Il faut rendre la Terre à la Terre
Une renaissance de la conscience humaine devrait conduire à une insurrection universelle de tous les habitants de la Terre-patrie pour exiger qu’on cesse de profaner notre cadre de vie et de consumer les ressources naturelles. Je vois cette planète bleue telle une île flottant au milieu de l’océan de l’univers. Les écosystèmes sont de porcelaine. Naturaliste et écologue, je sais que rien n’est aussi fragile qu’un écosystème insulaire, et j’ai grande peur que notre humanité soit soumise à cette impossibilité de l’île, que l’île Terre soit victime des mêmes abus d’usage que celle de Pâques, que les autres espèces connaissent un sort similaire à celui du Dodo de l’Île Maurice, que la surpopulation conduise à l’érosion malgache, que nos villes, noyées sous leurs immondices, ne sombrent dans une même misère que Cité Soleil en Haïti.
La prédiction d’une insurrection conduisant à instaurer plus ou moins partout une bienveillante écodémocratie pour le meilleur, ou qui sait une plus stricte écocratie et pas spécialement pour le pire (le pire, nous y sommes presque !), je n’y crois pas trop ou si telle issue pouvait advenir ce ne serait que bien trop tard, puisque nous avons déjà franchi le Rubicon. Mais rassurons-nous, somnolons et consommons tranquilles. Nous, peuple dernier, sommes entrés dans la dernière ligne droite de l’ultime espérance propre à sauver les restes et néanmoins, la majorité des gens n’est guère habitée par une quelconque « planète inquiétude ». Lorsque nous assistons à des émeutes populaires, ici ou là, le levier en est toujours le pouvoir d’achat. Quant aux fanatismes grégaires, ils sont la manifestation de tropismes religieux et signés des fous de Dieu, ou de transes patriotiques instrumentalisées par le stade ou les frontières. Les peuples se mobilisent pour une bénédiction urbi et orbi, pour un pèlerinage à la Mecque (jusqu’à 5 millions de personnes et des centaines mourant piétinés !), pour les couleurs d’un drapeau ou pour des matchs de football. Je ne peux que faire un vœu, celui de constater un jour pareille ferveur de telles multitudes pour défendre les valeurs de la Terre, de son vivant et donc l’avenir des enfants que nous mettons encore au monde dans la plus totale insouciance. C’est sans doute un vœu trop légitime et consensuel pour qu’il soit exaucé. Vénérer la croissance économique, c’est vouloir se flinguer en niant la finitude du monde. Vénérer un dieu, c’est faire preuve d’une spiritualité inspirée de l’irrationnel. Vénérer la création d’ici-bas, les sources, les arbres, les animaux, c’est une spiritualité induite par une réalité, c’est sacraliser pour mieux respecter, et cela procèderait de la raison. Hélas, « Les fruits de l’homme sont empoisonnés et détruisent la terre », c’est ce qu’on peut lire en Martinique, contaminée par l’appropriation coloniale, puis le chlordécone contre le charançon du bananier et maintenant le Roundup à l’encontre des nématodes. Cette déclaration définitive est valable en tous lieux monoculturés par les grands seigneurs d’une exploitation myope de la Nature. Lévi-Strauss disait : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat ». C’est fait.
1er janvier de l’An de grâce 2051
« Il faudrait une montée soudaine et terrible de périls, la venue d’une catastrophe pour constituer l’électrochoc nécessaire aux prises de conscience et aux prises de décision. »
Edgar Morin
Acculées à un cuisant épuisement des ressources, sur une planète surchauffée et vidée de sa biodiversité, menacés par plus d’un milliard de réfugiés de l’environnement qu’ils ne peuvent plus reconduire chez eux, les gouvernements des anciens pays nantis ont jeté l’éponge et se sont enfin mis d’accord pour instituer l’OMFB, Organisation mondiale du futur de la biosphère. Avec cinquante ans de retard et après l’échec d’une OME (Organisation mondiale de l’environnement), créée ex nihilo suite à la caducité du PNUE onusien, l’humanité a enfin pris conscience que son futur ne dépendait ni de son développement économique, ni d’une gouvernance seulement anthropocentriste et sottement environnementale, mais de son interdépendance écologique et de sa stabilité climatique.
Hélas, nous manquons de temps pour un nouveau paradigme anthropologique, c’en est presque fini. Il n’est plus question pour le monde occidental de savoir s’il faut partir en vacances à la mer ou à la montagne, en juillet ou en août, en avion ou en vélo, le tourisme et ses catalogues sont devenus dérisoires. Le choix que nous devions faire, c’est entre changer et mourir. Et ce troisième millénaire n’eut qu’un siècle.
Épilogue
Jour et nuit, dans les rues de notre Moyen Âge moderne, passe une ombre rassurante mais qui m’inquiète. Elle nous dit d’une voix apaisée : « Dormez en paix braves gens, jusque-là tout va bien ! » Mon message écologique s’inspire-t-il d’une heuristique de la peur, comme il est souvent reproché à l’écologisme que l’on taxe de radical ? Peut-être bien. Peut-être est-il catastrophiste et anxiogène puisque la réalité est inquiétante. Alors, pour être cohérent avec une demande d’optimisme, je propose que pour ne plus avoir peur, on supprime les tours de contrôle des aéroports. En tout cas, le futur est négatif, il est minuit moins une pour l’humanité et son milieu, puisqu’en ce jour, loin du béton, point de salut. Telle est la pensée à voix haute la plus commune.
Continuez comme avant, ou presque. De crise en crise, de Kyoto à Copenhague, de Copenhague à Mexico, l’humanité ne guérira pas, elle disparaîtra. Tout ce qui précède n’est donc que littérature, j’en suis vraiment désolé.
« Il y a, entre la Terre-mère et chacun de nous, comme un cordon ombilical sacré. Et les Terriens qui l’ont coupé sont des extraterrestres. »
« Je ne parviens pas à comprendre que ceux qui croient en la création divine s’acharnent à massacrer la Nature, tandis que ceux qui n’y croient pas s’entêtent à la protéger ! »
Michel Tarrier
« Nous n’avions pour eux aucune haine. Ils faisaient métier de loups comme nous faisions métier d’hommes. Ils étaient créatures de Dieu. Comme nous. Ils étaient nés prédateurs. Comme l’homme. Mais ils étaient restés prédateurs, alors que l’homme était devenu destructeur. »
Paul-Émile Victor
« L’homme a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction que nous portons dans nos gènes... La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté... »
Patrick Declerck
« En permettant l’Homme, la Nature a commis beaucoup plus qu’une erreur de calcul ; un attentat contre elle-même. »
Emil Cioran
« Même l’homme de Neandertal aurait honte de ce que nous sommes devenus. »
Satprem
« L’homme est un miracle sans intérêt. »
Jean Rostand
P.-S.
Illustration de Topor.