"A force d’être des passagers clandestins de la littérature, les écrivains-voyageurs ont fini par faire des envieux. Qu’est-ce qu’un genre qui se moque de tous les genres et de lui-même ? Qu’est-ce que cet anti-exotisme qui se vend comme de l’exotisme ?
C’est vrai, le récit de voyage s’adresse à notre insatisfaction, à notre bougeotte contenue, à notre désir exacerbé d’aller ailleurs. Il commémore nos rêves défunts d’aventurier. Il parle à une part de nous-mêmes que – passées l’enfance et l’adolescence – nous avons négligée : nous sommes tous des bourlingueurs et des nomades contrariés.
L’écrivain-voyageur est d’humeur picaresque. Il vit sa vie par curiosité. Le vrai voyage commence sous la semelle de son soulier. Ministre de lui-même, indécrottable indépendant, il sait parfois faire taire son égoïsme (l’image de l’esthète courant la terre sans voir l’injustice, la misère, l’autocratie et la violence est tout simplement fausse et calomnieuse), mais – soyons juste – son militantisme est buissonnier. Fantasque. Il aime le multiple et se méfie des solutions universelles. Il change la vie en marchant. Le domicile, les dogmes, l’embrigadement ne lui conviennent pas : il voudrait habiter l’univers, tout simplement.
Contrairement à ses détracteurs, l’écrivain-voyageur ne cherche pas à avoir raison, il collecte des images, des détails vagabonds, des personnages, des émotions, des bouts du monde et de conversation... Car il guette la vérité du moment. Voilà pourquoi, sans doute, il se défie de toutes les transcendances. Fussent-elles utopiques."
Jacques Meunier (extrait d’un article publié à l’occasion de la dixième édition des écrivains voyageurs, pour Ouest France)