Il était né à Paris, après une guerre mondiale qui ne laissait pas entendre qu’un demi-siècle plus tard nous entrerions, en fanfare, dans une guerre presque invisible et indolore mais plus cruelle encore, une guerre globale contre la planète, une solution finale contre la nature et ses ressources tarissables, donc contre nous-mêmes. Aux portes d’un auto-génocide. Merci les trente glorieuses, merci notre admirable progrès ! Mais les superbes tenants du système bien gardé assurent que notre vision d’une politique de la terre brûlée n’est qu’un discours, celui d’une frange dissidente de pisse-vinaigre.
Notre écolo était donc né dans cette grise capitale mais, depuis belle lurette, chassé par l’atmosphère contre-nature et irrespirable, il avait tracé en Méditerranée pour y réinventer ses racines. Il était de retour dans la ville-lumière pour éteindre quelques ampoules, être là, au Trocadéro un 28 mars, pour s’associer à un acte symbolique, avec des gens dont il partageait le relatif combat. Un combat qui ne consiste, en fait, qu’en un désir louable d’un retour à la normale.
Il prit quelques notes…
Paris-je goinfre. En dépit d’une crise inventée pour mieux nous réduire, dans les quartiers tranquilles, là où s’imbriquent dans le conforme le plus amorphe la droite complaisante et la gauche-caviar, les restaurants ne désemplissent pas et leurs cartes débordent de rumsteaks, de côtes à l’os, de souris d’agneau, de canard en confit, en magret… En dépit des discours proclamatoires, il n’est donc pas question de réduire la ration viandarde, ni par éthique alimentaire ou humanitaire, et encore moins de céder à la suggestion végétarienne par empathie pour l’animal.
Paris-trottoir. Là, on n’est pas chiche en déperdition d’énergie et en émanations pour chauffer le dehors depuis que le dedans est interdit aux fumeurs. Leur Grenelle est bien complaisant à l’égard des candidats à la nicotine mortifère. Pas d’éco-totalitarisme, il faut faire la part des choses.
Paris-primeurs. Depuis son Andalousie rendue productiviste par l’Europe avide, au fait de la dangerosité de ce qu’on y cultive, il tente parfois de dissuader les gens du Nord de consommer ce qui en émane hors-sol, hors-saison et hors raison. Eh bien, il n’avait jamais vu autant de fraises espagnoles que cet hiver-là à Paris. Même qu’entre les odeurs pestilentielles d’urine, on vend des framboises pour riches dans les couloirs nauséabonds du métro. Fauchon s’est démocratisé.
Paris-ça roule. Il ne vit que des taxis limousines pour transporter le noble parisien toujours sur les dents. Il cru même reconnaître Mamère, non pas à vélo ou dans une Smart, mais à l’arrière d’une Mercédès. Faut dire que le métro, ce n’est pas jojo. Et que l’autobus annoncé tarde à venir.
Paris-facho. À propos de bus, il en vécut une bonne. Assis ou debout, tout un chacun arborait ce jour-là un journal déployé qui crachait au visage du lecteur une retraite de 33 millions d’euros versée à Daniel Bouton, généreuse reconnaissance pour un indigne bankster de la nomenklatura. « Ça commence à faire beaucoup ! », commenta indigné (tu parles…) le secrétaire général de l’UMP. Austerlitz : c’est là qu’il descendit, il allait visiter les décombres du Muséum national d’histoire naturelle… Quand s’ouvrirent les portes, deux armoires de la RATP, secondés par deux CRS, firent obstruction : contrôle ! Judicieux. Alors qu’ils rêvent de parachutes dorés, les salauds de pauvres auraient un tantinet tendance à frauder leur ticket et à ruiner la nation. Faut les tenir ! La Grenelle pharisien n’avait-il pas promis la gratuité des transports collectifs ?
Paris–vu du Grand Palais. Pour rien au monde il n’aurait raté 6 milliards d’autres, lui qui aime tant la marée humaine. « Qu’avez-vous appris de vos parents ? », « Que représente pour vous l’amour ? », « Que représente pour vous la liberté ? »… Des questions essentielles pour faire réfléchir l’éco-citoyen bovinisé par la téléfaction quotidienne. En pleine crise financière, l’expo de YAB a coûté la peau des fesses à la banque-mécène Paris-Pays-Bas. Fabuleux, non ?
Paris-décomplexé. Raymond Depardon n’a jamais fait dans la facilité et dans son exposition Terre natale, ailleurs commence ici, en duettiste avec le philosophe-urbaniste Paul Virilio, il propose une réflexion intense sur le rapport entre l’homme et la terre, les migrations de l’homme et leurs conséquences. Les gens sont fonction des lieux et les lieux sont fonction des gens. Ce qui me gêne, c’est quand les lieux huppés nous offrent les images émouvantes de populations finissantes. Le noble accessoire bling bling n’hésite pas à soutenir l’esthète. Depardon sans Cartier, ça le faisait beaucoup mieux. Cartier a la montre, Depardon a le temps… Dommage que toute pudeur ait disparu. À ce point hyperbolique de la non-lutte de classe, le mélange des genres dérange un peu. Mais ceux qui prêtèrent leur misère au portrait depardonesque reformaté beaux quartiers ne savaient pas à quoi ils s’exposaient, ni auxquelles cimaises leur dénuement allait être suspendu, et encore moins pourquoi ils ont raté leur pauvre vie. Puisqu’en restant dans l’échelle des valeurs horlogères qui font courir le Tout-Paris, « Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a raté sa vie », dixit un fils de pub.
Paris-souvenir. « Pour embellir le quotidien et être en harmonie avec ses envies vestimentaires jusqu’au bout de la monture », il rapporta à sa compagne restée au Sud, un produit Ushuaïa dérivé de l’éco-compagnie Hulot. D’astucieuses branches de lunettes interchangeables conçues par « Atol, les opticiens !! » en « s’inspirant de la nature ». Il croyait peut-être avoir acquis un produit équitable qui n’oublie pas les habitants de ce village perdu des hautes terres argentines qui fit la gloire de Nicolas… Nous sommes évidemment loin de la mascarade d’un marketing façon greenwashing : TF 1 estime à... 100 millions d’euros le chiffre d’affaires annuel généré par tous les produits griffés Ushuaïa. Re-fabuleux, non ?
Paris-écolo. Les gouvernants du pays France n’aiment la nature qu’aseptisée. Borloo a choisi Cruiser pour en finir avec les abeilles. Et les guêpes-secrétaires d’état à l’écologie sont trop belles, trop élégantes, trop Marie-Chantal pour être vraies. L’écologie à la française, c’est du facsimilé, du faux-Vuitton, du vrai NKM et consorts.
Les gouvernements ne veulent pas changer le monde, mais seulement ajouter un rayon de green business à leur vitrine capitaliste, cela crève les yeux. Ils ne veulent pas inverser les tendances et utiliser des moyens coercitifs… qui leur retomberaient sur la gueule en mettant un terme à leur fieffée marchandisation. Avec son Grenelle, la France est particulièrement brillante dans le double-jeu et le faux-semblant. Le bla-bla de la schizophrénie ordinaire fait le quotidien des médias serviles. Bio si vous le voulez, en option, mais surtout pas obligé.
Il y a quelque chose de pourri dans l’invention capitaliste du développement rampant à sécrétion durable. L’oxymore ne fut pas concocté pour arrondir les angles de la crise écologique mais les fins de mois des disciples du pouvoir économique. Il suffit de mettre le nez dans cette capitale pour comprendre pourquoi Alain Minc, l’asticot opportuniste, secrète des anticorps à l’endroit de la doctrine écologique.
Tant qu’il y aura des framboises dans les couloirs du métro…, nous marcherons sur la tête.
Attention ! Pente savonneuse !
Les ONG écologistes doivent faire acte de résistance, et non de complaisance, sous peine de perdre tout crédit intellectuel !
« Quand cessera-t-on de penser qu’on peut fabriquer des citoyens de demain en éduquant les enfants avec de simples slogans sans rien modifier à l’environnement pestilentiel dans lequel ils évoluent ? »
Taslima Nasreen