Quelle est la genèse de "Coupe de l’inaventure" ?
J’avais envie d’écrire court, de créer des miniatures, d’appauvrir mon style en m’exerçant à la densité. Car durant mon adolescence, j’avais abusé des adjectifs. J’ai donc commencé à m’intéresser aux nouvelles, à en lire et à en produire.
Justement, pour Coupe de l’inaventure vous nous proposez des micros récits, mais en lisant le livre en entier, on sent un univers…. J’ai l’impression que c’est plus le style que la narration qui vous intéresse ?
Quand j’écris, je ne tranche pas la question. Après m’être adapté au sujet et m’être tenu la tête entre les mains, je commence à travailler. En étant attentif au style, j’essaye de créer des surprises narratives. En réalité, ce qui me plait c’est l’impression de nouveauté et de parvenir à canaliser mon inspiration.
De quelle manière êtes-vous entré en littérature ?
Je ne sais pas si je suis jamais entré en littérature. Pour entrer, il faudrait qu’on m’ouvre la porte. Or, pour l’instant, je suis encore dehors sous la pluie. Plus sérieusement, la littérature a toujours été une étude autant qu’une passion. C’était dans mon tempérament dès l’enfance. En sixième, j’écrivais déjà des histoires dans mes cahiers, au lieu de dessiner des cow-boys comme les autres garçons. Et en quatrième, j’ai commencé à écrire pour moi-même. C’est donc une aventure ancienne que l’écriture.
On trouve dans beaucoup de vos nouvelles des personnages qui sont souvent restés de grands enfants et des situations cocasses. On sent chez vous à la fois un propos au scalpel et en même temps tendre sur une génération qui a du mal à grandir ?
En regardant notre génération, je vois beaucoup d’adolescents attardés. Ce n’est pas une critique. Nous sommes nombreux à reculer l’âge de la responsabilité. Sans doute, aimons-nous trop la fraîcheur…
Ce livre n’est-il justement pas celui d’une génération ? Un nouvel éloge à la paresse ?
La paresse, le repos, le loisir et même le jeu sont des activités fondamentales. Un des rôles possibles de la littérature pourrait être de démotiver les matérialistes de la valeur-travail. En leur montrant que dans l’inactivité, il y a des ressources importantes. Je pratique volontiers le « ne pas faire » mais c’est assez différent de la fainéantise. C’est de l’ordre du refus.
Oui, le refus me semble le mot juste. Refus du travail salarié. Et envie d’autre chose. Qu’elle est justement votre rapport au travail et votre utopie Roland Pradalier ?
Je suis capable de rester assez longtemps inactif, en hibernation. En contemplation. Lorsque je sens que je suis menacé par la rouille, la routine ou la stagnation, je recommence à créer. Par chance, il m’est possible de vivre sans dépendre d’un employeur. Je suis maître de mes horaires. A cela, il y a une contrepartie : L’isolement.
Mon utopie serait une dictature verte. Car je ne crois pas qu’on puisse échapper au consumérisme sans contraindre.
Sinon, dans un monde idéal, je pourrais souhaiter la sécession du 10ème arrondissement. Ce sont des provocations à creuser…
Effectivement le travail s’entend généralement comme une activité rémunérée. Pourtant toute activité d’un individu demande un effort qui peut s’apparenter à un « travail », mais dans ces cas-là, parleriez-vous d’activité de non-travail ou d’objecteur de travail ?
J’avais bien aimé la formule de Nathalie Quintane qui parlait de travail diffus. En écriture, on est travaillé par les choses. Autant qu’on travaille sur elles. En réalité, la plus grande partie de l’activité est invisible. On travaille parfois sans presque le savoir, par des processus de digestions ou de ruminations.
Mais alors justement pourquoi écrivez-vous ? Vous pourriez juste vous contenter de rêver ?
Quand on rêve, on est endormi. Quand on écrit, on est éveillé.
Comment définiriez-vous vos personnages ?
C’est variable. J’ai un attachement particulier pour les marginaux. Longtemps, la misère m’a fasciné. Elle était un point d’interrogation. Je voulais la distinguer de la simple pauvreté. Certaines des nouvelles traitent de cette question en arrière-plan. Ensuite, il y a chez moi, une volonté de pratiquer une écriture zen, saine et d’ajouter des ambigüités. J’imagine que mes personnages sont nés de ces désirs opposés.
Lorsque je lis du Pradalier, je reconnais vite votre écriture car vous avez un véritable style. On a l’impression que vous devez avoir une grande pratique de l’écriture. En même temps vous n’avez pas sorti de livre depuis presque dix ans. Pourquoi ?
Merci. Il m’arrive de ne pas reconnaître ce que j’ai écrit. Ce doit être une sorte d’Alzheimer précoce. J’ai écrit des romans pendant ces dernières années, mais ils sont dans des tiroirs. Et ils me laissaient mécontent. Achever les choses reste une difficulté. Mais je ne suis pas resté passif. Par exemple, je viens de terminer un roman et attends qu’on vienne frapper chez moi pour me supplier de le publier chez Gallimard.
Vous avez un blog, à quoi vous sert-il ?
La lecture de blogs est une habitude quotidienne. Cela crée une intimité particulière avec les auteurs qui ont des sites. Les textes paraissent à l’improviste, les mises à jour sont plus ou moins régulières. J’aime attendre entre deux publications et cette écriture par fragments, les débuts. Les accroches.
Commencer est souvent enthousiasmant (Lire sur ce sujet Barthes ou Jankélévitch). En outre, la forme courte est idéale pour internet.
Quels sont rapports avec la musique (vous avez écrit pour la Blogothèque et Chronicart) ? Vous avez une écriture très visuelle !
J’écoute en permanence de la musique et suis vraiment mélomane. Si j’ai écrit pour des sites musicaux, c’est uniquement affaire de hasards et de rencontres. D’amitiés souvent virtuelles avec d’autres passionnés.
Avez-vous des influences ?
Pas vraiment. Elles ont disparu avec l’âge. J’ai par contre un surmoi parfois tyrannique qui m’oblige à lire, relire, corriger. A être méticuleux dans l’écriture, assez intolérant et critique. J’essaye de n’imiter personne ni de me parodier ou de faire le paon. Mes influences sont donc surtout correctrices, ou guidées par une certaine dureté de jugement.
Les livres que vous lisez en ce moment ?
Je lis "Vienne et moi" de Günter Brus (publié chez Absalon) que je trouve fascinant. C’est sec, drôle et absolument original. L’auteur s’y montre aussi spirituel que violent. Deux qualités rarement réunies.
Je lis également les écrits de John Cage, Christophe Tarkos, Alfred Döblin. Et viens de racheter en poche "Les Choses" de Perec pour le relire. Sinon, je suis un grand lecteur des pages "culture" de la presse. J’ai parcouru à peu près tous les articles des principaux quotidiens et hebdomadaires depuis 10 ans !
Coupe de l’inaventure publié par les Éditions de la Revue des Ressources, En vente sur ce site
Paru le 3 octobre 2011.
Prix : 8 euros.