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Sur le portrait de Rimbaud à Aden 

lundi 24 mai 2010, par Jacques Bienvenu

Voici les faits : ils se déroulent sur le forum du site Rimbaud Mag4.net. Ce forum a pris une importance inattendue depuis l’intervention, le 23 mai 2010, de Jean-Jacques Lefrère qui a authentifié le nouveau portrait de Rimbaud à Aden. On comprendra dans ces conditions qu’il y soit fait référence ici . Le portrait de l’explorateur Henri Lucereau, a été mis en ligne sur ce forum le 18 mai, révélant qu’il est la copie exacte d’un autre personnage qui figure sur la photo du Coin de Table à Aden qui est devenue célèbre [1].


Détail de la photographie ’Le coin de table à Aden’ (gauche, Libraires associés/Adoc-Photos) / BNF société de géographie (droite)


Qui était Lucereau ? Il avait une mission scientifique dans le but de rechercher les sources de la Sobat, affluent du Nil Bleu. Il était arrivé à Aden en février 1880. Une rencontre, sur laquelle nous reviendrons, eut lieu avec Bardey. Lucereau ne parvenait pas à partir à Harar car il rencontrait l’obstacle du pacha de Zeilah, Abou Bekr, qui s’opposait à son passage. On sait que le bateau de Bardey, qui se dirigeait vers Harar en juillet 1880, croisa celui de Lucereau qui revenait vers Aden. Bardey fit savoir à Lucereau, par un courrier envoyé à Aden, que la voie était libre. C’est donc dans les premiers jours d’août selon nos calculs que Lucerau partit d’Aden. Ceci rend déjà problématique la rencontre Rimbaud – Lucereau, car la présence de Rimbaud à Aden est progressivement délicate à attester avant le 16 août.

On sait que Jean-Jacques Lefrère avait fait de la présence d’Alfred Bardey un élément important, la principale personne qu’il pense pouvoir identifier sur la photographie. Il se trouve que la présence de Lucereau attesté sur la photographie change la donne sur ce point . En effet, lorsque Lucereau est à Aden au tout début du mois d’août, Bardey n’y est plus puisqu’il se dirige vers Harar. Bardey est parti fin juillet 1880 et Rimbaud arriverait dans la première quinzaine du mois d’août à Aden. Ce qui fait que, sur la photographie, la présence de Bardey à côté de Lucereau exclurait celle de Rimbaud à cette date. A partir de l’examen d’agrandissements de la seule photographie connue d’Alfred Bardey et du détail du visage du premier barbu à gauche (le "second barbu" dans la citation de Jean-Jacques Lefrère ci-dessous) sur la photographie récemment découverte, on observe que le faisceau de ressemblances que Jean-Jacques Lefrère avait remarqué est en effet sans équivoque : même nez, même structure de barbe, même implantation de cheveux ras sur les deux photos, la photographie connue étant probablement celle d’un Bardey plus jeune dont le début de calvitie s’est accentué. Le lecteur jugera sur pièce avec l’agrandissement des deux photos visibles sur le forum à la date du 21 mai.

Mais il y a plus. Les souvenirs de Bardey, prochainement réédités, indiquent que celui-ci a été en contact avec Lucereau, précisément à Aden à l’Hôtel de l’Univers à la fin du mois de mai 1880. Le passage mérite d’être cité :

« M. Dubar et moi, installés dans l’hôtel, faisons la connaissance de quelques-uns de ses passagers. L’un d’eux est un Français, M. Henri Lucereau, grand et vigoureux jeune homme qui a obtenu de notre gouvernement une mission dans le but de rechercher les sources de la Sobat, affluent du Nil Bleu. […] Au repas du soir nous faisons part de nos projets d’établissements, déjà connus de M. Suel, à nos compatriotes, MM. Lucereau et Pinchard. Henri Lucereau dit son intention de partir une troisième fois pour la côte afin de pénétrer, si possible, à l’intérieur de l’Afrique et remplir sa mission. […] Après le dîner, chacun s’installe sur le devant de l’hôtel qui sert de terrasse, dans de grands fauteuils dont les côtés prolongés de deux bandes de bois, permettent d’avoir les pieds plus hauts que la tête ce qui est, parait-il, tout ce qu’il y a de plus favorable à la santé, dans ce pays où le moindre mouvement vous met en sueur » [2].

Dans son article du 8 mai paru dans le journal Le Monde, Jean-Jacques Lefrère écrit : « Dans le même temps, le Musée Arthur-Rimbaud, préparant l’exposition sur le séjour de Rimbaud à Aden qui va se tenir de juin à septembre à Charleville-Mézières, entrait en contact avec les descendants de Bardey, dont les archives photographiques pourraient identifier le second barbu de la photographie comme étant Alfred Bardey… Nous donnons ces informations, que corroboreront prochainement les confrontations de divers documents iconographiques, parce qu’elles resserrent encore davantage le contexte de la photographie retrouvée. »
A présent, dans un message envoyé au forum Rimbaud, qu’il a écrit après l’identification de Lucerau faite sur celui-ci, Jean-Jacques Lefrère écrit : « Pour l’instant, la comparaison attentive de l’unique portrait connu d’Alfred Bardey, qui n’avait que 26 ans en 1880, avec le respectable barbu assis à gauche ne permet pas, raisonnablement, de conclure qu’il s’agit du même homme que celui de la photographie déposée à la Société de géographie le 27 novembre 1883 ».

P.-S.

Logo : autoportrait de Rimbaud au Harar.

Notes

[1Ce portrait peut être consulté dans le livre de Claude JEANCOLAS, Passion Rimbaud, les éditions Textuel, 1998, p.157

[2Alfred BARDEY, Barr-Adjam. Souvenirs d’Afrique Orientale 1880-1887, édition de Joseph Tubiana, CNRS, 1981, pp. 25-26.

3 Messages

  • Sur le portrait de Rimbaud à Aden 25 mai 2010 10:35, par Aliette G. Certhoux

    L’acharnement "scientifique" tourne autant au ridicule son intention d’éclaircissement que l’authentification en suspens qu’il pense instruire... en effet, il faudrait citer de nouveau la photographie originale en plan large (voir le lien attaché à ce commentaire) pour s’apercevoir que les sièges sur lesquels sont assis les membres de ce groupe ne se présentent pas dans la posture indiquée par la description citée à preuve : "[...] Après le dîner, chacun s’installe sur le devant de l’hôtel qui sert de terrasse, dans de grands fauteuils dont les côtés, prolongés de deux bandes de bois, permettent d’avoir les pieds plus hauts que la tête ce qui est, parait-il, tout ce qu’il y a de plus favorable à la santé, dans ce pays où le moindre mouvement vous met en sueur [...]"...

    C’est une photo de jour et on ne reconnaît pas les sièges décrits, au contraire tout ce qu’il y a de plus classiques dans un modèle européen — même pas coloniaux dans leur aspect — en matière de fauteuils de bistrots...

    La description est plaisante mais ne correspond pas à l’image — ni probablement à sa datation. Donc on se demande ce qu’elle prétend prouver si ce n’est installer une autre polémique, exotique...

    L’ensemble des points avancés contre l’authentification ne sont pas plus crédibles dans leur recherche d’identification aux portraits des personnages... qui tour à tour peuvent correspondre ou ne pas correspondre à ce que l’on veut nous prouver dans une hypothèse ou dans l’autre.

    Monsieur Bienvenu devrait relire les ouvrages d’analyse et de critique (ou d’esthétique) qui ont parlé des ambigüités de l’apparence naturaliste analogique dans leur saisie techniques.

    Plus cette image est attaquée plus elle paraît décidément inaltérable (irréductible) c’est le seule point révélé par les confrontations.

    Rimbaud c’est toujours le cristal — même s’il était censé arrivé de Chypre à Aden pour fuir une accusation de meurtre, et même si ce n’était pas lui ici : alors désormais c’est lui qui se cache derrière l’autre :)

    Les libraires ont fait leur de réaliser une fiction de "Je est un autre...", or elle est vraie (Nelson Goodman, "Faits, Fictions et Prédictions", et "Langages de l’art").

    Symbolique Omega.

    Voir en ligne : http://www.larevuedesressources.org...

  • Sur le portrait de Rimbaud à Aden 25 mai 2010 14:12, par Frédéric M.

    Cet article est très intéressant. Donc, Lucereau et Bardey furent ensemble à l’Hôtel de l’Univers dans le courant du mois de mai 1880 et ils trouvèrent très agréable la terrasse de l’endroit. Les fauteuils ne sont pas les mêmes, mais cette question n’est-elle pas accessoire ? Nos personnages se seraient-ils prêtés à une photographie les présentant les pieds en l’air, la tête en bas ? D’après sa correspondance, Rimbaud dit qu’il travaille à Aden depuis deux mois le 16 octobre. Il travaille donc depuis le 16 août. Pourquoi certains biographes disent q’il est à Aden depuis le 7 août en l’absence de documents ?

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