« Je ne sais pas quelles armes seront utilisées pour la troisième guerre mondiale, si elle a lieu. Mais la quatrième se règlera à coups de massues. »
Albert Einstein
Décadence et bon sens
Pourrons-nous, une fois au pied du mur, au bout du rouleau, au moins redevenir simples, redevenir pauvres ?
Pauvre dans le sens noble et non miséreux du terme sociétal, non pas comme un affect indésirable et un statut politique de souffrance tel celui d’un SDF ; mais pauvre comme vertueux, comme objecteur de biens matériels ; pauvre avec l’immense dignité du cueilleur-chasseur-pêcheur parcimonieux, en écoute optimale avec la naturalité ; pauvre comme nomade avec la chance de ne rien posséder, pauvre comme nous l’étions à l’aube du premier matin, nos cellules et nos neurones en interdépendance avec les fondamentaux ; pauvre comme normal et non endimanché d’un illusoire confort, d’un contradictoire progrès.
Un chômeur avec mobile, qui achète des fruits exotiques dans les couloirs surpeuplés et pollués du métro n’est pas pauvre, il est distrait. La ménagère saisie par l’huissier et qui hésite entre vingt mille détergents n’est pas pauvre, elle est distraite. Celui qui ne possède rien est plus proche des dieux et de l’univers. Une preuve plus que probable : PayPal ou la Carte Bleue ne seront pas à l’origine de nos plus beaux souvenirs…
L’horizon d’une crise systémique et écologique qui s’affirme, se concrétise, à l’aune d’un temps marchand qui se fissure et sur les décombres capitalistes duquel nous commençons à marcher en tournant en rond, engendrent d’innombrables signes traduisant un repli éthologique sur soi. Pied-de-nez vindicatif ou cynisme opportuniste : Madame Obama nous montre comment on plante ses choux à la mode de la Maison Blanche, peu importe que Monsanto, craignant le pire, cherche simultanément à susciter une législation restrictive de la liberté individuelle de cultiver son jardinet. Tout et le contraire de tout est la devise d’une schizophrénie ordinaire savamment entretenue.
De nombreux mouvements récalcitrants ont déjà choisi les chemins de traverse, dans la plus pure bioéthique. Il en est ainsi, par exemple, des nouveaux freegans dont le choix stratégique est celui d’une vie alternative limitant au maximum toute adhésion à l’économie conventionnelle et à la consommation de matières premières. Ces dissidents optent pour des principes chers à certaines contre-cultures récentes de l’Occident industrialisé, prenant le contre-pied du mode de vie conventionnel, tels ceux des beatniks (la génération perdue !) ou plus précisément des hippies. Sur des modes pieux et sectaires, Mennonites et autres Amish (« Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ») ont aussi et depuis longtemps opté pour un autre chemin. Un regain non négligeable de survivalistes Nord-américains a été enregistré suite aux attentats du 11 septembre 2001, puis aux effets de l’ouragan Katrina. Le consensus dominant parmi ces adeptes d’une vie de retranchement répond au proche effondrement de notre civilisation, suite aux pénuries annoncées de pétrole, d’eau et de nourriture. Films, littérature et maintenant sites et blogs ne manquent pas sur le sujet, qu’il s’agisse de survivre à des catastrophes dites naturelles où à cette faillite estimée inéluctable et prochaine de la société anthropique. Les survivalistes s’adonnent ainsi à un apprentissage constant de techniques de survie.
En France, 76 % des jeunes interrogés disent que leur avenir sera pire que celui de leurs parents. Reposera-t-on cette question en 2100 : certainement pas puisque l’avenir n’est plus futurible !!
Alors, quand la boucle de l’homme moderne sera bouclée, que les peuples derniers n’auront plus que l’option nomade et autarcique de redevenir cueilleurs-chasseurs à l’image des peuples premiers, comment procéder ?
Comment procéder alors que nos 7 milliards d’humains auront quasiment tout consumé, que les ressources sont en voie de tarissement prononcé, que notre pétro-addiction touche à sa fin forcée, que l’eau commence à manquer, qu’une espèce végétale ou animale disparaît toutes les 18 minutes de notre biosphère, que même les abeilles – empoisonnées par le diktat agrochimique – nous quittent ? Comment les 10 ou 12 milliards de pauvres hères que nous serons en 2080 ou en 2100 - quand surviendra le grand crash - pourront-ils satisfaire leurs simples et humbles besoins basiques ?
À lui seul, le cas du riz, première céréale mondialement consommée, donne à réfléchir. La productivité tout à fait exceptionnelle d’un riziculteur américain (500 tonnes à l’année en Louisiane au lieu de 500 kg manuellement en Casamance [1]), subitement sans pétrole et sans pétrochimie, serait donc divisée par 1000. Même si le rendement rizicole n’a été que triplé dès les années 1970 en Inde, on se rend compte à quel point la révolution verte (1944-1970), avec ses apports (mécanisation, variétés à haut rendement, engrais, pesticides) a permis un accroissement spectaculaire de la productivité agricole, productivisme qu’il faut déplorer pour ses retombées néfastes et suicidaires à long terme, mais qui était incontournable à notre stupide désir de surpeupler le globe. Si nous devons nous réorienter, nous autres citadins, sommes-nous prêts à un effort polpotien pour compenser à la sueur de notre front le recours aux machines ?
En marge des exodes surnuméraires, fuyant aussi les zones submergées par la hausse annoncée du niveau des mers, loin des programmes d’épurations sous tous prétextes, s’effectueront des regroupements et l’instauration de communautés sur des écoinçons de terres encore fertiles. Il faudra se réapproprier un savoir-faire quasiment effacé de la mémoire collective, celui du XIXe siècle, antérieur à la société bluffante des moteurs avides de pétrole. Comme nous aurons perdu toute trace des animaux de trait, les survivants devront faire preuve d’une pugnacité à la hauteur du travail manuel de la terre, comme à l’Âge de pierre. Tandis que ces nouveaux paysans sédentaires cultiveront sur des terres de fortune pour des pasteurs nomades, ces derniers fourniront aux premiers encore non accoutumés au végétarisme salvateur une ration devenue maigre de calorie carnée. Les hordes de pillards, déshérités, seront partout et l’insécurité la plus totale règnera. Darfour et impérialisme arabe, Irak et impérialisme américain sont les actuels prototypes les plus « soft » de ce que l’humanité devra encaisser… pour survivre. Le décorum dantesque sera celui des aéroports ou le terminal le sera pour de bon, et des avions cloués au sol ; celui des rubans d’autoroutes et de leurs cimetières de véhicules abandonnés à l’endroit du dernier kilomètre parcouru avec la dernière goutte de carburant ; d’aérotrains rouillés qui filaient hier à 500 km/h ; de quelques centrales fumantes ayant tchernobylisé leurs lointains alentours et de palles grinçantes d’éoliennes continuant à tourner pour l’équivalent de quelques bougies finalement plus nostalgiques que démagogiques. On peut imaginer à l’infini, ce n’est d’ailleurs ni imagination, ni fiction, simplement la toute proche vision figée d’un récent passé décomposé. De plus de 10 ou 12 milliards, la population terrienne chutera à 2 milliards ou moins, capacité induite par une agriculture redevenue « naturelle », faute d’engrais dopants issus du pétrole tari et dont les restrictions sont aussi celles des dernières terres non stérilisées par un siècle d’agriculture chimique et de surpâturage. L’écrémage démographique sera parfaitement possible sans stérilisation humaine, ni le moindre usage de la bombe atomique. Tout en douceur.
Un exode pour nulle part
En exode pour nulle part, les enfants de nos enfants devront errer en quête de denrées rares en des montagnes dénudées, au substrat scalpé, aux torrents taris, dans des lambeaux de forêts fossiles et vidées de toute biodiversité. Ils iront en hordes faméliques et éperdus sur des steppes mornes et brûlantes, au sol galvanisé, en d’immenses Beauce stérilisées dont nous aurons épuisé le contenu biologique jusqu’au dernier lombric, dans un corridor planétaire d’écosystèmes déconstruits où table rase fut faite du vivant, où nous avons, avec orgueil et performance, libéré plus de cent mille molécules chimiques. Sauront-ils que, peu avant la débâcle et l’écroulement final, nous avions tenté de réparer la planète, de susciter une renaissance salutaire en baptisant bio ou écolo tout ce qui n’était qu’un retour en arrière, à la normale ? Mais que nous ne savions même pas si nous nous mentions à nous-mêmes, s’il s’agissait d’une démence de repentance désespérée ou d’un dernier bon coup pour s’en mettre plein les fouilles ? Les enfants de nos enfants (qui n’avaient toujours pas demandé à naître…) fouleront le poubellien supérieur d’infectes immondices d’une ex-civilisation de l’inutile qui colonisa nos pauvres esprits sans défense. Ils déambuleront en des décors hallucinants de banqueroute planétaire, d’autoroutes fermées, de rampes et d’échangeurs abandonnés, de gares et d’aérogares désaffectées, de stations balnéaires et de ports de plaisance ruinés, de stades effondrés, d’innombrables métropoles désertées, aux tours géantes vidées, aux pieds desquelles clignoteront dans le néant d’un espoir déconfit quelques sémaphores en détresse… Hagards, ils se souviendront de nous, de nous autres modernes, du temps de notre cuisant mirage, de l’autosatisfaction passée de nos défunts économistes, de notre incommensurable et arrogante gouvernance erronée… Comment pêcher en des mers acides et abiotiques, en des fleuves pollués et pestilentiels, en des grands lacs desséchés ? Restera-t-il au moins quelque gibier invasif pour satisfaire la dérive carnivore de l’homme omnivore ? Comment cibler un dernier petit oiseau à abattre dans un ciel de tempêtes où ne voleront plus que des billets de dollars et d’euros enfin nuls et non avenus !
En cas de cyclone ou de tsunami, les enfants de nos enfants ne pourront même plus prendre de risques pour gagner un dernier petit sou en filmant l’apocalypse pour le compte d’une quelconque CNN dont les patrons auront été illico presto sidérés sains et saufs pour l’ailleurs d’un autre part planétaire, embarqués de justesse vers un utopique projet alunissage signé Virgin Galactic.
Fable ou prophétie ?
En tout état de cause, l’inverse nous étonnerait, un nouvel âge d’or, de providence et d’amour semble improbable pour quand nous en aurons fini avec tout ce qui bouge, avec tout ce qui pousse, quand nous serons rassasiés de goinfrer, de consommer, de consumer.
Alors, faut-il encore procréer pour peupler un futur à l’image d’une fosse commune globale ?
Un temps d’errance dans un monde de poussières
À force de vouloir s’acharner coûte que coûte à imposer à la nature un aveugle rendement, à violenter les subtils équilibres, à chambarder les horizons millénaires du sol, à nier les évidences écosystémiques, à semer aux quatre vents mille et une molécules malfaisantes, notre civilisation du profit forcené avait pourtant déjà reçu d’innombrables avertissements, vécu de cuisants revers de manche. Ces coups de semonce n’auraient pas suffi. Souvenons-nous, pour le moins, du grand exode nord-américain du dust-bowl qui était une réponse à la violence agraire exercée par les nouveaux colons avides et sourds aux conseils des Améridiens. Comble de l’ironie, il survint durant la grande dépression économique. Le dust-bowl est un phénomène d’élévation dans l’atmosphère de millions de tonnes de poussières de terre agricole du fait de l’érosion éolienne. La mauvaise utilisation des terres, accentuée par une sécheresse récurrente, est chaque fois la cause de ces dramatiques tempêtes qui rendent incultivables des millions d’hectares de terres arables devenues pulvérulentes et qui provoquent l’exil de centaines de milliers de personnes. Dans les années 1930, le premier dust-bowl a sévi durant une dizaine d’années, avec de considérables nuages de sable et de poussières obscurcissant le ciel. Chassées du Kansas, de l’Oklahoma, du Texas, du Nevada, du Nouveau-Mexique et de l’Arkansas, ensablées et dépossédées, sans abri et affamées, à pied ou en charrette, 2 millions de personnes – bible anti-écologique à la main - se déplacèrent alors en masse à la recherche de terres accueillantes plus à l’Ouest. À la fin des années 1980, les grandes plaines d’Amérique du Nord durent subir le retour des mêmes méfaits.
L’harmattan est un alizé chaud, sec et poussiéreux d’Afrique de l’Ouest qui souffle vers le sud en provenance du Sahara. Il obscurcit l’atmosphère durant plusieurs jours, favorisant au Sahel les épidémies de méningite en fragilisant les muqueuses et provoquant ainsi le passage du méningocoque dans le sang. L’actuelle désertification des régions sahéliennes par l’abandon des cultures vivrières au profit d’un nouvel usage agricole intensif, imposé par l’agronomie de rente et non-approprié aux terres sèches, ne fait qu’augmenter le phénomène. Ce vent tend aussi à devenir transocéanique et ses nuages de milliards de tonnes de poussières d’un brun rougeâtre avaient été suivis avec étonnement en 1994 par des astronautes en orbite. Quand la désertification viendra à dominer la surface de la Terre, on imagine alors les cataclysmes atmosphériques, leurs conséquences en transferts alarmants et leurs pressions sur la capacité alimentaire globale. C’est ainsi qu’au printemps 1998, lorsque des nuages de poussières envahirent l’Ouest des États-Unis, de l’État de Washington jusqu’au Texas, les météorologues furent perplexes. Ils ne pouvaient déterminer l’origine de toute cette pollution, dont l’étendue et l’épaisseur asphyxiaient les campagnes. La conclusion des études entreprises est qu’elle devait provenir de Chine où une tempête de sable dévasta certaines régions durant trois jours et que les alizés auraient véhiculé vers l’est, jusqu’à franchir le Pacifique.
En voilà bien du vécu apocalyptique, et non les prophéties d’un éco-Nostradamus ! Mais il se trouve encore aujourd’hui quelques thuriféraires aux instincts collabos tels qu’ils s’acharnent à un dangereux négationnisme du réchauffement annoncé, qu’ils dénient les évidences que tout un chacun se doit de prendre en compte à l’heure où commencent à déferler les premières hordes de réfugiés de l’environnement, même si du fond de nos privilèges bunkérisés, et tout en urinant nos pesticides, ils ne nous font - apparemment - ni chaud ni froid.
Le pire n’est jamais certain…