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Le Feu nucléaire — feu le nucléaire ? 

Et si nous parlions aussi de la dissuasion nucléaire ?

Pétition !

lundi 6 août 2018, par Régis Poulet (Date de rédaction antérieure : 6 mars 2013).

Depuis plusieurs années, même des généraux comme Vincent Desportes ou Bernard Norlain estiment que non seulement la place de la France dans le monde ne dépend pas de sa capacité de dissuasion nucléaire, mais ils commencent à dire que de sérieuses économies pourraient être faites du côté de l’armement nucléaire : quel progrès !

Le 7 juillet 2017, les Nations Unies ont approuvé un Traité d’interdiction des armes nucléaires dont tout être vivant sur cette Terre ne peut que se réjouir. Sauf que la France ne l’a pas ratifié — quelle erreur ! quel immobilisme ! — et a prévu de doubler ses dépenses dans ce domaine. Nous vous invitions donc à signer la pétition demandant l’arrêt des programmes de modernisation des armes nucléaires pour lesquels il est prévu de doubler les crédits consacrés aux armes nucléaires dans le budget de la France.

In memoriam Hiroshima (6 août 1945) & Nagasaki (9 août 1945).


Le 11 mars — déjà — sept longues années se sont écoulées avec leur flux de radionucléides depuis Fukushima. Événement planétaire à signification anthropologique qui nous renvoie au mythe de Prométhée, et à signification philosophique que le Gestell heideggerien et sa relecture par Günther Anders [1] ou Hans Jonas peuvent nous permettre de comprendre.


Plutôt que Prométhée ("celui qui réfléchit avant" selon l’étymologie grecque), n’est-ce pas Épiméthée, son frère ("celui qui réfléchit après"), qu’il faudrait convoquer pour parler du feu nucléaire ? Mais l’on sait bien que les deux Titans forment un couple qui cherche comment situer l’homme par rapport aux dieux qui tantôt lui refusent la puissance et tantôt la lui accordent par l’entremise de Pandore.

Sur le chemin de la démesure (l’hybris), le XXe siècle semble avoir finalement beaucoup retenu de l’homme faustien tel que l’a présenté Oswald Spengler dans son Déclin de l’Occident (1918 & 1922) : la caractéristique éminente de l’homme faustien est, en réponse à l’angoisse du Devenir, de forcer les secrets de la nature pour la dominer par la technique et les machines. Il est un homme d’action animé par une volonté de domination conduisant au totalitarisme.

Le point commun entre ces mythes de Prométhée/Épiméthée, de Faust (revu par Spengler) et la question de la Technique est celui de la mort biologique qui frappe l’homme, comme les animaux. Dans le mythe grec, c’est pour remédier à la distribution par son frère de toutes les perfections aux animaux — qui laisse l’homme faible et nu — que Prométhée vole le feu aux dieux ; en retour de quoi les maux de la boîte de Pandore (dont la Vieillesse et la Maladie, mais aussi la Guerre et la Folie) se répandront sur l’humanité. L’homme faustien de Spengler (de la Prusse au nazisme en passant par le ’premier’ Ernst Jünger), qui lutte pour sa survie contre la fatalité biologique en agressant le monde naturel, n’aurait-il pas survécu à l’effondrement de ses thuriféraires nazis sous le nom de techno-science ?

En 1979, le philosophe Hans Jonas a fait paraître un ouvrage devenu célèbre : Le Principe responsabilité (en allemand Das Prinzip Verantwortung), dans lequel cet ancien élève de Heidegger (comme G. Anders) insiste sur le fait que l’éthique des techno-sciences est en rupture avec celle qui anima peu ou prou l’humanité depuis son origine. Alors que l’humanité — ce que montre le mythe de Prométhée — luttait pour sa conservation et sa subsistance en tant qu’espèce, désormais, le pouvoir démesuré de la Technique lui octroie la possibilité de se faire disparaître comme de faire disparaître la possibilité de vie sur Terre. Hans Jonas ne fait pas qu’insister sur la nécessaire réflexion préalable à l’agir technologique selon quoi, en raison d’une suspension de l’espérance, on doit toujours envisager le pire d’une technologie nouvelle avant de l’adopter et au besoin l’abandonner (ce qui se traduira éthiquement et juridiquement par le ’principe de précaution’) — il affirme aussi que c’est grâce à ces mêmes techno-sciences que le succès biologique de notre espèce en est venu à une prolifération telle qu’elle met en péril le monde naturel donc l’espèce humaine [2] .

Ces considérations nous ramènent à l’engagement politique de millions de citoyens qui estiment que le feu nucléaire — on ne peut plus prométhéen, — sous ses formes civile et militaire, est une de ces technologies dont il faut apprendre à se passer. L’historien David Edgerton insiste, dans son dernier ouvrage Quoi de neuf ? — Du rôle des techniques dans l’histoire globale (Seuil, 2013), sur la focalisation quasi exclusive sur l’innovation dans le récit de l’histoire des sciences à l’époque moderne. Ainsi estime-t-il que l’invention n’est pas plus importante que l’hybridation de techniques déjà anciennes. Et qu’il n’y a donc pas de fatalité à adopter sans cesse les dernières technologies : le progrès humain passe davantage par l’abandon de certaines technologies et, dans le domaine du nucléaire, le défi posé aux ingénieurs est de trouver comment on peut se débarrasser des déchets et des installations.

In dubio pro malo

Cette formule de Hans Jonas emblématise sa position éthique face à la technologie : en cas de doute, c’est le mal attendu d’une technologie qui doit nous permettre de trancher en faveur de son abandon. On sait combien le nucléaire civil est historiquement tributaire du nucléaire militaire. On sait aussi qu’Albert Einstein, après avoir signé en 1939 la lettre à Roosevelt incitant le président à faire entreprendre des recherches sur un nouveau type de bombe (le projet Manhattan), regretta amèrement cette signature et fut jusqu’à sa mort un militant pour le désarmement atomique dans le monde (voir sur ce site les différentes lettres d’Einstein au président américain).

Le in dubio pro malo intervint un peu tard dans la réflexion de scientifiques comme Einstein, dont la personne met en exergue le problème moderne de l’homme face à la technique. Pour ce qui nous concerne, en ce début de XXIe siècle, la précaution éthique relative au nucléaire n’est même plus de mise puisque cette technologie a montré ses effets catastrophiques à plusieurs reprises.

Nucléaire civil et nucléaire militaire — c’est Tout Un.

Si le nucléaire civil a suivi le nucléaire militaire, il en entretient depuis longtemps l’existence du fait, entre autres, de l’utilisation des déchets nucléaires dans le domaine de l’armement (munitions à uranium appauvri par exemple). On peut affirmer que sans ses centrales, la France n’aurait pas de bombe atomique [3]. Ainsi, à La Hague, Areva utilise les mêmes installations (dont des centrifugeuses) pour enrichir le plutonium destiné aux centrales et aux armes.

Les catastrophes du nucléaire civil se succèdent : Windscale (GB, 1957), Three Mile Island (USA, 1979), Tchernobyl (Ukraine, 1986), Fukushima (Japon, 2011)... et demain : Fessenheim ? Bugey ? Tricastin ? Les militants antinucléaires sont nombreux à souligner les dangers de tous ordres liés aux centrales nucléaires — dont le fait qu’elles sont des cibles de choix pour qui voudrait attaquer un pays de façon non conventionnelle, c’est-à-dire de façon terroriste.

La lutte contre le développement du nucléaire civil est inséparable d’une réflexion sur la démographie, la surconsommation des ressources et la dégradation de la qualité de vie globale.

Il n’est pas inutile de rappeler non plus les effets des armes atomiques qui sont l’envers du nucléaire civil. Aussi choisissons-nous, ici, d’aborder la question du nucléaire par sa composante militaire, pour montrer ses effets négatifs à long terme et sur différents plans. Parce que l’éclatante horreur de la bombe atomique est révélatrice de l’horreur latente d’une centrale nucléaire. Parce que l’intérêt pour les citoyens de la Terre — et le nôtre, en France — de l’une et de l’autre sont pour le moins controversées. Parce que leurs effets sont néfastes quels qu’en soient les domaines : on peut affirmer que le nucléaire « a accompli sa destinée » — c’est le sens de l’adjectif feu [4].

Pleins feux sur la bombe atomique

De 1945 à 1998, ce sont 2053 bombes atomiques qui ont été utilisées (dont la deuxième et la troisième dans un conflit, contre le Japon) par sept pays. Une infographie d’Isao Hashimoto permet de prendre conscience de l’ordre d’acquisition de cette capacité de destruction par les nations, de constater que certaines nations n’ont fait que deux essais quand d’autres en ont fait des centaines, voire un millier [5], de visionner la répartition géographique des essais (sur le territoire métropolitain ou non), la puissance relative des essais et la taille des zones irradiées. On peut soit regarder l’infographie dans son ensemble (elle dure 14’25") soit cliquer sur le lien ci-dessous pour accéder à un résumé (qui correspond aux dernières 2’15").

Résumé de l’infographie (2’15") :

http://youtu.be/cjAqR1zICA0?t=12m11s

Infographie dans sa totalité :

https://www.youtube.com/watch?v=cjAqR1zICA0&feature=youtu.be&t=12m11s

Ce qui apparaît clairement sur la carte est que les deux mille bombes atomiques de diverses puissances ont contaminé de façon plus ou moins importante des zones dont le cumul représente la superficie de l’Amérique du Sud ! L’impact de tous ces ’tests’ est donc considérable.

La mort à portée de tous

L’impact sur la santé des populations humaines a été étudié après les explosions de Hiroshima et Nagasaki en fonction de la dose d’irradiation (l’unité de radioactivité retenue est le sievert) :

— 0,3 à 1 sievert : fatigue, formule sanguine altérée
— 1 à 2,5 sieverts : troubles sanguins, troubles digestifs
— 2,5 à 4 sieverts : vomissements, vertiges, formules sanguines modifiées, destruction des barrières immunologiques
— 4 à 8 sieverts : symptômes identiques mais plus intenses. Mort de 50% des irradiés
— au-delà de 8 sieverts : mêmes symptômes encore plus intenses, mort quasi inévitable pour 90% des irradiés.

Ces effets se font sentir bien au-delà du souffle de l’explosion et de la chaleur qu’elle dégage qui brûle au troisième degré les êtres vivants jusqu’à huit kilomètres. Les effets des rayons gamma se font sentir sur l’ADN qu’ils modifient de façon irréversible en provoquant des cancers :

Liste des maladies reconnues comme radio-induites (2003)
(Source : rapport de la Commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires aériens effectués de 1966 à 1974 en Polynésie française)

téléchargeable ici =>

1) Leucémies (sauf leucémie lymphoïde chronique)
2) Cancer de la thyroïde
3) Cancer du sein
4) Cancer du poumon (tumeur maligne de la trachée, des bronches, du poumon)
5) Cancer des os
6) Cancer primitif du foie
7) Cancer de la peau
8) Cancer de l’œsophage
9) Cancer de l’estomac
10) Cancer du colon
11) Cancer du pancréas
12) Cancer du rein
13) Cancer de la vessie
14) Cancer des glandes salivaires (tumeur maligne de la glande principale)
15) Myélome multiple
16) Cataracte sous capsulaire postérieure
17) Nodule thyroïdien non malin
18) Cancer de l’ovaire
19) Adénome para-thyroïdien
20) Tumeurs malignes du cerveau et système nerveux central
21) Lymphomes autre que Hodgkin
22) Cancer du rectum
23) Cancer de l’intestin grêle
24) Cancer du pharynx
25) Cancer des voies biliaires
26) Cancer de la vésicule biliaire
27) Cancer du bassinet, de l’uretère, et de l’urètre
28) Cancer de la prostate
29) Carcinome bronchio-alvéolaire (une maladie pulmonaire rare)
30) Tumeurs bénignes du cerveau et du système nerveux central
31) Autres affections malignes non listées dans les maladies précédentes

Il ne faudrait pas oublier l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri dans les conflits en Irak (Guerre du Golfe, 1991), en Bosnie (1994-95) et au Kosovo (1999) par les U.S.A. notamment : « C’est la population irakienne qui paya le tribut le plus lourd à l’utilisation de cette arme avec un million de victimes, essentiellement civiles. On estime que quelque 1000 obus de 300 kg par opération soit 300 tonnes (max. 400 t) d’obus ainsi traités ont été lancés sur l’Irak. Cela représente un rayonnement de 45108 Bq dus aux isotopes d’uranium, une quantité suffisante pour contaminer plus d’un milliard d’habitants ! En fait ce n’est pas la radioactivité dans ce cas-ci qui meurtrit le plus l’ennemi car elle est très faible (plus faible même que celle de l’uranium naturel puisqu’il lui manque l’uranium-235) mais la toxicité chimique de l’oxyde d’uranium. [...] Les troupes américaines (et anglaises) furent contaminées par leur propre agent radio-toxique ! Aujourd’hui on recense 240 000 vétérans de la guerre du Golfe victimes de pathologies permanentes — des mutations — dont 11000 sont déjà morts des suites de leur maladie. Non seulement l’uranium appauvri contamina toutes les scènes des opérations mais les nuages toxiques retombèrent sur l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Syrie, le Liban, la Palestine, Israël, le Pakistan, la Turquie, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, la Russie, l’Inde et même sur la Chine.  » (Source)

A ces conséquences directes des explosions s’ajoute la contamination par les radionucléides qui se retrouvent dans l’environnement terrestre, aérien ou marin en raison des accidents d’avions chargés de bombes atomiques, de sous-marins nucléaires (dix à ce jour) coulés avec leur réacteur et leurs armes atomiques dont s’échappent plutonium, césium et tritium. Ils rejoignent les déchets volontairement largués dans les océans par les acteurs du nucléaire civil.

« Au total, ce sont des millions de milliards de becquerels qui reposent au fond des mers, soit plusieurs fois la dose que la catastrophe de Tchernobyl a injectée dans l’atmosphère. Cette radioactivité accidentelle s’ajoute à celle qu’une poignée d’États, Royaume-Uni en tête, ont déversée volontairement, durant 36 ans, dans une cinquantaine de sites, pour se débarrasser de leurs déchets nucléaires prétendus de faible ou moyenne activité.

Les premiers déversements volontaires remontent à 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; les Américains avaient alors choisi des sites dans le Pacifique, non loin des côtes de la Californie. Le dernier a eu lieu en 1982 dans l’Atlantique nord, à un millier de kilomètres environ des côtes françaises. Ce mode de rejet a finalement cessé sous la pression des pays qui s’y opposaient. Car, jusque-là, il était autorisé et réglementé par la Convention pour la prévention de la pollution marine, signée en 1975 et connue sous le nom de Convention de Londres. C’est ainsi que des centaines de milliers de fûts de déchets enrobés dans du bitume ou du ciment, parfois groupés dans des containers, reposent au fond des mers. Il suffit de 10 à 15 ans pour que ces matériaux se désagrègent sous l’effet de l’eau de mer ! Et il est arrivé, dans les tout débuts, qu’on verse directement les déchets sans emballage, en vrac, voire sous forme liquide !

Les cimetières nucléaires marins de l’Europe

Qui sont exactement les pollueurs ? Douze pays. Certains, comme l’Italie, l’Allemagne ou la Suède, n’ont failli qu’une seule fois, et n’ont rejeté que de faibles quantités de radioactivité. La France, quant à elle, qui a disposé du Centre de stockage de la Manche, près de la Hague, ne s’est livrée que deux fois à ces déversements, mais les quantités étaient plus importantes.

Mais le pompon revient de loin au Royaume-Uni qui, à lui seul, est responsable de près de 80 % de la radioactivité rejetée. Nos amis anglais ont en effet déversé quelque 75 000 tonnes de déchets nucléaires dans une quinzaine de sites de l’Atlantique (voir carte). Ils ont même trouvé qu’un site était tout désigné : la mer en face de la Hague. Et par quinze fois, imités deux fois par les Belges, ils y ont déversé leurs déchets entre 65 et 160 m de profondeur. Cette décharge sauvage se situe très exactement par 49° 50’ N de latitude et 2° 18’ W de longitude, à une trentaine de kilomètres des côtes françaises. Si les crustacés ou les coquillages accusent parfois des taux de radioactivité anormaux autour du Cotentin, il n’y a pas que l’usine de retraitement de la Hague qui en soit responsable !

Autour de ces poubelles, on a trouvé du césium et du plutonium à des taux élevés. C’est cela qui a fait interdire ces déversements... tout au moins officiellement : des révélations provenant d’un responsable soviétique indiquent que plusieurs milliers de tonnes de déchets radioactifs civils et militaires — dont le réacteur du Lénine, le premier brise-glace nucléaire — auraient été déversées clandestinement jusqu’à très récemment dans la mer de Kara, au large de la Sibérie. » [6]

Carte mondiale des épaves radioactives

Les effets sur la faune marine et sur la chaîne alimentaire sont probablement redoutables, les courants marins faisant leur œuvre et la durée de vie des radionucléides étant longue, très longue, voire infinie à notre échelle...

Une assurance mort

Les déclarations de Michel Rocard et l’argumentation plus développée de Paul Quilès sur l’inutilité dispendieuse de la dissuasion nucléaire française — aussitôt suivies par l’affirmation renouvelée de la confiance du président de la République François Hollande en celle-là ont eu le grand mérite le mettre sur la place publique un sujet — la défense et la sécurité de la France et du monde — dont le point commun avec le nucléaire civil est l’absence de débat.

Un audit américain a estimé que la course aux armements nucléaires durant la guerre froide, avec le développement de 70 000 armes nucléaires, a coûté 5 800 milliards de dollars aux U.S.A. entre 1940 et 1996 ! Plus modestement (mais tout de même !), en France, une somme de 228.67 milliards d’euros a été consacrée à la dissuasion nucléaire entre 1945 et 2010.

Pour un abandon unilatéral de l’arme atomique ?

La question a certes des aspects économiques, et c’est l’angle d’attaque choisi par M. Rocard, mais aussi tactiques et stratégiques. Étant donné que selon la résolution de l’ONU du 24 novembre 1961 : « Tout État qui emploie des armes nucléaires et thermonucléaires doit être considéré comme violant la Charte des Nations Unies, agissant au mépris des lois de l’Humanité et commettant un crime contre l’Humanité et la civilisation » ; quel intérêt un pays comme la France, notamment, aurait-il à maintenir une arme dont tout le monde sait qu’il ne l’utilisera jamais (Valéry Giscard-D’estaing l’a d’ailleurs confié dans ses Mémoires) ? C’est non seulement dispendieux du point de vue de l’équipement militaire jugé en état critique pour notre pays, mais éthiquement condamnable : entretenir une telle arme fait courir des risques considérables à l’humanité entière.

C’est pourquoi certains jugent que la France — en plus de faire une bonne opération comptable — s’honorerait à abandonner unilatéralement la dissuasion nucléaire. Voici le texte de la pétition :

« Citoyen-ne français-e, j’ai conscience que notre dissuasion nucléaire, présentée comme « l’assurance-vie » de notre pays, est :

— criminelle, parce que sa mise en œuvre conduirait à la mort de millions de civils innocents, constituant ainsi « un crime contre l’Humanité et la civilisation. » (résolution des Nations Unies du 24 novembre 1961).

— inefficace, parce qu’elle ne nous protège d’aucune des menaces, terroriste, économique, écologique, etc. qui peuvent peser sur notre sécurité.

— coûteuse, de l’ordre de 3,5 milliards d’euros par an alors que ces investissements directement financés par les impôts ne sont pas socialement utiles et sont parmi ceux qui produisent le moins d’emplois.

— polluante et redoutable par les accidents qu’elle peut provoquer et les déchets nucléaires qu’elle génère,

— dangereuse pour notre démocratie, parce que le processus de la dissuasion nucléaire est opaque à tout contrôle citoyen.

En réalité, la véritable raison de la dissuasion nucléaire n’est pas d’assurer la défense de la population, mais de conférer à l’État un simulacre de puissance.

La préméditation du meurtre nucléaire constitue de fait la négation de toutes les valeurs d’humanité qui fondent notre civilisation. En poursuivant la modernisation de son système d’armes nucléaires la France ne peut qu’encourager la prolifération mondiale.

C’est pourquoi, sans attendre un accord encore hypothétique de l’ensemble des pays sur une convention internationale d’élimination totale des armes nucléaires, j’estime qu’il est de ma responsabilité de demander

le désarmement nucléaire unilatéral de la France

Dès à présent, je soutiens l’instauration d’un débat démocratique permettant à l’ensemble des Français-es de se saisir de cette question, débat au terme duquel ils/elles devront avoir la possibilité de décider en conscience. » (voici le lien vers la pétition)

Ainsi, c’est sans jamais consulter l’ensemble des citoyens que des décisions qui engagent beaucoup plus que nous, nos vies, ici et maintenant sont prises dans la plus grande opacité. Étant donné l’ensemble des points soulevés ci-dessus, ne sommes-nous pas dans notre droit si nous demandons un référendum sur la question ?

P.-S.

Le logo de l’article est une œuvre de l’artiste Adolfo Bimer.


La légende de la carte mondiale des épaves radioactives (Retour vers la carte) :


1) Mutsu (1er septembre 1974). Fuite de radiations (neutrons), sur ce cargo japonais à propulsion nucléaire, due à des défauts de structure, à 800 km à l’est de Shiriyazaki.

2) Avion américain B-36 (13 février 1950) équipé d’une arme nucléaire, perdu au large de Puget Sound.

3) Avion américain (10 novembre 1950) perdu, avec des armes nucléaires à bord, quelque part sous la mer en dehors des Etats-Unis.

4) Avion américain B-36 (18 mars 1953) perdu, avec des armes nucléaires à bord ; au large de Terre-Neuve.

5) Avion américain B-47 (10 mars 1956) perdu, avec deux capsules de matières radioactives, en Méditerranée.

6) Avion américain B-47 (5 mars 1958) équipé d’une arme nucléaire, perdu au large de la Géorgie.

7) Avion de chasse américain F 102 (mi 1960) équipé d’un missile nucléaire, perdu dans la baie de Haiphong,

8) Missile intercontinental américain (ICBM Thor Rocket) (4 juin 1962) tombé en mer près de l’île Johnston, lors d’un tir d’essai.

9) Missile intercontinental américain (ICBM Thor Rocket) (20 juin 1962) tombé en mer près de l’île Johnston, lors d’un tir d’essai.

10) Thresher (10 avril 1963), sous-marin américain SSN-593 coulé à 100 milles à l’est du Cap Cod par 2 590 m de profondeur, et qui a éclaté. Son réacteur nucléaire représente une radioactivité de l 147 000 giga becquerels.

11) Transit 5 BN-3 (21 avril 1964), satellite américain tombé au nord de Madagascar. Son générateur nucléaire SNAP-9A au plutonium 238 représente une radioactivité de 630 000 gigabecquerels

12) Avion américain (5 décembre 1965) qui, mal calé, est tombé du pont du porte-avions Ticonderoga à la suite d’un coup de roulis et a coulé à 5000 m de profondeur au large du Japon. Il était équipé d’une arme nucléaire.

13) 4 bombes nucléaires (17 janvier 1966) perdues par un avion américain B-52 à 5 milles de Palomares en Espagne, dont une en mer qui a été récupérée par 914 m de fond.

14) 4 armes nucléaires (21 janvier 1968) perdues par un avion B-52 sur la banquise près de Thulé. Une partie seulement du plutonium répandu a été récupérée.

15) Scorpion (entre le 21 et le 27 mai 1968), sous-marin américain SSN-589, perdu à 400 milles (740 km) au sud-ouest des Açores par plus de 3 3 000 m de profondeur et qui a éclaté. Son réacteur nucléaire représente une activité de 1295 000gigabecquerels, 16. Nimbus B-1 (18 mai 1968), satellite américain tombé à 100 m de profondeur, près de Santa-Barbara, avec son générateur nucléaire SNAP-19. A été récupéré.

17) Générateur SNAP-27 (11 avril 1970) contenant 1650 000 gigabecquerels de plutonium 238 et appartenant à un module de la mission Apollo tombé au sud des îles Fidji, par 6 000 m de profondeur.

18) Missile Phoenix (14 septembre 1976) perdu par un avion de chasse américain F-14 et récupéré à 75 milles des côtes écossaises.

19) Missile de croisière américain (25 février 1986), dans la mer de Beaufort.

20) Mont-Louis (5 août 1984), cargo français transportant 30 containers d’hexafluorure d’uranium, entré en collision avec un car-ferry britannique. La cargaison, représentant environ 6 000 millions de becquerels, fut récupérée deux mois plus tard, par 25 m de profondeur.

21) Sous-marin soviétique (11 avril 1968) perdu avec 5 armes nucléaires, à 750 milles au nord-ouest de l’île Oahu (Hawaii)

22) Sous-marin soviétique (1968) perdu dans le nord-est de l’Atlantique, avec 4 armes nucléaires.

23) Sous-marin soviétique (10 janvier 1970) perdu en baie de Naples avec des torpilles nucléaires.

24) Sous-marin soviétique (12 avril 1970) perdu dans le nord-est de l’Atlantique, avec 4 armes nucléaires.

25) Kashin Class (septembre 1974), destroyer soviétique perdu en mer Noire avec des armes nucléaires.

26) Sous-marin soviétique (juin 1983) perdu au large du Kamtchatka, avec 8 armes nucléaires.

27) Cosmos-1402 (7 février 1983), satellite soviétique avec un réacteur nucléaire d’une radioactivité estimée à 1000 000 de gigabecquerels, tombé à 1600 km à l’est des côtes brésiliennes.

28) Sous-marin soviétique (4 octobre 1986) équipé d’armes nucléaires, coulé à 1000 km au nord-est des Bermudes par 5 000 m de fond.

29) Komsomolets (7 avril 1989), sous-marin soviétique avec des armes nucléaires, coulé, à la suite d’un feu à bord, près des côtes norvégiennes, à 180 km au sud-ouest de l’île de Medvezhy, par 1 500 m de fond. Les Soviétiques espèrent le renflouer.

Quant aux deux derniers accidents recensés par l’AIEA, les Britanniques viennent d’affirmer, contrairement à ce qui avait d’abord été annoncé, qu’ils n’avaient pas d’arme nucléaire à bord. Ce sont :

30) HMS Sheffield (10 mai 1982), destroyer britannique coulé par un missile Exocet de la marine argentine, au large des îles Falklands.

31) HMS Resolution (19 mai 1985). Ce sous-marin britannique a perdu un missile Polaris non équipé, d’après les Britannique d’une tête nucléaire, au cours d’un essai ou d’une fausse manoeuvre, au large de la Floride. Doit-on croire les Britanniques ?

Notes

[1Voir son Hiroshima est partout.

[2Quand, mais quand donc ce tabou de la fécondité tombera-t-il enfin ? De tous nos problèmes c’est le principal. Seule la folie de notre espèce la pousse vers son propre abîme. Inconséquence et aveuglement idéologique sont les obstacles à vaincre pour que ceux qui vivent et vivront puissent le faire dans un monde vivable et non un monde im-monde.

[3Nous n’aborderons pas ici la question du nucléaire médical, première source d’exposition aux radiations ionisantes. Voir ici

[4Étymol. et Hist. 2emoitié XIes. malfeüz « [qui a une mauvaise destinée], malheureux » (Alexis, éd. Chr. Storey, 616) ; 1172 « [qui a accompli sa destinée], mort » (Chr. de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 5666 : Et cil gist pres come feüz) ; 1178 (Renart, éd. M. Roques, 3495 : Mais l’en m’apele feu Renart). D’un lat. vulg. *fatutus « qui a telle destinée », dér. du class. fatum « destin ».

[5Dans l’ordre croissant du nombre d’explosions : Pakistan 2 ; Inde 4 ; Chine 45 ; Grande-Bretagne 45 ; France 210 ; URSS 715 ; USA 1032.

[6Jacqueline Denis-Lempereur Science & Vie n°892 janvier 1992 citée par http://atomicsarchives.chez.com/tcherno_sous_marin.html

1 Message

  • Le Feu nucléaire — feu le nucléaire ? 17 mars 2013 21:53, par Collin

    Dans un souci de partage et de complémentarité de l’information indiquée, je vous informe que je viens de publier avec Paul Quilès et le Général Bernard Norlain un livre "Arrêtez la Bombe" (Edition Le cherche midi) qui vient de manière précise mais simple informer le grand public du probleme, des couts et du danger du nucléaire militaire.
    Cdlt,

    Jean-Marie Collin

    Directeur France PNND
    Consultant indpendant
    blog Défense et Géopolitique
    http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/

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