VISAGE DES ANCIENS(ou le rêve du Cyclope)
Visage des anciens
Photographie en frontispicedeBruno Roche
Seconde série — 2/3
8 poèmes
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1.
Il entreprend l’ascension des volcans
espérant trouver
mélangés à cette terre
les vestiges d’une sagesse
Sur les sommets
la chaleur lui rappelle un amour perdu qui ruina une bonne part de sa jeunesse
Il observe le visage des anciens
Il écoute
Il accepte toutes paroles
Puis il les laisse, dans la fournaise
avec son cerveau
brûler.
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2.
Dans un rêve
J’ai vu cette épaisse roche rouge
embrasée par le souffle de la Terre
l’immensité de la végétation aride et nue appauvrie par la folie d’hommes qui se lamentaient et criaient
J’ai vécu longtemps sur cette lisière, comme une bête
me nourrissant, pendant des années
de fruits abîmés, de racines, de résidus
effrayé par la course improbable d’un soleil ayant perdu définitivement de son intensité
Dans cet espace recouvert de cendres et de déchets
la mort, en personne
m’est apparue
Sur un tas de bois noir
penchée comme une vieille femme
elle m’attendait
balançant curieusement sa tête de fer brillant
Puis l’incendie me réveilla —
Je pleure
J’ai du feu dans les yeux.
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3.
Malgré la chaleur haute qui tournoyait autour de toi
Malgré le vent
Les grands nuages : avec eux tu décides d’être eau, amoureux de la lenteur et de l’érosion
La peur du feu — revenue jusqu’ici pour t’aveugler
La lucidité, enfin (une forme, dans la parole) :
— Pourquoi viens-tu ici suivi de tout ce monde ? D’un coup de dent en finir, voici ta force.
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4.
L’écharde, la flèche
Cette contradiction sans cesse renouvelée
— et toujours à renouveler — de la relance
née soit d’une flèche lumineuse, de l’instant vertical
soit de cette attention étrangement accordée à la boue qui elle aussi, c’est un fait, dit tout du monde.
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5.
Le rêve du Cyclope
Grand vent, mer obscure, saison d’argent
je goutte le sel et disparais pour un trajet dans l’eau glaciale
Face à l’ouest, soleil pleine face
se trouve ma réalité
impitoyable
guettant l’instant où je serai libre d’être mangé
Mes visions, enfant, n’auront été qu’un masque
Infect faciès déformé pour ce monde
comme docte liant de toutes les formes
Plutôt que de m’efforcer à trouver
ici et là
je ne sais quel prodige
j’accepte, résigné
ma peine (elle m’a brûlé le corps et la gorge, lors d’une passe sèche, accidentelle
me laissant seul avec mes visions)
J’accepte ; il n’est plus question de choisir
ni de décider
Grand vent, mer obscure, saison d’argent.
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6.
Visage des anciens
Pour rendre vivant les fruits qui lentement se décomposent
il trouve, à l’épreuve d’une forge de couleurs
cette patine unique
associée à un trait si aiguisé que seuls ceux qui ont entrevu la vie à même verront — composition sans fin, évidence d’une feuille qui se décroche et laisse sa vigueur à l’arbre entier
Puisque la saison change.
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7.
Là-dehors, en vie, toute une nuit
Il court à travers les landes et les forêts
Il trouve le souffle qu’il lui faut
jusqu’à se laisser couler profondément dans le fleuve
Il glisse sous l’eau noire, les algues, la multitude, porté par les courants le long d’immenses vasques
Il sait qu’il fait partie du monde
Il écoute
Il regarde
Un arbre tordu, sur cet amas de pierraille, lutte contre l’aridité
Les branches les plus hautes, à la recherche de la fraîcheur, sifflent avec le vent
Sur ce promontoire naturel se tient un couple d’oiseaux.
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&
8.
Comment, chaque matin, vivre avec la lumière ?
Comment prendre le réel pour compagnon ?
La beauté nous a fait naître
et nous mourrons
à la beauté
L’enfance flétrit lentement
puis renaît
Chaque fois grandit notre idée du monde
Un insecte, dans notre dos, grignote — enchanteur pourrissant ; il décide à notre place
sans répit nous lacère lorsque notre faiblesse se laisse doubler
Est-ce pour cela que l’on chante ?
Est-ce pour cela que l’on déguise, de notre voix, les tueries ?
Comment, chaque matin
vivre avec la lumière — ne suffit-il pas d’abandonner la nuit pour le jour ?
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© Lionel Marchetti - 2007 / révision 2018
Nostalgie du Cyclope — 1/3
Nostalgie du Cyclope — 3/3