LUMIÈRES DU SUD…
(cahier du photographe)
83 poèmes…
…en suivant
83 photographies de ROBERT FRANK
toutes tirées de son livre
LES AMÉRICAINS
THE AMERICANS
1958, 1985, 1993 pour les photographies de Robert Frank
& Delpire Éditeur, 2009
N.b. : Le titre de chaque poème de Lionel Marchetti correspond à la légende de chaque photographie originale de Robert Frank ; l’ordre chronologique du livre est respecté ; lorsqu’une photographie est par contre ici absente — une cinquantaine de photographies sont reproduites sur les 83 de l’édition originale — il sera possible de s’en référer directement à l’édition Delpire de 2009 et, dans tous les cas, le titre du poème correspondra à la légende de l’image comme il est noté dans la table des légendes située en fin d’ouvrage.
(Avec l’aimable autorisation des éditions © Delpire éditeur)
— — —
…en 1955, Robert Frank obtient une bourse de la fondation Guggenheim.
Il parcourt les États-Unis avec son Leica, pendant deux ans, au volant d’une voiture achetée d’occasion, parfois avec sa femme et ses enfants.
Il prend des milliers de photographies.
Il choisira 83 images pour composer son livre Les Américains...
— — —
LUMIÈRES DU SUD…
(cahier du photographe)
2011- 2016
PREMIÈRE SÉRIE - 1/4poèmes (& photographies) 1 à 22
Série 2/4
Série 3/4
&
Série 4/4
« Pourquoi fais-tu toutes ces images ?
Parce que je suis vivant. »
Robert Frank
1 — (10) HOBOKEN, NEW JERSEY
La période est trouble, disent-ils, et nous en subissons les conséquences
De jeunes corps alertes nous voici déjà vieux
Avons-nous été heureux ?
Notre idéal flotte dans le vent
Nous étions de nombreuses familles
venues de loin, parsemées et souvent en guerre, c’est un fait
plus ou moins officiellement réunies à l’échelle de tout un continent
(nous le croyions vierge, naïvement)
Était-ce un rêve ?
Quel est ce mur, aujourd’hui
qui nous sépare
et grandit à l’inverse même de ces étoiles imprimées sur un drapeau rayonnant ?
Enfant
vous me croirez ou pas
seule l’étendue sauvage m’attirait
Je me souviens de ces courses interminables dans les prairies et les champs
à la poursuite des quelques chèvres de grand-père (il les chérissait tant)
et, de retour à la ferme
— nous habitions aux alentours des lacs de Highland et de Mohican —
de ces longues rasades d’eau fraîche partagée et puisée à même le sol
Je me souviens aussi, c’est peut-être le plus important
de cette incroyable qualité du silence
Aujourd’hui, hélas
me voici définitivement claustrée en ville, dans un appartement lugubre et exigu
à défendre mon identité
Comme si cela était nécessaire !
Ce qui compte
pour vivre ensemble
j’en ai la certitude désormais
n’est pas tant d’avoir une identité
(ça, c’est ce qu’ils veulent nous faire croire)
que d’essayer de se construire une personnalité riche, complexe
et surtout
en accord avec elle-même
Propre à sa nature.
・・・ ・・・ ・・・
2 — (12) HOBOKEN, NEW JERSEY
Tendre un filet sur le monde
avec cette intention maniaque et savamment déguisée
comme autant d’idées derrière la tête
d’uniquement se grandir
Sur le visage
modelé par je ne sais quelle précision torve :
un masque — notre petit théâtre
Et, dans le dos, ce que l’on se doit d’occulter
Tandis qu’à l’avant du convoi se dessine l’impossible passe.
・・・ ・・・ ・・・
3 — (14) CHICAGO
Le grand tourbillon — le mensonge
Toute une vie pour en sortir…
…désormais, il est trop tard !
Aujourd’hui
je crie
avec la rage inverse du vaincu
fourvoyé sur un piédestal que j’ai moi-même construit et qui déjà s’effrite
Un ami
(je ne l’ai pas écouté)
m’avait pourtant prévenu :
Il n’est pas bon que l’Homme soit seul de lui. [1]
・・・ ・・・ ・・・
4 — (16) SAINT HELENA, SOUTH CAROLINA
Nos racines sont ailleurs
nous n’y pouvons rien
voilà pourquoi je me pose de multiples questions
Allons-nous rester ici
à nous morfondre
ou plutôt saisir, enfin, cette destinée impossible
(à nos parents tout était interdit) pour accéder à autre chose ?
Selon le mot de Villon :
Tant garde-t-on un fruit qu’il pourrit…
L’immobilisme de toute posture
La stérilité, bien souvent, du costume
L’inutilité de ces biens
acquis à la sueur crasse de je ne sais quel patron véreux
et, perpétuellement, ce filet de pensées vaines
— lancé à rebours —
pour attraper le peu qui fraye en ces parages
Nous avons été pris au piège !
Selon le mot de Villon :
Mieux vaut un bon tiens ! Que chose promise…
Mon père était généreux
Mon père était de ceux qui savent
Toute chose a deux faces, disait-il, et chaque face possède une autre face
Il sculptait dans d’innombrables morceaux de bois des paroles semblant insensées
pour converser avec ses ancêtres restés de l’autre côté de l’océan
Un jour il m’a dit : - Tu n’es pas toi-même !
Mon père était généreux
mon père ne voulait que le bien
Jeune et ignorant je ne l’ai pas compris
Aujourd’hui
j’erre dans les faubourgs
avec cette bande d’imbéciles incapables de répondre à mes questions
Selon le mot de Villon :
Tant est-on généreux qu’on perd tout…
Nos racines sont ailleurs
Je suis, dès à présent, à la recherche d’autre chose
Je me tourne vers les écrits des anciens
S’il s’agit de prendre en main sa vie
j’affirme que la tradition est verticale et débute ici-même
Ceux qui génèrent les lois sont des faussaires
Ils ne vivent que sur le limon d’une culture qui s’effondre et pour laquelle ils n’ont rien fait
Je ne mets pas, bien sûr, tout le monde dans le même sac
Selon le mot de Villon :
Tant se moque-t-on que cela ne fait plus rire…
J’ai été vieux, j’ai été enfant
j’ai été le sel de toutes les mers
j’ai été la peau bleutée du requin, puis celle, fine et sombre, d’un guerrier Bantou
j’ai été Barbare, Vandale, Picte
j’ai été femme qui enfante
j’ai été Nom dans la bouche de celui qui sait
j’ai été une pierre minuscule, effilée et gravée
j’ai été ce grand fleuve lumineux
j’ai été silence un soir d’hiver et me voici aujourd’hui
avec ce ramassis de bons à rien
à attendre
à errer
et à trafiquer
avec, en moi (vous trouvez cela contradictoire ?) tout un Monde
Selon le mot de Villon :
Tant tourne le vent qu’il s’apaise en brise. [2]
・・・ ・・・ ・・・
5 — (18) DETROIT
Cette façon, unique, de regarder
Inspirer
et
expirer
La tenue — (posture ou imposture ?)
Une folle sensation d’Amérique… [3]
Autour de nous : ondes, lumière et force
et, plus que tout, la certitude
— à coup sûr trompeuse —
qui brutalement pourrait se retourner
Les lointains
bruyants
restent invisibles.
・・・ ・・・ ・・・
6 — (20) SAVANNAH, GEORGIA
Nous avons nos idées
oui, nous avons nos idées
Notre expérience, certes, nous a forgés
Il est facile de se moquer
Nous avons été jeunes nous aussi
mais la difficulté n’est-elle pas de tenir le coup en gardant la tête haute ?
Et pour qui ?
Et pour quoi ?
Pour cette fierté d’être en vie
tout simplement
Et n’allez pas croire que notre costume singe le réel
(ou alors vous serez vous-mêmes des singes)
Un costume — une fonction —
signifie aussi se tenir à l’équilibre au sein du groupe
tout comme, soyez-en sûr, s’en tirer à bon compte
La cruauté de la vie ne nous a pas épargnés
Que savez-vous de notre passé ?
Un costume
à un certain âge
offre l’assurance d’être respecté
de cheminer de façon plus ou moins anonyme
et, à partir de là, d’en profiter intérieurement pour être, finalement
beaucoup plus libre que ce que l’on imagine
N’en déplaise aux mauvaises langues et aux jeunes, qui n’ont rien vu
Oui, nous avons nos idées
Et n’allez pas croire que notre costume singe le réel
À moins que vous ne soyez vous-même des singes.
・・・ ・・・ ・・・
7 — (22) BUTTE, MONTANA
Join the Navy — Ask me about it !
・・・ ・・・ ・・・
8 — (24) FROM NEW YORK TO WASHINGTON
Mon écriture est tarie, mon écriture bloque
elle se fige
comme si mon stylo refusait d’avancer
Le stylo est-il nécessaire pour écrire ?
J’ai beau respirer, calmement
j’ai beau me fondre
chaque matin
le plus tôt possible au milieu du monde
rien n’y fait
J’erre
cherchant à me rassasier
incapable de comprendre à quelle corde je suis attaché
J’erre en des lieux peu fréquentables
Et je trafique
Vu mon allure et mon âge avancé
de jeunes imbéciles, musclés et gominés
(ou encore ces autres petits mafieux sans envergure
croisés ici et là)
s’imaginent que j’ai cette expérience d’un capo véritable
Ils tentent de me soutirer quelques conseils
se méfiant de moi comme d’un pou
N’ont-ils pas déjà rencontré tel ou tel vieux briscard (à qui on ne la fait pas)
sortir de sous la table
à l’instant où ils s’y attendent le moins
un Colt chargé et qui fait feu
les alignant sans hésitation ?
Alors je joue le jeu
J’endosse mon costume — j’entre en scène —
espérant trouver
au travers de cette mascarade
un souffle pour un futur roman obscur plus ou moins aiguisé
que je n’ai, c’est vrai
toujours pas écrit
et que, peut-être, je n’écrirai jamais.
・・・ ・・・ ・・・
9 — (26) HOLLYWOOD
J’ai été enrôlée
pour poser
revêtue d’une fourrure animale
Une sensualité fausse
je m’en rend compte aujourd’hui
parcourt mon corps et mon visage
Je me doute qu’il existe
en cette vie
quelque chose d’autre
Me voici définitivement coincée dans cette cité hostile
Mon père
la seule personne qui compte pour moi m’avait lu, enfant
je m’en souviens
ce passage de l’Apocalypse :
Je me tiens à la porte et je frappe [4]
Cette phrase, toujours, résonne en moi
Mais j’ai beau tendre l’oreille
je n’entends rien
Suis-je sourde à ces appels ?
Pourquoi, tous
me regardent-ils
envieux
poussés par je ne sais quel appétit
alors que je souffre de n’être rien sans en avoir vraiment conscience ?
・・・ ・・・ ・・・
10 — (28) NEW YORK CITY
Juke box Rock-ola :
Don’t Forbid Me — Pat Boone
That’ll Be The Day — The Crickets
Young Love — Sonny James
Butterfly — Andy Williams
Twilight Time — The Platters
Party Doll — Buddy Knox & The Rhythm Orchids Round And Round
Butterfly — Charlie Gracie
Love Letters In The Sand — Pat Boone
Wake Up Little Susie — The Everly Brothers
At The Hop — Danny & the Juniors
&
Too Much — Elvis Presley...
... la nuit a des yeux.
・・・ ・・・ ・・・
11 — (30) LOS ANGELES
&
12 — (32) NEW YORK CITY
Lorsque enfants nous jouions sur le parking de la 110ème rue
(à cette époque la Buick Riviera de nos parents était toujours ouverte)
un homme
impeccablement habillé
s’est approché
avec, à son bras, une fille étrange qui se lamentait et pleurait
Ses larmes sont les larmes du Christ, disait-il...
Se sentant observé, l’homme nous donna à chacun une petite liasse de billets de cinq dollars
ce qui pour nous, à l’époque, représentait une somme énorme
et tous deux disparurent
sans même que l’on s’en rende compte
Quelques années plus tard
dans le même quartier
les sirènes de police hurlaient
On a vu l’homme se faire embarquer
laissant sur le trottoir
seule et perdue
cette même fille à l’allure virile qui encore une fois criait et pleurait
Je ne sais pourquoi je l’ai prise en pitié
Ne voulais-je pas fuir ma famille
avec un père alcoolique qui me battait et une mère toujours absente ?
M’approchant d’elle
je l’ai sentit se calmer
et gentiment, elle m’a accueilli
Depuis ce jour — cela fait presque cinq années déjà —
je partage son appartement
Nous nous disputons souvent
c’est vrai
et si dehors, dans le quartier
je suis le plus souvent la risée des autres
ici, plus qu’ailleurs
me voici heureux
Personne ne me juge
Je me sens libre
Hier, par hasard
en rangeant ses affaires
j’ai trouvé cette phrase (pour moi hélas incompréhensible)
maladroitement écrite sur un bout de papier froissé :
Bien peu d’êtres traversent le courant du monde jusqu’à l’autre rive ;
tous les autres ne font qu’aller et venir le long de cette rive. [5]
・・・ ・・・ ・・・
13 — (34) CHARLESTON, SOUTH CAROLINA
J’ai rêvé que j’étais malmené
Une porte, enfin, s’est ouverte
et je suis sorti
Porté par un chant s’éloignant de mon torse
mon corps est devenu fumée
et la nuit l’a avalée
C’est ainsi, je crois
que je me suis vidé de ma substance
J’ai rêvé que j’avais tous les âges de la Terre
J’ai observé la racine d’une plante
un œil
à chacune de ses extrémités
palpait toute parcelle de matière environnante
lorsque je me suis approché
ces yeux m’ont tous, sans exception, attentivement regardé
J’ai écouté, ensuite, le chant d’un oiseau solitaire
Il m’a ouvert à l’harmonie d’un silence immense
puis le vent à tout emporté
Le vent — mon allié
J’ai imaginé une Reine
Elle s’est approchée
sa peau était noire
son odeur : celle du jour
J’ai posé une question
je le sais, je m’en souviens
Personne ne m’a répondu
C’est alors que j’ai compris qu’il était temps, pour moi
de revenir
Et de rejoindre le monde des éveillés.
・・・ ・・・ ・・・
14 — (36) HOLLYWOOD
Quelque chose, c’est un fait, m’a été ôté
Et je vis avec ça
J’attire à moi, comme un aimant
une clientèle qui se satisfait des restes
(je le sais désormais)
Tous sont aveugles, quelle chance !
À trop voir, à trop comprendre
le temps — notre vie —
devient une boule infecte
Oui, je vis avec ça…
Et me voici
Dénaturé
et
seul
Certains me nomment le farfelu
Espérant tout
N’obtenant rien.
・・・ ・・・ ・・・
15 — (38) BUTTE, MONTANA
La colère et la violence sont dans ma nature
Aujourd’hui encore, malheureusement, je m’en repais
Ai-je été franche avec moi-même pour en arriver là ?
Pourquoi, toujours,
s’en remettre à une cause extérieure ?
Les parents ! — Où sont-ils désormais ?
Ma fille (la plus grande, celle qui me ressemble)
étudie en ville, depuis quelque temps, la musique et le chant
Franchement : pour quoi faire ?
Quoi qu’il en soit, c’est en assistant, ce matin
à son premier concert dans l’Église du Père Michael
que quelque chose, soudain, s’est déployé en moi
Et j’ai compris
curieusement
et sans redouter quoi que ce soit
— cela vous surprend ? —
qu’il était temps, enfin, de m’accepter
Telle que je suis.
・・・ ・・・ ・・・
16 — (40) YOM KIPPUR, EAST RIVER, NEW YORK CITY
Ces longues années d’apprentissage ont-elles été les plus belles ?
Arriver au faîte de quelque chose
et découvrir une sente
plus haute
et plus sûre encore
Il y a ici aussi, hélas — j’en ai bien peur — une odeur suffocante
Le conflit
accompagné de son inéluctable atmosphère de ruines
rôde quelque part, toujours
Sommes-nous gouvernés par des imbéciles ?
Comment agir en cette époque confuse ?
Et faut-il vraiment s’en soucier ?
Un pas devant l’autre
marcher, courir, se nourrir et dormir
éduquer ses enfants, passionnément
aimer
Lire le monde, enfin, comme une ligne ample et pleine
Faire face à la réalité
Et l’aimer : telle qu’elle est !
Pendant un millier d’années je serai une bête
lorsque je me relèverai
je dirai au monde ce que le monde sait
Voici cette nouvelle terre où nous voulons vivre
cette Terre nouvelle que, je l’espère
nous pourrons partager
L’univers entier semble infecté
disent-ils
Pour moi
il est intensément vivant
et coloré.
・・・ ・・・ ・・・
17 — (42) FOURTH OF JULY. JAY, NEW YORK
En ce jour commémoratif du 4 juillet, nous prenons nos aises
comme si de rien n’était
Je repense alors, Dieu sait pourquoi
à La Grande loi de l’unité du peuple Iroquois
Passées les folies d’hier (contre lesquelles nous ne pouvons rien)
je me remémore le nom des tribus qui vivaient entre les chutes du Niagara
la Rivière Noire, les Grands Lacs
et les hautes montagnes de l’Adirondacks...
Mohawk
Oneida
Onondaga
Cayuga
Seneca
Tuscaroras
... et je m’interroge
Habillé de plumes de corbeaux, le carquois à mes côtés, j’attends Yeibitchai
Quand sa flèche m’atteindra
mon âme deviendra bleue
Et il me parlera :
sa bouche me révèlera
quel nuage je dois suivre pour trouver le grand secret [6]
Chaque jour, chaque instant
est différent
Depuis toujours
depuis toujours
depuis des millénaires.
・・・ ・・・ ・・・
18 — (44) NEW ORLEANS
L’espace que nous pensions libre
— certains disaient offert —
s’enfonce dans les profondeurs métalliques de la nuit
Il y a quelque chose de terriblement évident
en ce monde
où l’Homme règne en maître : l’immensité est devenue petite
Nous avons inventé des machines rapides et encore plus rapides
Aujourd’hui nous voici
autour de cette boule
comme des mouches
sur une proie
Le grand mouvement poursuit sa course
Les trains se remplissent et désemplissent
Les guerres se multiplient
Les territoires s’amenuisent
De l’aube jusqu’à la nuit, de la nuit jusqu’à l’aube
Et c’est ainsi —
Chaque matin, pourtant, est un paradoxe
Une promesse d’où tout semble possible
Mais, lorsque le soir approche
une haleine immonde prend le dessus
et recouvre tout
Les absents se manifestent
Ils chantent :
Nous sommes des explorateurs de naissances diverses
bâtisseurs sur les cendres de nos morts
Et ils n’en savent rien
Tout comme nous n’en savions rien.
・・・ ・・・ ・・・
19 — (46) NEW ORLEANS
(cahier du photographe)
À l’affût — est-ce un hasard ?
J’observe, j’entends
je marche
et je goutte
Mon corps entier est-il un œil ?
Un sage dit quelque part :
Là où les idées prennent fin
la raison s’épuise
et un mot comprend les dix directions [7]
Quelqu’un se faufile — la grande concentration
À l’affût du monde dans le flux du monde
Suis-je vivant ?
Et qu’en est-il
aujourd’hui
à l’heure où vous lisez ces lignes ?
・・・ ・・・ ・・・
20 — (48) BUNKER HILL., LOS ANGELES
(cahier du photographe)
Cette chance
de parfaire l’instant (afin de se glisser là où d’ordinaire
l’on ne s’aventure pas)
Il existe un silence dans la plus grande des activités
Est-ce ici
en ces verticales
que nous sommes le plus présent à la réalité ?
・・・ ・・・ ・・・
21 — (50) YALE. NEW HAVEN, CONNECTICUT
J’aime les précipices où la lumière est immense
et semble filtrer des profondeurs
Je reste ici à regarder
à méditer
sur les hauteurs
là où je sais qu’il est vraiment possible de vivre et de respirer
(Les jeunes : à leur tour de prendre en main leur destinée !)
La beauté du ciel —
Un jour
j’écrirai Le livre des falaises
Une nuit
seul, au bout du monde
éclairé par une lampe minuscule [8]
à l’écoute de ce qui est ma vraie nature et que certains, figurez-vous
essayent désespérément de m’enlever
Ça, je le sais depuis l’enfance
Mais il y a une chose qu’ils n’ont pas
et à laquelle ils n’auront jamais accès
(bien que je l’offre volontiers) : ma force naturelle.
・・・ ・・・ ・・・
22 — (52) BEAUFORT, SOUTH CAROLINA
Une machine nouvelle
automatique
apportée il y a quelques jours par mon oncle et un représentant de la Juke Box & Co.
s’est invitée à la maison
Depuis, elle vocifère, sans cesse
diffusant un nombre incroyable de mélodies contre lesquelles nous ne pouvons rien
Allons-nous subir, longtemps
cette présence insane
(quand bien même hier soir, sous la véranda
toute la famille dansait et chantait en écoutant le saxophone de Eli Lucky Thompson)
ou en profiter — enfin ! —
Pour comprendre ce qu’il se passe en ville ?
— — — —
Fin de la première série (1/4)
Série 2/4
Série 3/4
&
Série 4/4