Jim Palette rencontre Jean-Pierre Gillard
(L’interview pour Louise)
Jean-Pierre Gillard : On commence par toi ?
Jim Palette : D’accord.
J-P. G. : Tu étais un critique branché dans les années 80, où en es-tu aujourd’hui ?
J. P. : Je n’ai jamais été un critique branché, on m’a vu comme un critique branché, c’est différent. Avant tout, j’ai été un critique original dans sa manière, qui a eu le temps de sa mode dans les années 80. Mon émission de télé Aux arts ! Citoyens ! a accentué les choses. La France manquait de star dans ce domaine, je suis arrivé au bon moment, j’avais une écriture spéciale et un caractère, j’étais devenu une sorte de « wonder boy ». Aujourd’hui j’ai 64 ans.
J-P. G. : C’est trop ?
J. P. : Oui bien sûr. Mais en même temps la période est agréable, tranquille. Laisser les médias en vue n’est pas un drame !
J-P. G. : Écris-tu encore pour eux ?
J. P. : Sur l’art pas trop, j’ai travaillé un peu ces dernières années pour L’Architecture d’Aujourd’hui, mais ils ne me font pas suffisamment confiance, on verra.
J-P. G. : Et tes livres ?
J. P. : Tom campeur m’est particulièrement proche, mais je les aime tous. Chacun raconte en décalé des moments de ma vie, et j’espère qu’il y a dans chacun quelques idées intéressantes. J’ai même trouvé chez Proust (voir Guide chez Proust, Exils, 2006), dans une lettre qu’il adresse à un ami, l’idée qu’il a eu à un moment de ne mettre aucune ponctuation dans La Recherche [1] J’en ai déduit qu’il était très proche dans l’esprit du monologue intérieur. Ça n’a apparemment intéressé aucun proustien-classique.
J-P. G. : Un autre en préparation ?
J. P. : Rien n’est fermé, mais il faut que la tête fasse son travail. Et on ne peut pas lui dire grand’ chose !
J-P. G. : Cela signifie-t-il que tu croies à l’inspiration-reine ?
J. P. : Tout dépend du type de travail qui est le tien.
[2]
Plus tard…
Jim Palette : Alors maintenant à toi !
J-P. G. : D’accord.
J. P. : Que fais-tu en ce moment ?
J-P. G. : Je poursuis mon travail pictural et j’écris une pièce de théâtre dans laquelle les paroles, le son, les décors, les gestes, enfin toutes les colonnes du théâtre vivrons indépendamment. C’est un jeune metteur en scène, auteur lui-même, Stéphane Arcas, qui va travailler avec moi en Belgique pour la monter.
J. P. : C’est pour quand ?
J-P. G. : Tout dépend si je vais vite ou lentement (rires), et il ne faut pas trop me bouger sans risque de faire dégringoler mon équilibre.
J. P. : Parenthèse. Y-a-t-il un metteur en scène ou un artiste que tu détestes ?
J-P. G. : Oui Jan Fabre, il est trop nul. Et encore c’est très gentiment dit. Il fait partie de ces artistes pompiers qui comme la grenouille de la fable veut se faire plus grosse que le bœuf. Ce qui pourrait être, entre parenthèses, la définition de la Documenta.
J. P. : Tu es aussi peintre, comment vis-tu ces différents plans ?
J-P. G. : J’ai commencé à peindre en 1967 lorsque j’ai rencontré Isou et le groupe lettriste, mes livres sont plus récents. Mes poèmes et mes tableaux sont des réalisations que j’envoie dans les infinis de l’Histoire, sans aucune considération d’aucun public possible ; mes romans ont vocation à parler en français !
Plus tard encore, les deux…
Jim Palette et Jean-Pierre Gillard : Je te repose la question, comment vis-tu sur ces différents plans ?
J-P. G. et J. P. : Je prends un exemple prétentieux, peu importe, celui de Philippe Soupault. Il a écrit Les Champs magnétiques avec Breton, une œuvre exceptionnelle. Il a fait de la radio et a écrit des romans que j’aime mais qu’en général les littéraires n’aiment pas. Je n’ai jamais mal vécu mes différentes activités. Naturellement si dès 1967/1968 on m’avait offert des ponts d’or pour dire mes poèmes au Carnegie Hall, et si mes peintures s’étaient vendues des millions de dollars peut être que je me serais passé de mes romans, encore que rien n’est sûr.
Les mêmes : As-tu un rêve ?
Les mêmes : Oui, avoir plus d’argent ! Je pense à cette merveille de livre de Pannonica de Koenigswarter, Three Wishes, An Intimate Look at Jazz Greats, où elle demande à ses amis jazzmen quels sont leurs trois vœux. Je pourrais répondre autre chose, comme par exemple la douceur d’une grande amitié, mais je l’ai.
Les mêmes : Une maxime ?
Les mêmes : J’ai assez horreur, non des maximes, le fait de grands moralistes, du moins des mots d’auteurs. Ça se retourne comme on veut. Sauf peut-être La Palisse qui est franchement exceptionnel, mais c’est autre chose. Alors disons qu’il ne faut ni ignorer l’avis des gens, ni faire croire que vous comprendre est facile. Dans le quotidien, il faut être soi-même et aimable.
Les mêmes : Merci Louise.
J. P. & J-P. G.
Épilogue
Jean-PIerre Gillard
Après des études au Lycée pilote de Sèvres, sa passion pour la littérature et la poésie amène Jean-Pierre Gillard à rencontrer Isidore Isou et le lettrisme en 1966, il a dix-huit ans.
Quelques mois après cette rencontre, en 1967, il écrit son plus fameux poème, La ratepelision et participe à son premier récital de poésie au Théâtre de l’Alliance Française.
Suivront des concerts et des spectacles alliant poésie, cinéma ciselant et danse polyautomatique, notamment avec la NGL (Nouvelle Génération Lettriste) qu’il crée avec F. Poyet, GP. Broutin et JP. Curtay (Maison de l’ORTF, MJC de Ville d’Avray et de Boulogne, Lycée Balzac, Fiac, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Rencontres poétiques d’Avignon, Le Palace).
En 1973, il compose pour le film de Pierre Jouvet la Symphonie pour L’Autre. Ses poèmes ont fait l’objet d’un CD chez Novaprod Owl (Corrina Corrina, 2001).
Dès 1967, le peintre se signale par une hypergraphie des plus minimalistes autour de la lettre psi, comme dans La démarche infinitésimale n°1 ou encore L’œuvre imaginaire (La Blanche Neige endormie au psi) où il glisse simplement la petite lettre dans la main de l’héroïne. L’art infinitésimal sera son domaine d’élection.