Ce geste du bras avec au bout le chiffon blanc, le signal. « C’est bon, allons-y », souffla Égrégore. Civils, nous formions un commando uni. Les doigts d’un poing. Cette nuit, rien ne devait nous arrêter, ni les barrières ni la peur. Au loin grondaient les diesels des camions. Nos cœurs préparés battaient fort dans leurs cages. Le sang claquait le tambour de l’action. Ceux qui étaient connus des Services se dissimulaient sous la cagoule d’un t-shirt. Les autres affichaient l’éclat de leurs dents, l’angle des pommettes. Les repérages avaient permis de localiser les obstacles. Six caméras de surveillance montées sur des pylônes. Une barrière haute de 2m15. Aucun vigile mais trois bouledogues américains (pelage clair, la nuit leur portait préjudice). Les doigts dans le grillage, la traction des bras, le relais des épaules, la force le long du dos et les pieds en propulsion, le tout huilé par l’agilité des corps. Hauteur franchie. Les wagons luisaient dans l’obscurité mâchurée par les réverbères. L’objectif approchait. Un chien empoigné, deux autres derrière. Grondements rauques. Couinement de gorge tranchée. Rouge sang de la gueule aux épaules. Des lames brillaient dans les poings, une ressortait ruisselante. Deux restaient figés sur leurs pattes, haletants, hagards, massifs (mais gagnés par la peur). Nous avancions malgré eux pour déposer notre griffe éclatante sur l’acier d’un convoi dont les flancs afficheront notre fade irrévérence.
Rodolphe Christin