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Les Scandales du Maximón 

lundi 19 mars 2007, par Nathaniel Tarn

Nous sommes sur le lac Atitlán, dans le Département de Sololá, au Guatemala, en Amérique Centrale. C’est un des plus beaux lacs du monde, entouré de collines et de trois volcans majestueux, et là se trouvent plusieurs villages des Indiens Mayas Tzutujil et Cakchikel. Les Mayas de cette région parlent deux des langues du groupe Quiché. Un grand nombre de dialectes, dans ces langues, diffèrent notablement.

Dans mes notes de 1952-53, je décrivais une icône religieuse majeure du village Tzutujil de Santiago Atitlán : le Maximón. Dans sa description, le mot cofradía réfère à une petite communauté de desservants indiens, élus pour un an à tour de rôle, et qui gardent les images en conservant les rituels d’un saint particulier au village, à la fois dans l’église du village et dans leur propre petite chapelle :

Tarn, 1952-53 :

Pour autant qu’on puisse en inférer de témoignages contradictoires, le Maximón est, pour faire simple, un morceau de bois plat d’environ deux pieds et demi sur six à huit pouces d’épaisseur. Un petit pot, une coupe de fer émaillé, est fixé par une lanière au sommet et contient la base d’une autre pièce de bois, une gourde peut-être, qui forme l’essentiel de la tête. En bas, à l’autre extrémité, deux pots contiennent les pieds de bois. L’ensemble du dispositif est pris dans un paquet qui se trouve sur le treillage du plafond de la cofradía de Santa Cruz (la Sainte Croix) en direction duquel tous ceux qui entrent se signent et sous lequel se trouvent en permanence les plus grands cierges. Quand il est paré pour les fiestas, le corps de l’objet est entouré de chiffons et d’enveloppes de maïs, tenus ensemble par une ficelle et assemblés à des bottes. Dans cette cofradía, il y a un habilleur, le telinel, un desservant attaché à la cofradía : c’est un aj’kun, un prêtre indigène ; l’office a été permanent jusqu’en 1950 mais il est maintenant devenu annuel. Le telinel recouvre le paquet, quand il est achevé, avec au moins deux ou trois séries de vêtements offerts par les Atitecos et les pèlerins venus des autres villages. Le résultat est une poupée haute d’environ quatre pieds et demi, vêtue d’une chemise, d’une ceinture et de pantalons dans le style Atiteco, plus un chapeau texan de taille 55, une veste de serge bleue et un bavoir fait d’une trentaine de foulards de soie. Un masque de bois brut couvre la tête.

Cette figurine avait, de façon assez curieuse, attiré l’attention d’un périodique international, l’édition d’Amérique Latine du Time Magazine, pas moins, datée du 2 avril 1951. Ce numéro décrit des événements survenus en 1950, et leurs répercussions en 1951 :

UNE DIVINITE DIABOLIQUE

Les Indiens Tzutujil de Santiago Atitlán, village de 10 000 âmes entouré de montagnes, ont une religion singulière, sorte de composé d’éléments non-assimilés du Catholicisme Romain et d’étranges survivances du paganisme. Leur divinité favorite est une idole aux mœurs dissolues, de quatre pieds de haut, nommée Maximón, qui fume des cigares, porte quatre chapeaux et a l’œil canaille. Fumer est le moindre des vices de Maximón. Avec une plaisante perversité, les Indiens lui accordent une libido sans inhibitions et un joyeux dédain des Dix Commandements.

La semaine dernière, c’était la fête annuelle du Maximón, qui se termine le Vendredi Saint par des danses d’ivrognes, une caricature de la Passion, et des offrandes spéciales à l’idole. A l’extérieur de l’église du village, les villageois faisaient leurs dévotions comme ils les font quand ils font les Chrétiens, et Maximón était installé pour l’occasion dans une chapelle minuscule. Ses gardiens postés là par le hautain Nicolás Chiviliu, le brujo (le sorcier-guérisseur) du village, balançaient des encensoirs, et d’énormes machines à faire du bruit, en bois et pourvues de manivelles. Ils gardaient Maximón contre le prêtre. La plupart du temps, les autres années, pour leur apporter son aide durant la Semaine Sainte, les Indiens avaient jusque là invité un clerc catholique romain à leurs cérémonies mêlées de paganisme et de christianisme. L’an dernier, ils demandèrent ce service au Père Dominicain Godofredo Recinos, résidant sur l’autre rive du lac Atitlán. Quand il tenta de jeter l’idole au feu, les gardiens le repoussèrent. Alors il tira trois coups de feu sur Maximón. Il le rata. Le lendemain matin, jour du Vendredi Saint, il fit un ultimatum : « Ou l’idole païenne quitte ce lieu, ou je m’en vais. »

« Bon voyage », dit Nicolás. Six semaines plus tard, le Padre Recinos revint, il traversa le lac avec son père supérieur dans une chaloupe à moteur. Soutanes en émoi, les prêtres se précipitèrent dans le village. Ils tranchèrent la tête de bois de Maximón, la séparèrent de son corps de paille avec une machette, et ne demandèrent pas leur reste.

Les Indiens furent enragés. Ils firent une nouvelle tête, mais c’était un pauvre substitut de l’originale. Quand le Padre Recinos revint à l’improviste à Santiago Atitlán la semaine dernière sans y avoir été invité, il se heurta au silence et à des visages renfrognés. Le padre, plein d’espoir, offrit de dire la Messe du Vendredi Saint sans se faire payer pourvu qu’on lui fournît le gîte et le couvert. On lui répondit par un silence glacial. En s’en retournant, le padre frappa du poing le Maximón paillard. « Ceci, dit-il, est l’œuvre du diable. » « Padre, dit le brujo, nous sommes fils du diable. »

Nicolás me considère comme son apprenti, je lui lis cet article dès que je le vois. Nicolás est un homme de haute taille, large d’épaules, léonin, immensément généreux, avec un port royal. Nicolás aime l’article. Il ne tique même pas au mot brujo, alors que d’habitude il se met en furie quand on confond aj’kun (chaman, faiseur-de-prière, prêtre indigène) et aj’itz (sorcier, magicien, jeteur de sort). Sans doute accepte-t-il brujo comme d’usage normal pour un étranger.

« Mais je n’ai jamais dit que nous étions fils du diable ! Est-ce que tu peux m’imaginer en train de dire ça ? C’est surtout qu’il avait un pistolet, en fait. Seulement voilà la chose : les cofrades se sont précipités sur lui avant qu’il ne tire. Une balle est tombée par terre et nous la gardons maintenant au fond de la boîte des vêtements du Mam ! » Nicolás n’utilise pas le nom de « Maximón. » Il accepte d’habitude « le Mam », ou « Don Pedro », ou « le Vieux. » Mais pas « Maximón. »

P.-S.

Traduction d’Auxeméry, que nous remercions, ainsi que l’ auteur.

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