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1er janvier de l’An de grâce 2051 : comme un semblant de happy end 

jeudi 22 avril 2010, par Michel Tarrier

Il faut rendre la Terre à la Terre


Une renaissance de la conscience humaine devrait conduire à une insurrection universelle de tous les habitants de la Terre-patrie pour exiger qu’on cesse de profaner notre cadre de vie et de consumer les ressources naturelles. Je vois cette planète bleue telle une île flottant au milieu de l’océan de l’univers. Les écosystèmes sont de porcelaine. Naturaliste et écologue, je sais que rien n’est aussi fragile qu’un écosystème insulaire, et j’ai grande peur que notre humanité soit soumise à cette impossibilité de l’île, que l’île Terre soit victime des mêmes abus d’usage que celle de Pâques, que les autres espèces connaissent un sort similaire à celui du Dodo de l’Île Maurice, que la surpopulation conduise à l’érosion malgache, que nos villes, noyées sous leurs immondices, ne sombrent dans une même misère que Cité Soleil en Haïti.

La prédiction d’une insurrection conduisant à instaurer plus ou moins partout une bienveillante écodémocratie pour le meilleur, ou qui sait une plus stricte écocratie et pas spécialement pour le pire (le pire, nous y sommes presque !), je n’y crois pas trop ou si telle issue pouvait advenir ce ne serait que bien trop tard, puisque nous avons déjà franchi le Rubicon. Mais rassurons-nous, somnolons et consommons tranquilles. Nous, peuple dernier, sommes entrés dans la dernière ligne droite de l’ultime espérance propre à sauver les restes et néanmoins, la majorité des gens n’est guère habitée par une quelconque « planète inquiétude ». Lorsque nous assistons à des émeutes populaires, ici ou là, le levier en est toujours le pouvoir d’achat. Quant aux fanatismes grégaires, ils sont la manifestation de tropismes religieux et signés des fous de Dieu, ou de transes patriotiques instrumentalisées par le stade ou les frontières. Les peuples se mobilisent pour une bénédiction urbi et orbi, pour un pèlerinage à la Mecque (jusqu’à 5 millions de personnes et des centaines mourant piétinés !), pour les couleurs d’un drapeau ou pour des matchs de football. Je ne peux que faire un vœu, celui de constater un jour pareille ferveur de telles multitudes pour défendre les valeurs de la Terre, de son vivant et donc l’avenir des enfants que nous mettons encore au monde dans la plus totale insouciance. C’est sans doute un vœu trop légitime et consensuel pour qu’il soit exaucé. Vénérer la croissance économique, c’est vouloir se flinguer en niant la finitude du monde. Vénérer un dieu, c’est faire preuve d’une spiritualité inspirée de l’irrationnel. Vénérer la création d’ici-bas, les sources, les arbres, les animaux, c’est une spiritualité induite par une réalité, c’est sacraliser pour mieux respecter, et cela procèderait de la raison. Hélas, « Les fruits de l’homme sont empoisonnés et détruisent la terre  », c’est ce qu’on peut lire en Martinique, contaminée par l’appropriation coloniale, puis le chlordécone contre le charançon du bananier et maintenant le Roundup à l’encontre des nématodes. Cette déclaration définitive est valable en tous lieux monoculturés par les grands seigneurs d’une exploitation myope de la Nature. Lévi-Strauss disait : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat  ». C’est fait.

1er janvier de l’An de grâce 2051


« Il faudrait une montée soudaine et terrible de périls, la venue d’une catastrophe pour constituer l’électrochoc nécessaire aux prises de conscience et aux prises de décision. »
Edgar Morin

Acculées à un cuisant épuisement des ressources, sur une planète surchauffée et vidée de sa biodiversité, menacés par plus d’un milliard de réfugiés de l’environnement qu’ils ne peuvent plus reconduire chez eux, les gouvernements des anciens pays nantis ont jeté l’éponge et se sont enfin mis d’accord pour instituer l’OMFB, Organisation mondiale du futur de la biosphère. Avec cinquante ans de retard et après l’échec d’une OME (Organisation mondiale de l’environnement), créée ex nihilo suite à la caducité du PNUE onusien, l’humanité a enfin pris conscience que son futur ne dépendait ni de son développement économique, ni d’une gouvernance seulement anthropocentriste et sottement environnementale, mais de son interdépendance écologique et de sa stabilité climatique.

Hélas, nous manquons de temps pour un nouveau paradigme anthropologique, c’en est presque fini. Il n’est plus question pour le monde occidental de savoir s’il faut partir en vacances à la mer ou à la montagne, en juillet ou en août, en avion ou en vélo, le tourisme et ses catalogues sont devenus dérisoires. Le choix que nous devions faire, c’est entre changer et mourir. Et ce troisième millénaire n’eut qu’un siècle.

Épilogue


Jour et nuit, dans les rues de notre Moyen Âge moderne, passe une ombre rassurante mais qui m’inquiète. Elle nous dit d’une voix apaisée : « Dormez en paix braves gens, jusque-là tout va bien ! » Mon message écologique s’inspire-t-il d’une heuristique de la peur, comme il est souvent reproché à l’écologisme que l’on taxe de radical ? Peut-être bien. Peut-être est-il catastrophiste et anxiogène puisque la réalité est inquiétante. Alors, pour être cohérent avec une demande d’optimisme, je propose que pour ne plus avoir peur, on supprime les tours de contrôle des aéroports. En tout cas, le futur est négatif, il est minuit moins une pour l’humanité et son milieu, puisqu’en ce jour, loin du béton, point de salut. Telle est la pensée à voix haute la plus commune.

Continuez comme avant, ou presque. De crise en crise, de Kyoto à Copenhague, de Copenhague à Mexico, l’humanité ne guérira pas, elle disparaîtra. Tout ce qui précède n’est donc que littérature, j’en suis vraiment désolé.

« Il y a, entre la Terre-mère et chacun de nous, comme un cordon ombilical sacré. Et les Terriens qui l’ont coupé sont des extraterrestres. »
« Je ne parviens pas à comprendre que ceux qui croient en la création divine s’acharnent à massacrer la Nature, tandis que ceux qui n’y croient pas s’entêtent à la protéger ! »
Michel Tarrier

« Nous n’avions pour eux aucune haine. Ils faisaient métier de loups comme nous faisions métier d’hommes. Ils étaient créatures de Dieu. Comme nous. Ils étaient nés prédateurs. Comme l’homme. Mais ils étaient restés prédateurs, alors que l’homme était devenu destructeur. »
Paul-Émile Victor

« L’homme a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction que nous portons dans nos gènes... La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté... »
Patrick Declerck

« En permettant l’Homme, la Nature a commis beaucoup plus qu’une erreur de calcul ; un attentat contre elle-même. »
Emil Cioran

« Même l’homme de Neandertal aurait honte de ce que nous sommes devenus. »
Satprem

« L’homme est un miracle sans intérêt. »
Jean Rostand

P.-S.

Illustration de Topor.

2 Messages

  • Bonjour Monsieur Tarrier :-)

    Je viens de lire cet article et j’ai parcouru les autres, dont un avec plus d’attention : votre éloge de la dénatalité.

    Je partage globalement votre position sur le monde actuel, votre pessimisme et votre anti-natalisme. Du reste, votre pensée m’évoque celle d’un autre philosophe-blogueur, Yves Paccalet, et son fameux slogan : "L’humanité va disparaître bon débarras".

    Bien que mon militantisme d’origine soit syndical et non environnementaliste, je suis bien conscient que l’humanité se suicide à petit feu. Mais là où l’environnementalisme rejoint le syndicalisme, au lieu de s’y opposer, c’est sur cette idée que le monde n’a jamais été autant nuisible et à l’environnement et au travail, dans une sorte de double crise insurmontable : économique (de partage des richesses) et écologique (de partage des ressources) ; et je ne parle même pas de la crise culturelle, qui commande peut-être les deux autres, celle du partage des valeurs...

    Il y a cependant une ambiguïté dans votre pensée, mais peut-être n’est-ce que l’impossibilité de répondre à la question du terme : prédisez-vous la fin certaine de l’humanité ou envisagez-vous une survivance possible, fût-ce au prix de milliards de morts ? Il me semble d’ailleurs que vous penchez pour le second scenario, qui est, en effet , le plus probable.

    Toutefois, même dans un monde d’après 2050, où de rares humains faméliques parcourront les paysages hallucinants et dévastés que vous décrivez si bien dans vos articles, le militantisme social aura encore son mot à dire : l’histoire a montré que, même si nos ancêtres ignoraient la destruction de l’environnement et mangeaient bio sans le savoir, ils n’ignoraient pas, en revanche, l’exploitation et l’oppression des travailleurs, la torture, le scandale des injustices et des guerres, la bêtise, le fanatisme, la lâcheté, l’aveuglement...

    Autre chose, un détail cette fois, mais c’est amusant : à force d’intervenir sur internet, les pensées des uns et des autres finissent par se ressembler, comme si la philosophie était devenue aujourd’hui une entreprise collective, une sorte de Socrate, de Platon collectif. Vous écrivez un passage :

    "Quant aux fanatismes grégaires, ils sont la manifestation de tropismes religieux et signés des fous de Dieu, ou de transes patriotiques instrumentalisées par le stade ou les frontières. Les peuples se mobilisent pour une bénédiction urbi et orbi, pour un pèlerinage à la Mecque (jusqu’à 5 millions de personnes et des centaines mourant piétinés !), pour les couleurs d’un drapeau ou pour des matchs de football. Je ne peux que faire un vœu, celui de constater un jour pareille ferveur de telles multitudes pour défendre les valeurs de la Terre, de son vivant et donc l’avenir des enfants que nous mettons encore au monde dans la plus totale insouciance."

    qui ressemble un peu à un de mes propres passages dans un article d’AgoraVox :

    "Comparez l’extraordinaire déchaînement d’énergie sociétale, de violence éventuelle, de congrégation charnelle que suscite une rencontre footballistique internationale avec le peu d’entrain éprouvé pour une manifestation ou une grève, même interprofessionnelle. Et ils se trouvent encore des mauvaises langues – y compris parmi les gauchistes et autres intellectuelloïdes – pour dire que les « syndicats n’ont pas su... » Les syndicats ont fait leur travail. Si la manifestation est ratée, c’est, tout bonnement, que le peuple réserve sa pauvre énergie et son maigre argent pour des dépenses et des explosions qu’il juge bien plus intéressantes. J’imagine qu’un billet pour un match doit coûter aussi cher ou plus qu’une carte syndicale, mais les priorités sont les priorités, le peuple a su distinguer l’accessoire de l’essentiel, le superflu du fondamental, et savoir si la France va l’emporter sur l’Uruguay ou le PSG sur l’Olympique de Marseille, ça vous a une autre gueule que toutes ces conneries de syndicalistes ; retraite, protection sociale, assurance-chômage, conventions collectives, droit du travail, service public, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, disent-ils !... La vérité ne séduit point, le courage non plus."

    En tout cas merci pour votre militantisme ; je suis, en ce qui me concerne, né en 1968, et vous avez donc plus d’expérience que moi en matière d’engagement et aussi de littérature ; en tout état de cause, même plus jeune, j’ai l’impression d’être intemporellement vieux lorsque je me surprends à rêver d’une sorte de retour vers le passé, lorsque je rêve d’un 2050 qui se mettrait à ressembler quelque peu à un 1950, à une époque où l’environnement commençait son calvaire, mais sans avoir atteint l’état d’aujourd’hui...

    Et je n’aurai peut-être jamais 82 ans en 2050...

    Respectueusement, pour votre personne et vos textes :-)

    Luc Paul Roche
    Professeur de philosophie
    Militant syndical

    Voir en ligne : http://lirresistibleascensiondemarc...

    • Merci pour votre commentaire.
      J’ai effectivement en perspective une humanité qui s’entredéchirera, se piétinera, pour ne jouer que des prolongations dérisoires. Une sorte d’éternelle heure de pointe métropolitaine sur un poubellien supérieur.
      Spinoza collectif.

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