« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence... »
Antoine de Saint-Exupéry.
« Comme nous allons vers des terres que nous ne connaissons pas, voici que nous découvrons dans notre cœur de grands espaces inexplorés. »
Ernest Psichari
« A force de suivre les itinéraires indiqués qui ne conduisent qu’à des impasses, il va finir par s’engager sans demander conseil à personne sur son propre chemin. »
Yvan Audouard
« Homme, il faut savoir se taire pour écouter le chant de l’espace, qui affirme que la lumière et l’ombre ne parlent pas. »
Poème touareg
Les principes du tourisme durable ont été arrêtés par l’OMT dès 1988. Il se définit comme une façon de gérer « toutes les ressources permettant de satisfaire les besoins économiques, esthétiques et sociaux, et de préserver l’intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes de soutien de la vie ». Une distinction nette peut être faite entre les notions d’écotourisme et de tourisme durable : le terme même d’écotourisme désigne une composante du secteur touristique, alors que les principes de durabilité doivent s’appliquer à tous les types d’activités, d’opérations, d’entreprises et de projets touristiques, qu’ils soient anciens ou nouveaux. En bref, l’écotourisme est un voyage « responsable » qui préserve les environnements naturels et se soucie du bien-être des populations locales. Le facteur « nature » y est omniprésent.
Les voyageurs épris du Sahara existent et ont toujours existé. Presque inhérents à ce milieu, épris de sa civilisation, de sa magie et de ses beautés naturelles, ils ne sont pas profanes, discrets, sous-équipés et respectueux, ne faisant ni morale, ni prosélytisme, prêts à défendre et non à saccager, individuels ou en groupuscules non fédérés, ils sont généralement animés d’une initiative qui se conjugue à l’éthique des initiés, et pratiquent avant la lettre et avant qu’on le leur impose le voyage durable, solidaire, équitable et tout ce qu’on voudra rajouter dans la rhétorique emphatique du marketing récurrent. L’écotouriste est ethnologue, archéologue, paléontologue, géologue, botaniste, zoologue, photographe spécialisé ou simplement amateur de découverte, de peinture, de contemplation, de méditation. L’écotouriste est chercheur ou artiste par essence, et non par nécessité. Ces gens n’ont nul besoin d’être exhortés, recrutés, sollicités et ne montrent guère de sympathie pour les ruées touristiques et l’art de décevoir qui y préside. Les poches vides, c’est un modeste voyageur du savoir. Là, dans ce désert plein de vie où souffle l’esprit, il vient se remplir les yeux, bercer son âme au silence sonore. Vous en êtes ?
Il faut rappeler un principe. Il n’y a ni écotourisme, ni tourisme durable dès l’instant qu’un voyage est initié par voie aérienne : un gros avion type Airbus A380 brûle quelque 15.000 litres de kérosène par heure. Les émissions d’oxyde d’azote produites par un mouvement LTO (norme qui détermine la pollution locale créée par le trafic aérien) équivaut aux émissions d’oxyde d’azote produites par 10.500 voitures diesel parcourant 25 kilomètres. C’est beaucoup trop pour aller faire « respectueusement » cuire un pain dans le sable ou déranger l’avant dernier fennec... S’il ne peut utiliser un moyen de transport plus respectueux, l’écotourisme reste l’un des nombreux idéoplasmes de l’écoconscience, une invention gratuite (mais qui peut rapporter gros...), une vue de l’esprit émanant de corridors écotechnocratiques, spécialisés dans la lubrification des derniers caprices de l’ultralibéralisme, en l’occurrence plus ou moins marchands... de sable.
L’Aguerguer, le Drâa, le Tafilalt ne sont pas les Alpes ou la Camargue françaises, définitivement vouées, à tort ou à raison, au tourisme vert, ni même les Andes (3.000 visiteurs/jour au Machu Pichu !) ou encore le Népal sérieusement entaché par une empreinte touristique excessive. Une liste des destinations porteuses de tourisme naturel et culturel, déjà gravement saccagées pour la cause serait sans fin. L’inverse n’est pas disponible ou se réfère à l’échec. Mettre tous les terroirs dans un même panier écotouristique relève du non-sens. Au Maghreb, la trop grande disparité est exacerbée par l’extrême proximité géographique : entre l’Andalousie (qui n’est pas la région la plus riche d’Espagne) et Tanger (qui n’est pas celle la plus pauvre du Maroc), il y a 14 km et une perte de pouvoir d’achat de 14 % ! L’invité occidental fait ainsi naître chez son hôte une inévitable convoitise. La génération présente de l’amphitryon du Sud marocain, par exemple, joue chaque jour sa vie dans le détroit de Gibraltar pour tenter de gagner un Eldorado dérisoire et les touristes-aventuriers de pacotille croisent ces candidats à l’exil forcé depuis le pont de leur bateau, ceux-ci ayant le digne privilège de visiter à satiété « le désert » que les premiers tentent de fuir à la nage et contre la perfidie des lois iniques. Criante injustice. Comme il est proclamé que la pauvreté, qui mène au déni de soi-même, constitue une atteinte aux droits fondamentaux de l’être humain et qu’elle doit se situer au cœur des préoccupations internationales, l’une des stratégies de développement est donc de se rendre sur place « pour dégustation », tout en poursuivant l’édification de murs dans le sens inverse, des murs tout de même un peu troués, de quoi avoir la main d’œuvre à bon marché qu’il nous faut...
Les marchands de sable nous parlent...
« Un touriste se reconnaît au premier coup d’œil, c’est un individu habillé d’une manière telle que, s’il se trouvait dans son propre pays, il se retournerait dans la rue en se voyant passer. »
Philippe Meyer.
« Le tourisme est la réalisation achevée d’un univers de la désespérance. »
Chantal Thomas.
Sculpture du vent, écriture du sable, solitude sonore, gisement de silence, révélation spontanée, plénitude du vide, paysage intérieur, source d’effrois et d’épreuves, ...à l’origine était l’inconnu et ce jour est intemporel… Les clichés surexposés ne manquent pas pour traduire l’émotion envoûtante de cette terre de dépouillement, de soif et de faim. La tradition perpétuée veut que le désert trempe les âmes fortes et soit le cadre privilégié de la contemplation, de la méditation.
Il n’y a pas si longtemps le Sahara n’était qu’une simple tache blanche sur les cartes, blanche d’une apparente vacuité, pays tant ouvert qu’impénétrable, horizon lisse mais cependant imperméable. Mal de sable à pied, mal de mer à dos de chameau, les aventures les plus romantiques y inspirent les explorateurs et les chercheurs de trésors cachés. Les thèmes sahariens se bousculent sous la plume de mille écrivains « atteints de désert », inspirations enrichies par l’oral d’un patrimoine culturel immatériel et endémique aux peuples Hamites (Touaregs), concept inépuisable et exaltant induit par la patiente adaptation à l’hostilité environnante, à la paucité des ressources, titres de gloire et de noblesse du grand nomadisme, aujourd’hui soudainement mis en joue par l’addiction au consumérisme et la trivialité d’une civilisation de l’instantané. Desertus, « abandonné » en latin, fait naître une soif inextinguible d’inspirations, un irrésistible besoin de saisir l’insaisissable au pays de l’absolu, là où le soir le soleil éteint tout. Dans la mythologie de cet univers porteur de sacré, de cette terre de salut, chacun trouve sa quête, entend les prophéties qu’il souhaite. On s’y retire du monde, on y rencontre dieux et Dieu – mirage permanent - ou l’on s’y rencontre soi-même. À cette terre de sable et de pierres est confiée la vocation divine de la révélation, tant islamique que chrétienne. C’est lors de séjours au désert que Moïse reçoit de Yahvé les Dix Commandements sur le Mont Sinaï, que Mahomet perçoit la parole de l’ange Gabriel. On y prie, on y médite, on s’y retire dans l’ascétisme. C’est là, sur le désert christique et porteur de sacré, que le père Charles de Foucauld poursuivit son épreuve monastique. Bien d’autres l’ont suivi dans l’expérience trappiste. « Du vent, du sable et des étoiles », le Petit Prince, le chef-d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, n’est-il pas la meilleure fable de cette aventure de méditation transcendantale ?
Le Sahara représente selon les spécialistes une demande nouvelle et comme il semble pour le moins judicieux de sauvegarder le milieu, d’en gérer les ressources naturelles et humaines dans la perspective de l’invention du développement durable, on nous fait accroire que l’on pourra limiter, doser, filtrer le nombre de touristes, respectant un seuil de compatibilité. C’est du moins ce qu’énoncent les grands principes de l’Unesco dans une charte éthique d’organisateurs spécialisés (Vers une stratégie pour un développement durable du tourisme au Sahara, 2003), et dans tant d’autres annonces qui ne sont que vœux pieux. Lutter contre le danger de la massification reviendrait à demander à ceux qui s’accrochent encore légitimement à leur oasis de nier tout appât du gain. C’est illusoire. A des gens « qui ont tout mais qui n’ont rien » (la notion de manque est purement existentialiste et n’a pas sa place dans les économies de subsistance ou autarciques...), on ne demande pas de ne s’emparer que d’un quand ils peuvent avoir dix ou cent, a fortiori forts des leçons de consumérisme reçus par le biais de la télévision satellite, en ces parages bel oiseau de mauvais augure. Nous avons une expérience du voyage dit de nature au Maghreb et la litanie perçue à chaque étape est celle d’une plainte de non-fréquentation, de chambres vides et d’espoirs déçus, et ce, au cœur d’écosystèmes déjà largement victimes des affres d’un tourisme délétère. Et si la population, soudainement illuminée, résistait à la tentation en se contentant d’un tourisme de découverte minimum, on imagine bien mal l’esprit capitaliste obéir à une telle prérogative et ne pas profiter du créneau. Du jamais vu !
A l’exemple du mouton de Panurge, les terriens moyens devenus touristes se suivent, cultivant la peur de l’inconnu et ne font qu’enrichir quelques espaces déjà privilégiés du secteur touristique, y compris du domaine saharien que l’on pourrait imaginer vierge. Quitte à parcourir des centaines de kilomètres en ribambelles de véhicules 4x4 au charme ravageur et fortement polluants, depuis Agadir, Marrakech ou Ouarzazate, pour retrouver chaque soir le confort et le conforme. Drôle d’évasion ! Les autres, les anti-touristes qui marchent derrière les louables initiatives d’un grand nombre de concepteurs d’itinéraires alternatifs et autres comptoirs du désert, méritant au mieux le label d’écotourisme parce qu’ils en ont l’habit, se suivent aussi. Leurs pollutions sont plus modestes mais leur pénétration est maximale, tant dans la culture de l’habitant que dans l’intimité des écosystèmes. C’est peut-être cet aspect qu’il convient d’encourager mais il n’est nullement susceptible de satisfaire aux besoins économiques du secteur spontanément inventé pour le recevoir. Les adhérents aux randonnées pédestres ou chamelières restent un épiphénomène. Le flux touristique mondial, toutes figures confondues, a été de l’ordre de 715 millions d’arrivées en 2002 (soit une recette de 474 milliards de dollars), dont seulement 28,7 millions d’entrées pour le Continent africain, parent pauvre du tourisme (Organisation mondiale du tourisme). Le chiffre mondial prévu pour 2010, avant l’annonce de crise, était de 8000 milliards de dollars, soit 12,5 % dans le PIB mondial. Pays saharien parmi d’autres, le Maroc a placé ses ambitions touristiques à hauteur de dix millions de visiteurs à l’horizon 2010. Dans cet objectif, son plan Azur casse plus qu’il ne construit en initiant l’édification d’un mur de béton en frange littorale, depuis la frontière algérienne jusqu’à celle mauritanienne, et notamment en zone saharienne. Comment ne pas reproduire les glorieux exemples de Riviera, Côte-d’Azur, Costa Brava et autres Costa del Sol ? Outre les destinations classiques (Agadir, Marrakech...), les initiatives culturelles (villes impériales) existent depuis longtemps. Au sein de ce panorama, la place de l’écotourisme ne semble pas honnêtement définissable en chiffres. Certains rapports avancent une part de 30 % du global pour le tourisme culturel et naturel, mais ce chiffre outrancier ne tient compte que de la nature des sites et non de l’éthique des visiteurs. Tout touriste traversant une ville impériale, un village de montagne, une oasis présaharienne, visitant une cascade, une aire protégée n’est pas un écotouriste ! Bien au contraire. Il suffit de se poster au pied de l’Erg Chebbi, dans le Tafilalt marocain, pour le comprendre ! C’est l’attitude qui fait l’écotouriste, non la destination ! Tout touriste allant admirer-déranger les ibis chauves par simple curiosité se retrouve pris dans les statistiques du tourisme durable alors que son activité va à l’encontre du souci durable de l’oiseau et de son écosystème. Le chiffre raisonnable des touristes se voulant respectueux de l’environnement par sensibilité à son égard ne doit pas dépasser 0,5 %. C’est-à-dire 125.000 amateurs d’anti-tourisme pour le Maroc, ce qui est insuffisant pour motiver un secteur. Et même si ces visiteurs sont de bonne foi, cette modeste fréquentation de la nature pèse déjà trop lourd dans la balance écologique.
Concilier l’inconciliable
« Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction. »
Boris Vian
« Les effets conjugués de la croissance économique, de la pression démographique, du développement du tourisme accentuent, d’année en année, les menaces qui pèsent sur l’avenir même de l’homme. »
Corinne Lepage
« Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux. »
Jean Mistler.
En l’hypothèse que sa promotion, toute en nuances, puisse améliorer le chiffre de l’écotourisme, celui-ci deviendrait ipso-facto incompatible avec les critères sensibles du milieu ciblé. L’écotourisme massif n’est plus de l’écotourisme. Le lien à la beauté et à la dimension ressourçante du désert sont des choses essentielles qui ne tiennent justement que par une fréquentation bien en deçà du seuil de tolérance. La haute montagne et le Sahara se ressemblent : havres de silence et de paix, sanctuaires de la nature où toute présence intruse est de très loin amplifiée comme par un effet de réverbération. Mettre la biodiversité saharienne en vitrine est pur anachronisme. Il faut se montrer vertueux, chaste et pudique de ces subtiles richesses aux limites de l’immatériel, et les cacher (en y veillant !) est la meilleure recette de préservation. Pourrait-on, sinon, faire subir un examen de passage à chaque candidat convié au voyage, avec code de conduite, charte de déontologie, stage de sensibilisation, gestes et paroles conseillés à l’acteur-voyageur ? Quant au tourisme des aires protégées et hardiment présenté comme tel, « avec circuits en profondeur » (sic), qu’est-ce sinon le comble de l’imposture et de la récupération ? Si le tourisme les pénètre, sont-elles toujours protégées, ces aires ?
Les efforts internationaux actuellement entrepris pour dynamiser ce type de voyage ont tout de la caricature, du stéréotype, avec leurs fausses déclarations de principes (auxquelles personne ne croit !) masquant bien mal l’objectif toujours inavouable du gain qu’exacerbe le nouveau créneau, avec sa cohorte de clientèle gobe-tout. Les citations des anachorètes du désert, scientifiques ou religieux, ne manquent pas d’être appelées à la rescousse pour racoler le touriste douillet en mal d’aventure. Les offres de voyage à thèmes envahissent tous les supports, on nous propose même de suivre les pas de Charles de Foucauld et de ses disciples, de rencontrer les descendants des familles berbères qui l’avaient accueilli dans le désert du Sarhro... Ils pensent à tout.
Les pièces à conviction de cette imposture verte sont déjà engrangées : il suffit de se pencher sur le sort des secteurs pionniers de l’affairisme saharien dont les arénapoles marocaines se nomment, par exemple, Zagora ou Erfoud. Surfréquentation, loisirs menaçants, dunes défaites et jonchées d’immondices, ces sites sont livrés sans la moindre retenue aux marchands du temple et aux faux-guides (pas toujours incompétents...). De leur capital écosystémique, il ne reste pas grand chose, l’appauvrissement faunique est extrême, l’érosion culturelle est manifeste et cette promotion n’a même pas su mettre les casbahs et les ksour à l’abri de l’enlaidissement du parpaing. Les populations sont niées ou asservies, les enfants transformés en mendiants. Si c’est cela la source d’inspiration et l’exemple à poursuivre, voire à amplifier ! Le cas d’Ouarzazate (cité cinématographique et réserve de figurants pour films en carton-pâte), n’est guère plus exemplaire sauf que sa position de port saharien, un peu en retrait des sites sensibles, pourrait apparemment induire moins de dégâts. Quant à son rôle de levier dans la lutte contre la pauvreté locale, il est difficile de parier sur une redistribution locale de la manne touristique, mais plutôt sur la naissance d’une impitoyable concurrence dont sont sorties plus enrichies encore les classes dominantes. L’une des répercussions de la promotion d’Ouarzazate comme destination phare aux portes du désert est finalement d’avoir provoqué la mutation du charmant itinéraire de la haute Vallée du Drâa en celui d’un infernal circuit automobile. Sa charge et sa constance ont provoqué l’éviction de la totalité d’une faune perturbée par les caravanes de voitures, de tout-terrains, de camions, de camping-cars hors gabarits (chacun valant bien le prix de tout un douar local...), de motos grosses cylindrées, maintenant de quads aux performances sonores, en une formation linéaire ininterrompue, chapelet routier rehaussé de rallyes d’aventure de tous les sexes (puisqu’il existe un rallye féminin, on attend un rallye homosexuel, un autre trans-genres...), suscitant un mercantilisme de bord de route exacerbé. De quoi faire avorter la dernière gazelle ! Au milieu de cette grande parade se rendant à la curée des dunes, on devine parfois l’ombre héroïque et militante d’un couple d’écotouristes vrais en tandem. Ils y avaient cru mais on ne les reprendra plus.
Quand l’écotourisme se mord la queue
« Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère. »
Arthur Rimbaud.
Donc, l’écotouriste existe, c’est un touriste « souterrain » qu’il ne faut surtout pas dénaturer en le réinventant. C’est un voyageur qui aurait pour maître Théodore Monod et quelques autres comme Panouse ou Heim de Balsac pour le Maroc. Certains, déjà artériosclérosés, continuaient à arpenter le reg tant ils y croyaient. « Là où il y a la volonté, il y a un chemin » (Winston Churchill) pourrait être une devise de l’explorateur saharien, ascète et résigné, la passion au ventre, archétype correspondant à une classe financièrement sans pouvoir et dont les entreprises voyagistes axées sur le bénéf se fichent comme de leur premier t-shirt. L’ennemi déclaré de ce drôle de zèbre est le touriste que certains, comme Haroun Tazieff, comparaient à une lèpre. Vouloir maintenant, à grand renfort d’images et de communication, travestir l’égotouriste tout-le-monde dont la mentalité semble indécrottable en faux aventurier du désert serait jeter un définitif discrédit sur l’image un peu magique des écosystèmes sahariens, en achever le saccage de la flore, de la faune et de ses habitants (même s’ils sont naïvement demandeurs), et aboutir à faire fuir... les écotouristes innés. Mais cet effet boomerang est un peu le modèle du système sociétal animant les décideurs dont la vénalité et le court terme qu’elle induit place la conservation non pas comme un objectif essentiel mais comme une astuce de plus pour parvenir à leurs fins. L’écotouriste de toujours n’est pas un touriste, c’est un voyageur ! Depuis que le tourisme a tordu le cou au voyage, il y a confusion. Pour le voyageur, c’est le chemin qui est l’objectif, il ne cherche pas spécialement à parvenir à une destination, c’est sur la route qu’est le plaisir, la connaissance, la rencontre, le partage ou la solitude. Le tourisme est farouchement dépendant d’un timing, il le faut pour faire Paris-Erfoud-Paris en un bref (mais si enrichissant !) voyage de fin de semaine. Le vrai voyageur n’est pas une cible des services de communications des opérateurs, il décide seul et voyage seul, là et comme il le veut. Le voyageur proto-écotouriste n’est pas une vache à lait, il n’enrichit financièrement personne et partage sa survie avec le quotidien des populations qu’il visite, ou bivouaque humblement, anonymement, invisiblement. Il cherche la paix et la trouve. Il exècre la piscine, la pelouse et le golf. Il n’est pas recruté en nombre et sur des catalogues aux images archétypées. Tout jeune, il portait déjà ses voyages dans son cœur et dans son pur esprit. On ne peut donc le séduire, le rabattre, le réduire, l’apprivoiser, lui montrer le chemin. C’est en marchant qu’il fait son chemin. La plupart du temps, le voyageur a quelque chose à faire car c’est aussi un chercheur, il est maître de son cahier de route et fréquente le Sahara depuis toujours. Il a rendez-vous avec une trace, un os, une araignée méconnue, l’arôme d’une fleur... Ce milieu aride se mérite, demande une préparation, une vocation. L’écotourisme jeté en pâture et en offre promotionnelle est bien une forme d’excuse de notre société quelque peu acculée à ses forfaits, au mieux un projet d’amende honorable, au pire un montage de plus dans le monde qu’on sait.
Des cités culturelles aux bleds du bout du monde, des sites archéologiques aux réserves naturelles, des îles aux glaciers, des pôles aux tropiques, les plages, les montagnes, les forêts, les campagnes (terroirs) et maintenant les déserts, tout doit être bradé par les opérateurs touristiques et leur dernière trouvaille qu’est l’écobusiness. Le droit au voyage est un fait nouveau, la dégradation de la planète et la récession culturelle aussi. Ça va de pair. Les systèmes arides sont les plus fragiles, la régénération y met des siècles et la plupart des dégâts y sont irréversibles. L’infecte pain industriel y a déjà remplacé le pain du pays que l’on mangeait à genoux il n’y a même pas dix ans à Zagora ou à Erfoud... Au fait de l’érosion culturelle et du saccage de l’environnement partout laissés par la fréquentation touristique, et sachant que ça ne pouvait pas durer, l’invention du durable a été proclamée comme une incantation, sans que personne n’apporte la moindre garantie de viabilité de ce second temps du tourisme rural. Les touristes pionniers visitant Marrakech auraient-ils pu penser qu’on en arriverait à une telle foire sans plus d’authenticité ? Ils étaient de bonne foi, comme le sont les premières émules écotouristiques qui déambulent suréquipés dans l’oasis sans se poser la question du regard qu’ils feraient, chez eux, dans leurs deux pièces-cuisine ou leur jardin francilien si, subrepticement, quelques berbères touristes à l’envers les y venaient voir, ne serait-ce que pour apprendre comment avec tant d’argent on peut faire si peu de belles choses et être tant malheureux !
Le spectre d’un écotourisme exploité comme tel présente dans le contexte saharien de trop grands risques de dérapages et de dérives. Les exemples au bilan global négatif déjà vécus sont édifiants : mise à sac des composants de la biodiversité, nouvelles pollutions, sur-utilisation de l’eau et des ressources au mépris d’un tissu social pratiquant le génie de la parcimonie, dégradation de l’habitat, folklorisation des coutumes, mercantilisme, perte des repères culturels et des savoir-faire, irruption de nouvelles modes perturbantes, création d’un climat de dépendance sans aucune garantie d’avenir, délitement des groupes et des parlers locaux, et un long etc. A l’inverse d’autres formules, l’écotourisme saharien est inné et ne demande rien. C’est d’ailleurs une définition du tourisme solidaire.... et solitaire. C’est en tout cas l’avis des écologistes et des naturalistes avisés, experts qui bien évidemment entrent en lice sans n’avoir aucune voix au chapitre, pas le moins désireux de se voir initiés par Robot sapiens economicus aux arcanes lobbyistes du désert-business. Émules de René Dumont, de Paul-Émile Victor, de Jacques-Yves Cousteau, d’Haroun Tazieff, de Norbert Casteret, mais nullement disciples de Gilbert Trigano ou de Jacques Maillot, l’écologisme reconnaîtra les siens. Le niveau d’incompétence écologique des concepteurs de voyage est aussi bien documenté que leur avidité. Mais leurs projets sont portés au pinacle par les groupes de pression et le juteux système des connivences, ce qui leur permettra d’atteindre leur nouvel objectif qui est l’organisation de piètres cénacles entérocolitiques et autres saturnales de pique-niqueurs eunuques dans le silence désormais violé de cette terre de dépouillement, jusqu’ici chargée de symboles, de magie et de rêves. On ne peut pas toujours se taire, surtout à l’heure où l’on compte les dernières gazelles et les ultimes guépards, lesquels survivants semblant bien attirer la convoitise voyeuriste. Comme tous fantasmes apocalyptiques, les espèces en voie d’extinction, en voilà un bon filon.
Il y a cent ans, le tourisme n’existait pas et cependant, l’industrie touristique est le troisième secteur économique du monde, après le marché du pétrole et celui des véhicules à moteur. Mais toute médaille a son revers. Le développement exponentiel du tourisme va de pair avec une dégradation tout aussi exponentielle et très souvent irréversible de l’environnement. Quel qu’en soit la figure exploitée, le tourisme a été, est et restera un vandalisme sympathique qui participe à un écocide lent et certain. Cela crève partout les yeux et ne pas en convenir confine à un cynisme touristiquement correct. Le tourisme de nature promet un concept bien séduisant mais purement conceptuel. L’application de ses projets, et tout particulièrement dans le domaine saharien, va à l’encontre de sa profession de foi. C’est donc un marché de dupes, une promesse mensongère. La seule garantie offerte par l’offre écotouristique est ainsi le détournement de son objectif.
« Les marginaux sont les ramoneurs du conformisme. »
André Larivière