théologie et le salut dont elle est le dépositaire. Les célèbres Thèses sur le concept d’histoire en témoignent [4]. Pour juger l’histoire humaine, et la changer radicalement, Benjamin utilise une image ludique qui lui est inspirée par l’illusionniste Johann Nepomuk Maelzel. Venu d’Europe, ce dernier exhibait aux États-Unis, dans les années 1830, un automate turc joueur d’échec que les spectateurs avertis pouvaient affronter, mais qu’il battait presque toujours. Un truquage astucieux du dispositif faisait croire au public que personne n’était caché dans l’automate alors qu’un nain bossu, d’une grande force aux échecs, se trouvait à l’intérieur. Walter Benjamin, qui trouve ce récit chez Edgar Poe [5], n’hésite pas, à l’analogie de Maelzel, à dissimuler dans le corps du matérialisme historique l’esprit d’un autre nain, « la théologie, petite et laide », afin de donner une finalité éthique à la révolution. Il reconnaît ainsi, avec la subordination de la théologie à l’histoire, ce qu’il nomme le caractère destructeur du marxisme dont il loue la radicalité. « Le caractère destructeur ne connaît qu’un seul mot d’ordre : faire de la place ; qu’une seule activité ; déblayer » [6]. La poésie abstraite de ce morceau de bravoure sur la destruction ne fait que justifier, sous un prétexte de pureté messianique, ce que Benjamin qualifie, pour s’en féliciter, de « barbarie positive » [7]. L’idéologie politique détruit consciemment ici l’espérance éthique au profit de cette nouvelle barbarie dont la démesure pénètre désormais la raison comme l’histoire.

La critique libérale

Dans une perspective opposée, mais d’une façon aussi radicale, les auteurs inspirés par Nietzsche, que ce soit dans le projet d’une restauration de l’humanisme, comme Paul Valéry et George Steiner, ou dans le projet d’une déconstruction de la métaphysique, comme Heidegger et Jacques Derrida, ont souligné l’absence de mesure du monde actuel. Les antimodernes, d’abord, chantres d’une approche libérale de la culture, se sont retournés avec nostalgie vers le monde prémoderne. On le constate dans l’œuvre d’Eric Voegelin qui critique la décomposition de l’expérience traditionnelle de l’homme dans sa participation au monde et à la cité, et, en manière de contraste, la dérive gnostique d’un temps qui refuse de s’ouvrir à la transcendance [8]. Pour lutter contre l’appauvrissement de la vie en commun, et les dérives totalitaires de l’époque, qu’elles soient nazies ou communistes, son grand ouvrage, Ordre et Histoire, reprend dans son premier volume l’intuition platonicienne de la communauté de la justice ou koinônia. En écho au ciel et à la terre, aux dieux et aux hommes qui forment, selon Socrate, les quatre instances où se mesure l’ordre du monde [9], Voegelin fait appel à une figure tétradique assemblant « Dieu, l’homme, le monde et la société » au cœur de « la communauté primordiale de l’être » [10]. En dehors de cet ordre harmonique qui articule doublement l’humain au divin et l’action politique au monde commun, sans jamais franchir leurs limites, l’histoire, dépossédée de mesure et de transcendance, se dissout dans un flux venu de nulle part et se perdant dans le néant. L’auteur s’en prend ainsi à la déformation de la raison, à l’effondrement des institutions traditionnelles, comme à la destruction de la science politique incapable de penser et de réaliser la véritable expérience de la communauté. L’homme d’aujourd’hui, privé de tout enracinement mondain et divin, devient un étranger à son propre monde dans lequel il ne se reconnaît plus.
À la même époque, Léo Strauss renforce ce diagnostic de la dissolution de la rationalité politique dans la perte de toute mesure ou de tout étalon : « Aujourd’hui la philosophie politique est dans un état de délabrement, voire de putréfaction, si même elle n’a pas entièrement disparu » [11]. Quelle était en effet la marque des spéculations de Platon et d’Aristote à la naissance de la réflexion sur la vie en commun des hommes ? Elles recherchaient le meilleur ordre de la cité et elles ne pouvaient le trouver que dans « un horizon absolu ou naturel, par opposition aux horizons historiques et changeants comme celui de la caverne de Platon » [12]. Cet horizon limitait naturellement le champ de la recherche afin d’inscrire l’homme et sa communauté dans une mesure fixe et permanente. Strauss reconnaît en cette limite l’exigence d’une norme idéale, et transcendante, qui permet de juger ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, quelles que soient les conditions de l’expérience, pour ne pas livrer l’action humaine aux diverses formes de l’excès :
« La supposition d’une telle transcendance avait permis aux hommes des époques antérieures de faire une distinction soutenable entre la liberté et la licence. La licence consiste à faire ce qui nous plaît ; la liberté consiste à faire de la manière convenable seulement ce qui est bien ; et notre connaissance du bien doit venir d’un principe supérieur, elle doit venir d’en-haut. Ces hommes reconnaissaient une limitation de la licence qui venait d’en-haut, une limitation verticale » [13].
Si la philosophie classique, depuis les Grecs, était la recherche d’un ordre éternel dans lequel l’homme puisse s’inscrire, ce qui revenait à articuler l’éthique à la cosmologie et à trouver dans le monde l’orientation vers le Bien, la philosophie moderne a préféré, en faisant basculer un ordre humain vertical sur un contrat social horizontal, abolir tout horizon naturel de l’existence. À la mesure de la raison succède la démesure de l’historicisme qui justifie les formes les plus surprenantes de comportement humain dès lors qu’elles sont pratiquées dans la vie publique. Sans une mesure arbitrale à vocation universelle, l’individu devient incapable de prendre devant les faits le recul nécessaire pour porter un jugement critique. Telle est la misère de l’historicisme contemporain qui, rejetant le droit naturel qui établissait les limites de ce que les hommes peuvent ou non franchir, se condamne au relativisme, sinon au nihilisme. Chez les Anciens, continue Strauss, philosopher signifiait sortir de la caverne, s’arracher aux apparences pour s’élever vers le principe universel, d’ordre politique, éthique ou cosmique, susceptible de garantir une vie bonne et de donner un point fixe à une existence passagère. L’échec de la rationalité moderne, qu’elle prenne une voie démocratique ou totalitaire, tient à ce que, à la différence de la rationalité classique, son idéologie ne recherche plus ce qui serait le meilleur dans l’ordre politique et qui privilégierait l’intérêt commun sur les désirs privés. Elle se contente de prendre acte des faits et des principes qui les commandent pour la seule raison qu’ils trouvent une expression sociale. Léo Strauss souligne de façon caustique cette démesure du temps : « Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé » [14].

La critique d’Hannah Arendt

Les penseurs antimodernes mettent en évidence le fait que la perte du sens des limites entraîne inéluctablement la perte du sens de l’existence. Ils empruntent à Nietzsche la catégorie du nihilisme pour qualifier la démesure d’un monde qui, dans son mouvement incessant de fuite en avant, a abandonné toute référence à une limite. Hannah Arendt a longuement établi, dans The Human Condition, comment le concept de processus était devenu « le concept-clé de l’époque et de ses sciences, historiques et modernes » [15] à partir de la catégorie sociale du travail. Si les processus sociaux, politiques, économiques, financiers, mais aussi scientifiques, techniques et, finalement, vitaux, commandent l’existence entière des hommes, dans un développement sans fin, alors aucune limite morale ni aucune mesure politique ne peuvent régir les contenus des changements qui se déroulent en dehors de la volonté humaine. Tout processus, entendu comme un mouvement autonome et continu, se montre étranger à une mesure qui le limiterait de l’extérieur pour juger de sa légitimité. L’animal laborans, c’est-à-dire le travailleur moderne, est inscrit dans un cycle infini de développement technique, économique et social indifférent aux normes éthiques ou cosmiques qui pourraient le borner. La réalité de l’homme, ainsi que celle du monde, se réduit alors à une suite de flux naturels et artificiels, réels ou virtuels, dont la croissance exponentielle d’Internet est l’exemple le plus récent.
Comme le travail humain, inscrit dans le cercle des processus vitaux, ne possède pas plus de fin que de commencement, il est conduit à éliminer toute limite de temps et d’espace, mais aussi toute mesure religieuse ou morale, juridique ou politique, pour se livrer à la démesure d’une activité infinie. Hannah Arendt a pressenti, dès les années soixante, que les processus techniques, dont la machine est l’origine comme le terme, prolongeaient la circularité sans fin des processus biologiques en abolissant toute mesure. Son illustration la plus remarquable est celle des marchés financiers dont le développement mondial se révèle impossible à limiter par des mesures politiques ou économiques, et moins encore par des règles juridiques ou morales. La rationalité elle-même, la plus haute exigence de la culture humaniste depuis la Grèce, devient « une simple fonction du processus vital » [16], au même titre que l’accumulation des richesses et l’accroissement de la violence. L’hubris du monde moderne, aux yeux d’Arendt, tient alors à l’application de la notion de processus à toutes les activités humaines. Il y va d’une décision proprement ontologique, et pas seulement historique : dans l’époque moderne, « à la place du concept d’Être, nous trouvons maintenant le concept de processus » [17]. Et si le propre de ce qui est consiste à se tenir dans la fixité de ses limites, qu’elles soient celles des dieux, des hommes, de la terre ou du monde, le propre de ce qui devient consiste à abolir toute mesure étrangère à l’écoulement de son flux.
Il en résulte une perversion du mouvement rationnel qui commande l’ensemble des aspects de la modernité, qu’il concerne les recherches scientifiques, les innovations techniques, les expérimentations biologiques, les comportements sociaux, les échanges économiques ou les spéculations financières. Jamais, cependant, la démesure n’a été et ne reste aussi évidente que dans le champ de la politique et, de façon très concrète, de la vie en commun. La pensée et l’action de l’homme traditionnel étaient maintenues par des principes théoriques et des règles pratiques, trouvant ainsi leur légitimité dans une mesure supérieure, d’ordre social et religieux. La mesure supprimée, le mouvement des choses, considéré en lui-même, devient irrésistible et entraîne le démantèlement systématique de la réalité. Gilles Deleuze a théorisé ce mouvement de « déterritorialisation », sous la forme de corps sans organes ou de monde sans limites, en appelant à substituer au metrion grec « un pur devenir sans mesure, véritable devenir fou qui ne s’arrête jamais » [18]. C’est ce même flux nihiliste, dont le principe métaphysique avait été énoncé par Nietzsche, qui a emporté l’Europe dans la logique de mort des deux guerres mondiales. Il a encore irrigué cette folie de destruction qui a entraîné des centaines de millions de morts et cet embrasement insensé qui a consumé les mouvements totalitaires sur les ruines de la démocratie.
Les analyses classiques d’Hannah Arendt ont établi que la Terreur totalitaire était « la réalisation de la loi du mouvement ». Elle a fait en sorte que « la force de la Nature ou de l’Histoire puisse emporter le genre humain tout entier dans son déchaînement » [19]. L’action de l’homme devient effectivement démesurée quand la Nature et l’Histoire ne sont plus garantes de la permanence de la vie, mais deviennent des forces aveugles qui détruisent la masse indifférenciée des individus, non pas par un appareil répressif d’État, mais par « un mouvement constamment en mouvement  » [20]. Faute de limites ontologiques, éthiques et politiques, l’individu ne tire plus son humanité d’une instance supérieure qui donne un sens à son existence. Il se dissout dans le processus déclinant de la vie et dans le mouvement aveugle de l’histoire qui débouchent sur le néant. Les totalitarismes du XXe siècle ont prospéré sur ce terreau fuyant en interdisant aux hommes de trouver un point d’Archimède en dehors d’eux. Hannah Arendt montre en ce sens à quel point les principes destructeurs du nazisme et du communisme se fondaient sur de prétendues lois du mouvement qui réduisaient l’être humain à des processus vitaux réglés par des procédures administratives. Les nazis justifiaient ainsi leurs lois raciales par une argumentation fondée sur une législation biologiste, alors que les communistes justifiaient leur politique du Goulag par un recours aux lois de l’histoire, la seule science que Marx avait reconnue. Arendt en conclut logiquement que la nature et l’histoire ne sont plus « la source d’autorité qui donne stabilité aux actions des mortels ; elles sont en elles-mêmes des mouvements » [21]. L’application de cette loi du mouvement, qui n’est plus tempérée par aucune mesure, prend nécessairement le visage de la terreur qui est la forme moderne de l’hubris grecque. J’aurai l’occasion d’y revenir.
La critique de Heidegger
Quant aux déconstructeurs de la raison, dont le plus grand reste Heidegger qui exigeait la « destruction de l’histoire de l’ontologie » en 1927, dans le paragraphe 6 d’Être et Temps, ils partagent avec les restaurateurs de la tradition un même souci de dissiper la démesure du temps. L’œuvre entière de Heidegger revient à critiquer le projet rationnel de la métaphysique dans lequel s’inscrit la modernité qui donne lieu, dans l’ordre pratique, à la domination sans limites de la technique. Appliquant l’analyse philosophique à la sphère politique, l’auteur d’Introduction à la métaphysique montre que « la Russie et l’Amérique sont toutes deux, du point de vue métaphysique, la même chose : la même frénésie sinistre de la technique déchaînée et de l’organisation sans racines de l’homme normalisé » [22]. Et, pour mettre en évidence cette démesure technicienne qui tend à détruire l’homme, il définit ses cinq principales caractéristiques : « L’obscurcissement du monde, la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l’homme, la suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre » [23]. Cet obscurcissement du monde, privé désormais de vraie lumière, se manifeste par la disparition de la mesure et de la limite qui le constituaient comme monde. Heidegger éclaire cette notion de « limite », en laquelle il voit l’un des termes essentiels de la langue grecque, en décrivant le haut-relief du musée de l’Acropole d’Athènes que l’on connaît sous le nom de l’Athéna pensive ou de l’Athéna à la borne :
« Athéna apparaît comme la skeptoméné, celle qui médite. Vers quoi le regard méditatif de la déesse est-il tourné ? Vers la borne, vers la limite. La limite n’est certes pas seulement le contour et le cadre, n’est pas seulement le lieu où quelque chose s’arrête. La limite signifie ce par quoi quelque chose est rassemblée dans ce qu’elle a de propre pour apparaître par là dans toute sa plénitude, pour venir à la présence. En méditant sur la limite, Athéna a déjà en vue ce vers quoi l’action humaine doit tout d’abord regarder pour pouvoir porter ce qu’elle y a vu dans la visibilité d’une œuvre » [24].
La sagesse, incarnée par la déesse, prend ici la forme du regard préalable qui porte sur la présence invisible de la chose avant qu’elle parvienne à la visibilité. J’en proposerai une illustration dans la peinture pour répondre à l’exemple de la sculpture choisi par Heidegger. Cézanne est sur le chemin de Bibemus devant le massif de la Sainte-Victoire. Il ne cherche pas une théorie picturale – « Les théories vous foutent dedans… » dit-il à Joachim Gasquet – mais un regard sur ce qu’il nomme le « motif ». Pour exprimer ce motif qui rendra l’âme de la montagne provençale, il joint les mains, puis les écarte, les dix doigts ouverts, les rapproche lentement et les joint, les crispe et les fait pénétrer. Il enserre le monde dans la limite de son regard et la mesure de ses mains, bientôt de ses pinceaux et de ses couleurs, sans qu’« il y ait une seule maille trop lâche, un trou par lequel l’émotion, la lumière, la vérité s’échappe » [25]. Et « cette obsession cosmique qui nous dévore », dont il parle alors, se révèle par la soumission de l’artiste à ce qu’il doit traduire : la montagne apparaît dans sa présence à soi de telle façon que ses tons et ses couleurs deviennent des rochers et des arbres en se faisant peu à peu plans et perspectives. Quand tout conflue en un même regard, ce qui est la mesure du motif qui interdit à la nature de s’échapper, alors, dit le peintre, « ma toile joint les mains ». Enserrée dans ses propres limites, « elle ne vacille pas. Elle ne passe ni trop haut, ni trop bas. Elle est vraie, elle est dense, elle est pleine … ». En un mot, elle est sa propre mesure qui est, en parallèle avec le paysage aixois, la mesure du monde. C’est bien la mesure du massif montagneux qui a conduit la mesure du regard sans que le peintre intervienne pour briser ce frêle équilibre : « Mais si j’ai la moindre distraction, la moindre défaillance […], si je pense en peignant, si j’interviens, patatras ! Tout fout le camp » [26].
Cézanne, au cours de ses entretiens avec Joachim Gasquet, regrettait la perte de la maîtrise picturale de son époque, allant jusqu’à avancer qu’il était le seul peintre de son temps. Quand il imputait les renoncements de l’art moderne, de plus en plus étranger à la tradition, à l’intrusion dans l’œuvre de la subjectivité de l’artiste, c’est-à-dire de la démesure de l’homme dans la mesure du monde, il anticipait la réflexion heideggerienne sur la limite, mais aussi sa critique de l’hubris de la rationalité. Dans sa conférence de 1938, « L’Époque des conceptions du monde », Heidegger distingue, à côté des autres phénomènes majeurs des temps modernes – la science (Wissenschaft), la technique mécanisée (Maschinentechnik), l’activité des hommes comprise comme civilisation (Kultur), et le dépouillement des dieux (Entgötterrung) – ce qu’il nomme « l’entrée de l’art dans l’horizon de l’esthétique (die Kunst in den Gesichtskreis der Ästhetik rückt) » [27]. Cette intrusion – Cézanne l’avait pressenti : « si j’interviens, patatras ! Tout fout le camp » – est dans l’ordre de l’art la perte de la mesure de la nature désormais asservie à la démesure de l’artiste. Il choisira désormais de suivre, non plus le motif du monde, mais la sensation, aisthesis, de l’individu, comme on le voit depuis l’impressionnisme.
Si Heidegger a tenté de détruire l’histoire de l’ontologie et de dépasser la métaphysique, c’est précisément parce que les diverses manifestations de la rationalité, en germe dans les spéculations grecques sur le logos, qu’elles prennent la forme de la science, de la technique, de la civilisation, de l’oubli des dieux et de l’esthétisation du monde, présentent l’aspect analogue d’une perte de la mesure. Mais le souci critique de la raison sera poussé à son tour à la démesure par la déconstruction de Jacques Derrida et de ses épigones qui, telle l’anneau de Mœbius, s’enroule indéfiniment sur elle-même pour s’achever dans la perte totale de sens. Si nous en croyons l’aveu de Derrida : « La déconstruction du logocentrisme, cela ne veut rien dire […] Partout où elle opère, “la pensée ne veut rien dire” » [28], la dérive d’une écriture sans limite, perdue à jamais dans les sables de l’indifférence, interdirait à l’homme de trouver un sens dans le monde.

La critique d’Albert Camus

Poussée à son terme, la critique de la démesure au XXe siècle en est venue à engendrer la démesure de la critique. Marx avait aperçu ce renversement logique quand il opposait, du point de vue révolutionnaire, les armes de la critique à la critique des armes. Ce n’est pas cependant sous l’angle de la révolution, mais sous celui de la révolte, qu’Albert Camus s’est élevé contre un monde privé de mesure par « les petits Européens » [29] et par « l’ignoble Europe » qui a déserté « la terre de l’humanisme » [30]. L’auteur de L’Homme révolté a voulu déchiffrer dans « la démesure de notre temps » l’histoire ancienne de « l’orgueil européen » [31]. S’il n’a pas été le seul, nous l’avons vu, à relever cet excès au point de remettre en question ce qui relevait de l’héritage de l’Europe, il a été l’un des rares à le penser en termes de démesure éthique et cosmique en revenant à ce que Simone Weil avait appelé la source grecque. C’est donc à cette dernière, plus qu’à son relais romain dont l’originalité en ce domaine n’est pas grande, que je me réfèrerai à mon tour en incitant le lecteur à me suivre sur une terre aujourd’hui délaissée.
Le texte majeur de Camus sur la mesure et la démesure est sa méditation sur « L’Exil d’Hélène », l’un des huit essais de L’Été. Il noue, en un contrepoint serré, l’envers et l’endroit du monde avec l’exil et le royaume de l’homme. Tout commence par l’expérience existentielle d’un écrivain étranger aux systèmes philosophiques ; le milieu universitaire parisien le lui fera vite sentir. Vouée au tragique solaire de la Méditerranée, la révolte camusienne trouve son ancrage dans la pensée grecque qui s’est toujours réclamée de l’« idée de limite » [32]. En s’arrachant à cette limite dans laquelle s’exprimait la tension constante de l’homme et du monde, l’Europe a déserté son âme. La science, depuis la révolution copernicienne, avait la première dénoué la terre de son soleil en la précipitant dans un univers vide de dieux et dénué de sens. Nietzsche avait pressenti que ce geste prométhéen ne signifiait pas seulement la mort de Dieu, mais la disparition de l’homme et la désolation de la terre. La philosophie et la politique ont à leur tour sacrifié à cette démesure de la raison en tentant d’embrasser la totalité des choses sans tenir compte de leurs limites. Le paragraphe 125 du Gai savoir, intitulé justement « Le dément », décrit l’état pathologique d’un monde dépourvu d’origine aussi bien que de fin :
« Qui nous donna l’éponge pour faire disparaître tout l’horizon ? Que fîmes-nous en détachant cette terre de son soleil ? Où l’emporte sa course désormais ? Où nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abîmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arrière, de côté, en avant, de tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? » [33]
« L’Exil d’Hélène » reprend les mêmes questions et les mêmes angoisses, en utilisant un symbolisme cosmique analogue dans une perspective directement éthique et politique. L’Europe, « fille de la démesure » [34], a détruit, dans son obsession de maîtrise totale, les limites fixées de l’homme et du monde. « Nous avons conquis à notre tour, déplacé les bornes, maîtrisé le ciel et la terre. Notre raison a fait le vide. Enfin seuls, nous achevons notre empire sur un désert ». [35] Camus n’oublie pas que, selon l’enseignement de Zarathoustra, le désert croît : ses dunes, indéfiniment mouvantes, effacent toute limite et dissipent tout horizon. Sa critique de l’hubris rationnelle de l’Europe prend alors la forme d’un dualisme essentiel exprimé par des couples de contraires. Ils sont présents au long des textes et dans les titres d’ouvrages ou de chapitres : « L’Envers et l’endroit », « Entre oui et non », « Nihilisme et histoire », « Nature et devenir », « L’Exil et le royaume », « L’Homme et le monde », et, bien entendu, « Mesure et démesure ». Si Nietzsche utilisait un langage théologique en opposant, pour définir le monde tragique de l’Europe, Apollon à Dionysos, Camus fait usage, non plus de noms de divinités, mais de catégories ontologiques. Elles prennent alternativement la forme éthique de « Mesure et de démesure » [36] ou la forme cosmologique de « Midi et minuit ».
Zarathoustra disait qu’à midi, l’heure de l’ombre la plus courte, l’Un se scindait en deux. Camus joue analogiquement sur l’opposition de midi et de minuit, de la lumière et de l’ombre, du jour et de la nuit, sans privilégier le premier terme, mais en équilibrant toujours le jeu des contrastes. Quand il avance que la mesure est « un conflit constant, perpétuellement suscité et maîtrisé par l’intelligence », il reconnaît que l’hubris gronde sous la surface, sourdement, ce qui revient à admettre que « la démesure garde toujours sa place dans le cœur de l’homme » [37]. Mais c’est en même temps reconnaître que, « au cœur de la nuit européenne, la pensée solaire, la civilisation au double visage, attend son aurore » [38].
Double visage, en effet, que nous ne discernons plus dans cette tête de Janus, envoûtés pour les uns par sa face nocturne, éblouis pour les autres par sa face lumineuse. Aussi, telle sera l’intuition directrice de Camus, « l’Europe n’a jamais été que dans cette lutte entre midi et minuit. Elle ne s’est dégradée qu’en désertant cette lutte, en éclipsant le jour par la nuit » [39]. Retrouver cet équilibre, et donc refuser toute éclipse, de lune comme de soleil, c’est révéler à l’Europe son vrai et double visage qui est à la fois nocturne et solaire. Pour le dire en termes éthiques, pour mesurer une démesure qui est désormais seule au monde, dans cette ténèbre que, à la même époque, Heidegger nommait « la nuit du monde » [40], il faut rétablir l’équilibre de Midi et de Minuit. Camus, comme d’ailleurs Heidegger qu’il n’avait guère lu, pensait que, pour sortir de la nuit européenne qui était bien la nuit du monde, l’Europe devait retrouver une nouvelle aurore. Et l’aurore, au même titre que la déesse Éos qui lui a donné son nom, ne pouvait être pour lui que grecque. Car c’est en Grèce qu’ont été pensées, sous les formes diverses que nous allons rencontrer, ces deux polarités contraires que sont la démesure et la mesure, l’hubris et le metrion. Aussi « la longue confrontation entre la mesure et la démesure qui anime l’histoire de l’Occident, depuis le monde antique » [41] nous impose de faire aujourd’hui retour à ce monde, sur les traces lointaines d’Hélène, pour en comprendre la genèse.

P.-S.

Ce texte constitue l’introduction au ’Sens de la démesure’ paru chez Sulliver en 2009.

Illustration : "Oreste poursuivi par les Érynies" (1862) de William-Adolphe Bouguereau.

Notes

[1M. Horkheimer et Th. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques (1944), Paris, Gallimard, 1974 ; rééd. « Tel », 1983, p. 41.

[2M. Horkheimer et Th. Adorno, La Dialectique de la raison, op. cit., p. 75.

[3Homère, Odyssée, trad. V. Bérard, chant XXII, v. 401-406, Paris Les Belles Lettres, 1933, p. 146.

[4W. Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire (1940, publiées en 1942), Œuvres III, Paris, Gallimard, Folio, 2000.

[5E. Poe, « Le Joueur d’échec de Maelzel » (1836), Histoires grotesques et sérieuses, traduction de Ch. Baudelaire ; Edgar Allan Poe. Conte – Essais - Poèmes, édition de Claude Richard, Paris, Laffont, « Bouquins », 1989, pp. 1035-1055.

[6W. Benjamin, « Le Caractère destructeur » (Der destruktive Charakter, 1931), Œuvres II, Paris, Gallimard, Folio, 2000, p. 330.

[7W. Benjamin, « Expérience et pauvreté » (1933), Gesammelte Schriften, II-I, 214-219, cité in G. Raulet, Le Caractère destructeur. Esthétique, théologie et politique chez Walter Benjamin, Paris, Aubier, 1997, p. 31.

[8E. Voegelin, La Nouvelle Science du politique. Une introduction (1952), Paris, Le Seuil, 2000, p. 183 : « L’essence de la modernité consiste en un accroissement du gnosticisme ».

[9Platon, Gorgias, 508 a.

[10E. Voegelin, Ordre et Histoire (5 vol., 1957-1974), The Collected Works of Eric Voegelin (34 vol.), University of Missouri Press, Columbia & London, 1990, tome XIV, p. 39. Cf. Th. Gontier, Voegelin. Symboles du politique, Paris, Michalon, 2008, p. 52.

[11L. Strauss, Qu’est-ce que la philosophie politique ? (1959), Paris, PUF, 1992, p. 22.

[12L. Strauss, Droit naturel et Histoire (1953), Paris, Plon, 1954, p. 50.

[13L. Strauss, Qu’est-ce que la philosophie politique ?, op. cit., p. 55.

[14L. Strauss, Droit naturel et Histoire, op. cit., p. 15.

[15H. Arendt, The Human Condition (1958), Condition de l’homme moderne Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 119.

[16H. Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 193.

[17H. Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 334.

[18G. Deleuze, Logique du sens, « Du pur devenir », Paris, Minuit, 10/18, 1968, p. 8.

[19H. Arendt, Le Système totalitaire (1951), Paris, Le Seuil, 1972, p. 210.

[20H. Arendt, Le Système totalitaire, op. cit., p. 49. Souligné par l’auteur.

[21H. Arendt, Le Système totalitaire, op. cit., p. 207.

[22M. Heidegger, Introduction à la métaphysique (1935), Paris, PUF, 1958, p. 46.

[23M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit., p. 47. Une formule similaire se retrouve p. 54 : « Un obscurcissement du monde, la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l’homme, la prépondérance du médiocre ».

[24M. Heidegger, « La provenance de l’art et la destination de la pensée », conférence à l’Académie des sciences et des arts d’Athènes (4 avril 1967), Martin Heidegger, L’Herne, n° 45, Paris, Éditions de l’Herne, 1983, p. 86.

[25J. Gasquet, Cézannne (1921), Versanne, Encre Marine, 2002, p. 235.

[26J. Gasquet, Cézannne, op. cit., p. 279 et p. 236.

[27M. Heidegger, « L’Époque des conceptions du monde » (1938), Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1952, p. 69.

[28J. Derrida, Positions, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 56. Souligné par l’auteur.

[29A. Camus, L’Homme révolté, Essais, Paris, Gallimard, 1965, p. 704 et p. 703.

[30A. Camus, Actuelles II, Essais, op. cit., p. 726.

[31A. Camus, L’Homme révolté, Essais, op. cit., Introduction, p. 420.

[32A. Camus, « L’Exil d’Hélène », L’Été, Essais, op. cit., p. 853.

[33F. Nietzsche, Le Gai Savoir, § 125, traduction de P. Wotling, Paris, Le Monde de la Philosophie, Flammarion, 2008, p. 193.

[34A. Camus, « L’Exil d’Hélène », L’Été, Essais, op. cit., p. 853.

[35A. Camus, « L’Exil d’Hélène », L’Été, Essais, op. cit., p. 854.

[36C’est le titre du deuxième chapitre de la Ve partie de L’Homme révolté.

[37A. Camus, L’Homme révolté, Essais, op. cit., p. 704.

[38A. Camus, L’Homme révolté, Essais, op. cit., p. 703.

[39A. Camus, L’Homme révolté, Essais, op. cit., p. 703.

[40M. Heidegger, « Pourquoi des poètes ? » (1946), Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit., p. 220, 221, 261.

[41A. Camus, L’Homme révolté, Essais, op. cit., p. 702.

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