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Le sens des affaires : Onze. 

samedi 20 mars 2010, par Rodolphe Christin

Chérie,

Un terrible imprévu est survenu. Me voici pris en otage et mes ravisseurs exigent contre ma libération une rançon de 300 000 euros en petites coupures. S’ils n’ont pas réceptionné l’argent dans quinze jours, soit le 13 juin à 4h00 du matin, ils m’élimineront. Ces gens sont sans scrupules et vénaux comme personne, ils n’hésiteront pas une seconde.

Pour l’argent, le protocole est simple. Il devra être déposé à 4h00 précises le 13 juin sous le tas de bois (de chauffage, sous l’appentis à droite de l’habitation) du Refuge du Loup, au pied du Pic de l’Etincelle. L’argent devra être empaqueté dans un sac poubelle noir. Une fois le paquet déposé, le « coursier » devra quitter les lieux immédiatement. Inutile de te dire qu’alerter les forces de l’ordre serait signer mon arrêt de mort…

J’espère que tu feras pour le mieux.

Je t’embrasse,

Hector.

PS : Mon téléphone mobile étant évidemment hors d’usage, il est inutile de tenter de me joindre.

Pour une fois, Simone se sentait absolument seule. Son homme lui faisait cruellement défaut. La vie lui jouait un tour, elle sentait monter le manque. Elle lisait et relisait ce courrier qui la fascinait. A chaque relecture des choses nouvelles se levaient en elle, des sentiments contradictoires se bousculaient, provoquant incohérence et anxiété. Et puis, de temps en temps, une intense jubilation la prenait, la jubilation de sentir que sa vie pouvait prendre un tour nouveau. Elle devait peaufiner sa stratégie dans un parfait isolement. Elle demeurait des heures assises dans un fauteuil recouvert de velours rouge, le regard dans le vide, les mains calmement reposées sur les accoudoirs. Puis d’un coup ses mains s’agitaient, devenaient fiévreuses, nerveuses, ses doigts s’accrochaient les uns aux autres, elle faisait crisser ses ongles et jouait, l’esprit toujours ailleurs, absente, avec ses bagues. Il lui fallait penser bien et penser vite, or elle n’avait aucune disposition particulière pour cela. Toutefois elle n’était pas la proie du doute vis-à-vis d’elle même, n’ayant aucune conscience de ses lacunes. L’horloge qui égrenait chaque demi-heure l’accompagnait, la reposait même. Le ton grave qui sortait de son ventre de noyer, patiné, lui apportait un brin de sérénité. De temps à autre, Simone se levait, faisait quatre pas jusqu’au miroir et observait son visage. De l’inconnu émergeait en elle, cela pouvait-il modifier sa figure ? Non, elle restait identique à elle-même, ne devenait pas plus sombre, ne prenait pas l’air patibulaire. Avec ses joues pommadées, fardées, un peu tombantes, ses lèvres rouges carmin, ses rides qui encadraient sa bouche et dessinaient une fourche une fois passées la commissure des lèvres, elle ressemblait toujours à Simone, la mondaine et exubérante Simone Dumenclin.

L’horloge sonna. Elle observa sa montre pour y lire la date. Il lui restait douze jours avant l’heure fatidique.

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