Audriel est la configuration poétique, nommée, d’un auteur "duel". Contraction de Aud/rey (Nobis) et Gab/riel (Willem), duo producteur et performeur de chansons populaires actuelles, dans le domaine de la variété française *. Ils forment un couple héterosexuel d’artistes, vivant, se multipliant et créant ensemble, expression à la fois de leur mode d’existence et de sa transgression sociale, dans une transformation poétique presque en temps réel de leur vie — un lyrisme de la vie nue (bare life).
Métamorphose deux fois critique, autocritique de sa source vécue, et critique de la conception et de la production artistiques, la leur étant un défi d’autonomie et d’indépendance (du moins en amont de la distribution).
Ils se donnent eux-mêmes pour objet intime de la scène générationnelle, (enclose dans les protocoles banals, en pure perte de la quête de l’ailleurs qui toujours les accompagne), avec une économie musicale classique, comme une mélodie en sourdine dans la salle où on ne danse plus mais on se regarde en prenant soin de soi, après le rock’n roll.
Audriel se présente en stratégie émergente à la fois des arts vivants, de l’art contemporain, et de la musique d’environnement. Une installation artistique pluridisciplinaire progressive, au rythme de la succession des albums et des concerts, où l’écriture — littéraire et musicale — médiatise la vie l’installant en art de vivre, comme un art corporel plastique et précaire — temporel — (selon le temps vécu, ses événements, et leur interprétation sensible). Intégration sociale par la chanson, comme s’il s’agissait d’un activisme artistique de la chanson française, dévoilant les raisons symboliques d’une renaissance publique de cette discipline, à la face des générateurs de la musique de divertissement.
Où consiste l’originalité de célébrer les actes des personnages ordinaires, étant les artistes en cause qui se distancient eux-mêmes, non des stars. Un naturalisme désertique, où la vie sensible se niche dans les replis de l’érosion collective ou des incidents privés.
Intervention iconoclaste (musicalement acoustique et socialement en retrait des signes), radicalement à contresens de la mode musicale et de la poésie contemporaine, c’est ici l’appel des sensations et la saveur des choses simples. L’attitude critique saisit l’immédiat du mode de vie et sa singularité individuelle, en même temps qu’elle s’en désempare, les situant dans l’anachronisme de l’inspiration musicale, qui leur confère l’intemporalité émotionnelle de toujours. On pourrait les situer dans la lignée des couples célèbres de la scène française de la fin du siècle dernier, aussi opposés que les duettistes Guy Bedos et Sophie Daumier, ou le duo musical Elli et Jacno (auquel on pourrait penser mais sans les confondre, car Audriel ne parle pas dans une génération avant-gardiste mais dans un monde ruiné de la culture, aux paradigmes perdus, un monde d’échec au-delà du choc de l’opposition des sexes, bien après la libération sexuelle). Défi solitaire des gens qui résistent à innover leur bel amour parmi la société désespérée et le monde rompu.
Audrey parolière et Gabriel compositeur musicien et producteur, tous les deux interprètes, en sont à leur son second album d’Audriel : Se mettre à nu. Album surgi du temps de la gestation d’un enfant de chair, comme la photographie de la couverture le rappelle... et l’album de la vie à nu depuis tout ce temps sortira en février 2011.
C’est ici le bonheur emprunt de mélancolie, l’amour fusionnel imparfait pourtant fécond, cette tristesse du bonheur reproductible en quête duquel nous sommes, mais ressentant l’adage que le bonheur ne soit pas gai, cher à Schnitzler concluant La ronde, plutôt que l’incomplétude du confort de la lampe moderne juste avant la première guerre mondiale, au coin du feu à deux chez Géraldy, entre Toi et Moi ; la tendresse et la passion de vivre, cette attention, rendent le tout possible, et pourtant l’ironie bouscule le ronronnement de l’auto-satisfaction, avec des pointes de cruauté de l’un à l’autre, pour ne pas devenir idiots de s’aimer. Et la succession des générations où les anciens prennent le grand départ.
Il y a donc à entendre, à voir, à sentir et à comprendre ; à travers un repli thématique sur l’intimité quotidienne, et sa façade d’espace et de temps civils, c’est un aspect populaire de la scène lyrique de l’amour aux sources primitives de la poésie.
Suivent les paroles de deux chansons sensibles de l’oeuvre Se mettre à nu, dont l’extrait sonore intégral de la chanson intitulée "Le dernier ballon". Elle donne à entendre pourquoi le poème écrit des paroles, qui ’doucement tinte’, justement dit "lyrics" en anglais, n’advient en plénitude de lui-même que chanté. A. G-C.
Le dernier ballon
Un panama poussiéreux
Un amas de tableaux hideux
Ma tête mes disques rayés
Ce piano en déco vidé
Un miroir de famille brisé
Une boite aux lettres sans courrier
Une confiture d’orange amères
Lointaine ma première
Lointaine ma première
Lointaine ma première gorgée de bière
Un ballon tout rond - tes mains
Un ballon tout rond - mes reins
Nombreuses nuits - en vain
Nombreuses nuits
Un ballon tout rond - tes mains
Un ballon tout rond - mes reins
Un dernier ballon
Un dernier ballon
Un dernier ballon de vin
A quatre mains
soin du corps
soir d’hiver
forteresse assiégée
ombre emportée
notes en attente
reportées
A quand le quatre-mains ?
sables poussières
refrain suspendu
hier perdu
déjà
caresses vives
en soi
Et le martinet qui n’en finit pas d’être absent.
Le quatre-mains n’aura pas lieu
L’été sera témoin de l’absence
La prunelle vert et or brille encore
Je te dirai qui elle était
Le regard se perd
Le sien
Les nôtres
Mais rien ne s’oublie
Ni les mots éternels
Ni les horaires de la mercerie
Elle a pris des couleurs
Elle les a toujours eues
Nous le savions
Le départ se fait douceur
Torpille et torpeur
P.-S.
À Audriel
À quelles fêlures anciennes ont-ils puisé l’encre de leur persévérance ?
Aux sources de l’enfance...
Aux sources de l’enfance il boivent l’eau amère
Vrillée dans le regard la nudité des êtres leur giclant au visage
Et sur le fil tendu de leur force fragile
Rose lilas la peau diaphane qui tâtonne dans l’ombre de nos indifférences
Longue écharpe d’amour jetée sur nos souffrances
Ils avancent
Vêtus d’éclat serein dans leur nudité pâle
Il y a de l’aube et du ciel et du rire dans leur nom
Comme un huit couché ils ont trouvé la clef de belle nourriture
Une émotion à fleur de lèvres au risque renouvelé
Le doigt sur la gâchette visant nos certitudes.
Information du groupe : Audriel est une évidence, c’est le croisement de deux mondes, un interstice où deux voix parlent comme une. Audriel c’est une rencontre, celle d’Audrey et Gabriel au Cours Simon. Le cinéma d’auteur leur fait du pied. Ils lui répondent, et tournent, tout en continuant la création musicale.
Ethnologie, anthropologie, musicologie, histoire, des musiques actuelles, L’observatoire musical français — jazz, chanson et musiques populaires actuelles (Université de Paris-Sorbonne).