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Un genre de serpent littéraire 

(extrait du Dérèglement)

mercredi 28 octobre 2009, par Yann Bourven

Je suis un héros de roman, un vampire, un voleur, un écrivain, un gosse, un comédien, un genre de serpent littéraire !

L’automne derrière est un fruit, mon cœur de lierre s’enroule autour d’une tête de déesse, mon singe-réveil n’a pas sonné ce matin, sous les rochers je cherche le calme, furie du corps et tu danses encore, le ciel est chargé de doutes et le pays est inquiet, amnésiques bien placés frasques soleil gelé autant se serrer les coudes massés dans cette bouillasse économique, les puissants arrogants finiront dans un lac de sang, tu l’entends c’est l’écho de toutes les révolutions qui ont échoué, bêtes sauvages assoiffées qui s’écroulent aux portes du cimetière idéologique, rassemblons nos rêves car la vie ne s’esclaffe plus, glissons nos âmes entre les barreaux des villes zoologiques, feignons de pouvoir tout endurer, nous aboierons devant les portes blindées des exploiteurs en contournant leurs champs de plumes qu’ils plantent comme des tubes à essai dans la fontanelle des enfants suspects.

Tu te couches et les draps du passé prennent feu comme des exils, toutes les louves accouchent en même temps et les poissons volants se gaussent en s’écrasant sur des pontons truqués, époque différente anarchie mal léchée, derrière ces murs dorés les patrons tripotent des femmes qui ont des culs aussi gros que des appartements, le ciel est un couvercle soit ! mais mon drapeau reste noir, ils ne viendront plus pleurer quand ils assisteront au décollage impeccable des oiseaux migrateurs.

Prendre ce chemin chaud le trouver alternatif crever ou résister résister, j’écrase la petite tête d’un poussin et le sang gicle de ses yeux, je tue une baleine et balance ses intestins sur la place de la République car de ce zoo politique je n’ai rien retenu – plus tard, je me baigne dans le marécage des anathèmes, les crocodiles ont mauvaise haleine, quelques cadavres, des artistes libertaires remontent à la surface, en homme terminé je m’accroche aux ailes des femmes-oiseaux.

Refus, créer, rivières ou gouttières, sacrilèges et passeport détruit par des années d’immobilisme, je berce les mondes oniriques mais garde-toi de me fustiger, sinistre con je briserai tes fantômes, je bande dur c’est la nature puisque cette société me pend, et l’hiver est une saison dépassée, les créateurs seront encore pourchassés – tu es trop libre artiste libre libre, on ne veut plus te voir et puis tu fais peur bon dieu avec ton air joyeux et sombre en même temps merde alors tu dérailles qu’est-ce que tu complotes tu t’amuses ou tu travailles ? ils ne te comprennent plus sortis de ces écoles-usines, ressemblent à des animaux qui font de l’argent sur le dos de nos transes, je ne suis pas à vendre, j’ai craché sur vos créations dégonflées, se mouvoir entre les institutions, savent pas lire ou écrire savent plus prendre de risques ces salauds – la réalité n’existe que dans mon ventre – ces spectateurs résignés assistent à une pièce créée par d’autres spectateurs résignés, à la fin du spectacle ils s’entre-dévoreront ils s’entre-surconsommeront, rideau, fin de civilisation.

Il n’y a que la création l’art et pas d’juste milieu fais ton choix magne ! écrire et peindre des songes crus, se perdre au début puis voyager comme un nomade adultère, te caresser les fesses doucement t’embrasser le dos les mains et les cuisses puis remonter et lécher ton ventre d’harmonie, lire un rêve un sourire quand les mondes s’enlacent comme par magie, parler de l’espace-temps qui me sépare de toi, crâner dans les vagues se faire aspirer par le rouleau perdre la tête danser en étant sourd, ne plus s’en sortir se dire que l’on va y rester et puis moment d’accalmie ne pas nager vers la plage attendre la prochaine et y retourner encore boire la tasse quasiment se noyer puis un beau jour remonter à la surface chercher ses maîtres à penser ne pas les trouver en conclure qu’ils sont tous morts marcher sur la terre ferme qui pourrait me dégueuler ses cadavres au visage revenir en ville se faire coincer dans les ascenseurs sociaux ! syncopes dans ces immeubles secs je ne trouve pas la sortie appel au secours flammes cris sauter s’envoler pourquoi pas, dormir dans un marais hanté brûler les symboles, adorer tes volcans qui somnolent, s’enfoncer un livre dans le crâne seul dans un train, mais je ne peux pas m’engager alors laisse-toi faire laisse-toi caresser, laisse-moi te raconter l’histoire du mâle mourant le sel des mots je coule encore, laisser passer les femmes immortelles, transes encore ces foutues transes et la sève explose sous la lune rousse, sur tes paumes je vois des routes, parce que je me pose des questions à propos de l’art et le fait de survivre en se voilant la face : mon corps esquinté se dresse, demain je te retrouverai ma tendre égarée pour le moment j’écris sans pour autant vivre en paix.

Mes Ombres sont encore enfermées dans ce jardin-tiroir,
elles ne tarderont pas à s’évader je le sais,
mais aujourd’hui elles se contentent de me raconter leurs histoires.

Je suis un héros de roman, un vampire, un voleur, un écrivain, un gosse, un comédien, un genre de serpent littéraire !...

Le Chien

Tout le village est à mes trousses, je les entends qui hurlent mon nom, qui déplacent leurs ventres ronds en braillant sur leurs molosses enragés : cherche vas-y cherche c’est bien mon chien, j’imagine le gros curé de campagne le maire et ses conseillers municipaux, j’imagine les bonnes femmes en tablier les instituteurs et les gendarmes armés, j’imagine les pères de famille alcoolisés, les paysans voûtés, tout ce beau monde dégénéré à ma recherche, j’imagine surtout mon père schizophrène hurlant bavant, j’le vois déjà j’y suis bordel abruti va, gros porc sale veuf ha mon père ! qui est aussi mon beau-père puisque je vivais avec ma sœur, mais cette folle s’est plainte elle a été dire que je l’avais violée, alors que tout roulait alors que l’on s’aimait, un jour cette peste s’est réveillée, je suis enceinte, elle m’a dit, moi j’étais si heureux : nous allons avoir un bébé, je t’aime tellement, c’est merveilleux ! non, elle m’a répondu, je vais me faire avorter la semaine prochaine, j’ai pris rendez-vous, je suis désolée, je me sens sale tu sais, j’ai beaucoup réfléchi pour nous deux, et puis elle a décidé que ça ne pouvait plus durer entre nous comme ça d’un coup sans préavis, elle lisait trop les journaux, on lui a bourré le crâne ! c’est pas normal de vivre avec son frère et surtout de coucher avec lui ! qu’elle m’a fait en se levant, qu’est ce qui t’arrive, as-tu peur de tous ces gens ? mais ils ne se doutent de rien ma chérie ! ces animaux n’ont aucune imagination, nous sommes simplement frère et sœur vivant dans la même maison, frère et sœur dans la même maison, c’est tout à fait plausible ! ce jour-là je suis devenu fou, je l’ai secouée puis tirée par les cheveux, je n’acceptais pas tout ça, garde-le ! garde le bébé ! non ! non ! je veux partir ! alors je l’ai frappée, elle sanglotait étendue sur le carrelage, je me suis enfermé dans la salle de bains et je l’ai entendue s’enfuir, et elle a été raconter aux flics que j’avais abusé d’elle, et au père qui direct a explosé ! ensuite on a voulu me foutre en taule, mais je me suis enfui : depuis ce jour je traverse des forêts d’orties, depuis ce jour mes jambes frissonnent fouettées par des branches pointues qui ondulent comme des fées, depuis ce jour terrible je cours, et je crois que j’ai toujours couru, toute ma vie, même si je n’ai jamais foutu les pieds hors du village, jamais, car je travaillais dur, ne pas chercher plus loin, j’avais tout, tu t’en souviens ? j’étais là les matins, dans ce champ, tu t’en souviens sale traîtresse ! je cultivais la terre pour toi, et les soirs nous étions heureux sous ce toit, seuls, les yeux dans les yeux et le repas soulevait nos doigts emmêlés, nous faisions l’amour sous des étoiles castrées, dans des jardins de bouteilles vides, je ne voyais que toi, et je sais que tu m’aimais, simplement, aujourd’hui les cadavres de nos deux corps enlacés sont des mots à vapeur léthargiques qui se glissent sous tes bouquets de fleurs coupées que tu vendais avec joie et douceur dans les marchés du canton, comme c’était simple et bon, fais un effort fausse amnésique, où es-tu ? toi qui rêvais de vivre en ville, as-tu franchi ce maudit pas ? qui ne sert à rien, c’est mon avis, tu sais que je ne veux que ton bien ! les autres me prenaient pour l’idiot du village, le simplet serviable, le laboureur dans la lune un peu sauvage qui respectait un peu trop la nature ! toi, tu me connaissais vraiment ! mais depuis cette rupture stupide je fuis, dans cette forêt française je cherche à éteindre cette douleur qui me ronge le ventre comme un feu, je me planque alors que je ne suis pas encore terminé, et cette ville, sœur, elle te plaît ? dis-moi que tu m’aimes et je t’entendrai, dis-le moi, traîtresse, et je comprendrai, ne m’abandonne pas, ou bien pars très loin si c’est ton choix, moi je trouverai de vraies femmes d’autres accents sucrés, j’élaguerai les chemins je trouverai le bonheur qui me fera t’oublier, je ne suis pas tordu, comme le disent les autres, tu as tout manigancé, tu me détestes à ce point ? je n’ai rien fait de mal, aujourd’hui je me plains aux pieds de cette nature merveilleuse qui se penche et me renifle et qui, sans prévenir, m’enferme dans une cage immense ! Nature vient de me piéger ! là maintenant je ne peux plus avancer ! puis-je me confesser, Nature ? si je suis ton prisonnier, alors tu subiras mes mots ! le soleil se couche et je tourne en rond, mon âme-sœur, m’entends-tu souffler sur les feuilles paisibles des arbres bruns ? cette longue nuit froide a tes yeux, je ne pense qu’à toi, je ne peux pas m’en empêcher, derrière ces barreaux d’effroi mon épaule se déboîte ma mâchoire tombe par terre, change-moi, Nature, je ne me supporte plus, surprends-moi une dernière fois ! Nature, tu me dois bien ça ! après tout ce que j’ai fait pour toi ! écoute, ouvre cette porte, et je t’épouserai s’il le faut ! pour mieux l’effacer de ma mémoire, oh ma belle chimère, je t’épouserai de force s’il le faut ! eh ma sœur ! m’entends-tu ? je vais peut-être bien épouser Nature si elle est d’accord ! ha ! t’es jalouse ? alors pleure, salope ! si Nature me libère je ne reviendrai pas dans le patelin ! jamais ! je condamne la morale millénaire qui pèse de tout son poids sur cette commune sordide, qu’elle crève ! je lui pisserai dessus ! et je démonterai ces idoles religieuses, parce qu’elles enterrent les paumés de mon espèce ! moi je suis l’incestueux ! le sauvage ! et je vous aboie à la face ! au-dessus de vos toits suffisants flotte le hurlement des hommes amoureux ! j’aboie plus fort, je ne sortirai pas de cette forêt, on viendra me voir comme on va au zoo et les enfants me cracheront au visage ! qu’est-ce que je fais ici ? j’ai toujours été honnête, je travaillais dur, je plantais des graines, mais ce monde a quand même décidé de m’enfermer, je lèche les barreaux de toutes les libertés pendant que des poils me poussent partout sur le corps, je gratte la terre grâce à mes nouvelles griffes, pour toi, sœur, j’aboie, je me suis volé à moi, pour toi, sœur, j’ai appris à aimer, je t’ai réellement aimée, et tu m’abandonnes lorsque je suis prêt, je tourne en rond, dans cette cage craquée, je suis à quatre pattes, comme toi lorsque je te prenais par derrière, j’aboie mais le son est encore étouffé, Nature m’enferme, car elle sait que je te retrouverais, que je te tuerais, que j’égorgerais le mâle avec qui tu pourrais t’accoupler, je n’ai pas su écouter tes désirs, ma douce, je n’ai rien compris, il m’a fallu du temps pour te voir, mais maintenant c’est trop tard c’est trop tard c’est trop tard, je me transforme en chien, j’erre dans cette cage pour rien, je m’écœure , tout est fini aujourd’hui, je deviens un pauvre chien fiévreux, plus loin à quelques mètres de ma cage se regroupent des animaux multicolores, ils me chantent leurs couplets pestiférés, leurs voix striées cognent ma piètre boîte où je demeure enfermé, ma vie secoue les persiennes de ces journées fades qui s’éteignent, et sous mes pattes les insectes tentent de me bouffer les cellules mortes, tout est mort ma sœur, ma solitude devient cette mousse toxique qui se développe sur les barreaux froids de ma fin de chien, c’est la fin, mais mes crocs de clous vous infecteront, je me répandrai, je vous terrasserai, salauds, tétanos béni et rage de beauté !

P.-S.

Le Dérèglement, 2009.
Avec l’aimable autorisation des Editions Sulliver.

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