Poésie du vivant
XAVIER INIZAN : « JE DÉFENDS LE VIVANT DEPUIS MON AVANT-POSTE MINUSCULE »
À travers son blog “Front Féérique”, le poète Xavier Inizan partage une parole rare, où la poésie devient un geste d’attention au monde. Défenseur d’une vision magique du vivant, il donne voix à ceux que l’on dit, à tort, « faibles ». Rencontre avec un écrivain discret et engagé, pour qui écrire, c’est résister sans violence, et vibrer avec tout ce qui vit.
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Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer votre blog ? Était-ce un besoin de partager, un élan créatif, ou autre chose encore ?
J’ai des visions poétiques. Je ne peux m’y soustraire sous peine de dépérir. J’ai la faiblesse de penser qu’elles sont belles, émouvantes. Je veux leur donner forme et les partager, pour qu’elles soient aimées. Pour émouvoir, et, en retour, recevoir des émotions. Un ami britannique m’a encouragé à le faire, en créant ce blog. Tout a commencé par une histoire d’amitié. Une histoire d’amour.
Pourquoi avoir choisi d’intituler votre blog Front Féérique ? Que signifie ce nom pour vous ?
Je pense qu’une guerre est menée contre le vivant. Je pense aussi que chaque être dispose d’un principe invisible, disons spirituel, faute de mieux : une âme, autrement dit. Je défends ce principe à partir de mon avant-poste, minuscule et pourtant essentiel, selon moi, sur cette partie oubliée de la
ligne de front, le front du merveilleux : le Front Féérique.
On retrouve dans vos poèmes de nombreux éléments naturels (oiseaux, insectes, flammes, etc.). Quel rôle joue le vivant dans votre écriture ?
C’est le fondement même de mon écriture. Elle est traversée, animée par la vie, sous toutes ses formes, de la plus humble à la plus grande. Invisible, visible. De la Fourmi au Soleil. Des Dieux aux Fées. Je crois en l’unité de ces formes de vie. Je tente de l’exprimer dans mes poèmes.
Vous parlez d’une “vision magique du vivant”. Qu’entendez-vous par là ?
J’entends par là une vision qui, précisément, accorde aux êtres cette dimension dont je vous ai parlé précédemment, la dimension « spirituelle ».
Vous donnez voix à ceux que l’on qualifie à tort d’êtres “faibles”. Qui sont-ils pour vous, et pourquoi est-ce important de les faire entendre ?
Ce sont les dominés, dont je suis, paraît-il. Ils sont dits « faibles » du point de vue des dominants. Mais ils ne le sont pas, selon moi : chaque être est dépositaire du principe que j’évoquais plus tôt, le principe de vie, avec toute sa puissance, visible ou invisible.
Il est important, du point de vue éthique, qu’ils soient entendus. Tout le monde devrait être entendu, et mieux, écouté, afin de pouvoir exprimer sa vérité sans crainte. Pour rendre la vie plus belle et plus vraie, tout simplement. La vie est sacrée. La vie de tous.
Vos textes sont brefs, parfois très épurés. Qu’est-ce qui vous attire dans cette forme minimaliste, presque contemplative ?
J’écris naturellement, et cette forme me vient parfois ainsi, sans que j’aie à forcer mon écriture. Ce dépouillement me plaît : il est à mon image, à l’image de ma vie, qui ressemble à des millions d’autres vies. Une vie discrète, sans importance.
Vous écrivez en français, mais certains de vos textes sont traduits en anglais. Pourquoi ce choix ?
Je souhaite toucher un lectorat anglophone, qui me paraît plus ouvert à la réception de mes textes.
Quelques-uns de vos poèmes ont récemment été publiés dans Literary Veganism, une revue littéraire américaine engagée. Comment cette publication est-elle née, et que représente pour vous le fait d’y voir vos textes accueillis ?
Je défends une éthique de la compassion, du soin accordé à tous les êtres, les animaux notamment. J’ai pensé que certains de mes poèmes pourraient avoir leur place dans la revue, notamment Je n’aboierai plus jamais aux étoiles, qui adopte le point de vue, la voix, d’un chien de laboratoire. J’ai soumis trois poèmes, qui ont été acceptés pour un partage dans ma langue originale, le français. Je suis véritablement honoré par la confiance accordée par Literary Veganism, et j’en profite pour remercier et saluer ici les directeurs de la revue, Gregory et Fredericka.
Envisagez-vous de publier vos poèmes ailleurs qu’en ligne ? Une autre forme de diffusion vous intéresserait-elle (recueil papier, lecture publique) ?
Je suis ouvert à toute proposition, à toute possibilité de rencontre avec un lectorat.
Enfin, quelle est la question que l’on ne vous pose jamais, et que vous aimeriez que l’on vous pose ?
Celle que vous venez de poser.
Propos recueillis par Christine Avignon.
[Interview réalisée le 05/08/2025]
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[…]
D’un sabot d’étoiles
Elle mettra à l’épreuve vos mots
Elle mettra à l’épreuve vos cœurs et vos mots
Elle mettra à l’épreuve vos âmes, vos cœurs et vos mots
Vous serez face à la chair, la chair vivante et véritable
Face à la parole de la chair
De la proie blessée
Qui a traversé le Fleuve Noir
Sans que vous aperceviez son ombre
Elle a franchi le gué du Temps
Dansante
Gracieuse
Furtive et Fière
Elle s’est jouée de vos pièges En riant
Silencieuse
Elle vous a entendu Elle a écouté
Elle a compris
Elle a soif de justice Maintenant
Pas demain
Pas ailleurs
Ici
Elle avance dans sa robe de fourrure et de feu
Ordonnée par le Soleil
Pour briser le joug ancestral
D’un sabot d’étoiles.
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Tout est Grand
Passent les saisons, glissent les jours
Des sourires aux lèvres de cerise Innocents
Des serments d’amour et d’éternité
Entre deux vies
Entre deux portiques de sécurité
Passent les saisons, glissent les jours
Des pleurs de sel aux notes de silence
Des voix cassées par la peur d’un lendemain
Sans avenir
Que deviendront mes enfants
Oublie-t-elle
la Mère
Face à l’écran
Dans la pénombre électrique
Où le Père s’endort
Assommé
Merveilles frissonnantes effacées de leurs rêves
Passent les saisons, glissent les jours
Des pluies qui battent aux carreaux des vitres embuées
De la fenêtre
Dans la nuit froide
Battue par la tempête
Au galop des chevaux du Vent
Tout est Grand
La grenouille du soir qui glisse sous le tas de feuilles amassées, l’automne, dans la petite cour
Sous la haie
Près du muret anthracite
Déesse d’émeraude, de terre brune et d’eau vive
Régnant sous la Montagne sacrée.
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Ailleurs
Ils lèvent leurs mains vers le ciel, paumes ouvertes, s’offrant à la miséricorde de l’infini
Tandis que la poudre d’acier s’abat en nuages de feu sur leurs chairs
Dans le grondement monstrueux des avions de chasse, lancés à vitesse inhumaine
Contre la Vie
Visible et cachée
Déchirant la douce rondeur des pluies matricielles d’automne
Et le pastel tendre des nuages du matin
Où les derniers dragons protégeant le passage millénaire des cygnes migrant vers le soleil
Se réfugient pour mettre bas
Sous les regards plissés des hommes-méduses aux crocs étincelants, blancs comme une morgue vide attendant le convoi de cadavres
Ils sourient, encravatés, devant les drapeaux multicolores joliment agencés, aux hampes vernies et savamment sculptées
De bois rare
Sur les écrans de télévision
De plasma
Pétrifiant nos cœurs tremblants d’effroi, dissociant nos âmes en lambeaux sanglants
Dont ils se repaissent, alimentant leur enfer
Ici
Le faisant nôtre
Alors que chantent encore les libellules
Et que le vent caresse la bruyère
Ailleurs.
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Je n’aboierai plus jamais aux étoiles
Le bleu du néon éblouissant reste toujours allumé au-dessus de la plaque de verre
Dans la froideur de la cage où je recroqueville mes membres aux griffes limées
Entravés de liens faits d’une étrange matière
Qui m’arrachent les chairs
Tout mon sang m’est ôté par ce tube planté en moi
Qui me déchire
Mes yeux brûlent
La lune est là
J’entends les hurlements silencieux des miens traverser la densité de la nuit quand tout s’éteint
Quand les hommes en blanc s’en vont
Il me reste deux crocs gris pour mâcher la bouillie grise que l’on me sert dans la gamelle de métal
Je n’aboierai plus jamais aux étoiles.
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Ni espadon ni tigre
Ni espadon, ni tigre
Ni abricot, ni grain de blé
Ni chêne, ni chair
Ni feu, ni eau
Ni air, ni terre
Ni nuage, ni récif
Ni grain de poussière, ni goutte de pluie
Vie
Ni prière, ni repentir
Ni pardon, ni foi
Ni Dieu, ni éveil
Ni sacré, ni profane
Mystère
Ni soleil, ni lune
Ni jour, ni nuit
Ni homme, ni femme
Ni chasseur, ni proie.
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L’Aigle et la Coccinelle
Dans la compote d’un beignet fourré aux pommes
Sur tes lèvres
Dans le goût sucré d’un café corsé
Pris à l’aube
Dans le brin d’herbe tendu à la coccinelle
Pour l’aider à traverser le chemin poussiéreux
Dans l’écume de toutes les vagues de la mer
Dans tous les nuages du ciel
Dans le sang qui bat dans tes veines
Dans le vent, le soleil et le sel
Dans tes mains qui ne tremblent plus
Sur la trajectoire de l’aigle échappant à la flèche
Sur la pupille lumineuse du félin d’ocre et de feu
Entre ses griffes d’ivoire et de lait
La Mort ne passe pas.
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[…]