Du vivant de Bataille, Marguerite Duras l’avait déjà constaté : « La critique au seul nom de Bataille s’intimide. Les années passent : les gens continuent de vivre dans l’illusion qu’ils pourront un jour parler de Bataille [...] Ils mourront sans oser, dans le souci extrême où ils sont de leur réputation, affronter ce taureau. » Aujourd’hui encore, Georges Bataille impressionne : le personnage est quasi-mythique, l’oeuvre monumentale et sa pensée, excessivement riche et complexe.
Elle est pour une bonne part le fait du scandale : Bataille est surtout connu pour avoir écrit des livres érotiques. Elle est aussi le fait du mystère : il y a chez Bataille une tendance à l’occultation qui trouvera sa forme achevée dans la création d’une société secrète. A quoi s’ajoutent les ambivalences du personnage, aussi bien celles qui sont les siennes (il est à la fois un bibliothécaire austère et un assidu des maisons closes ; son oeuvre et sa vie mêlent des domaines que l’on considère comme incompatibles, tels que l’érotisme et la religion) que celles qu’on lui prête (quand il est le premier à tenter de « penser » le phénomène fasciste, certains voient en lui un « surfasciste »).
Rassemblée en une douzaine de volumes épais, composée de fictions et de réflexions théoriques, discursives ou fragmentées, l’oeuvre de Bataille aborde des domaines aussi divers que la philosophie, la politique, l’économie, l’histoire des religions, la mystique, l’anthropologie, la littérature et l’esthétique. Sa complexité tient notamment aux nombreuses filiations dont elle est issue (Nietzsche, Hegel et Sade en philosophie, Mauss en anthropologie...) et au dialogue qu’elle établit avec les oeuvres contemporaines (celles de Blanchot, Breton, Sartre, Camus...). Bien qu’il fût en marge des écoles et des systèmes de pensée (surréalisme, marxisme, existentialisme...), Bataille s’est expliqué avec chacun de leurs représentants, et il n’est pas un grand débat de son époque dans lequel il ne fît entendre sa voix.
Tout l’effort de Bataille est de ne rien laisser en dehors de la pensée, et donc d’y faire entrer cela même (cela surtout) qui l’interrompt ou la révulse (ce qu’il appelle « l’hétérogène »). Ce qui signifie aussi bien penser le monde tel qu’il est à son époque (et non pas tel qu’on voudrait qu’il soit, c’est l’aveuglement idéaliste), que penser l’homme dans sa totalité, même dans ce qu’il a de plus repoussant (sa présumée inhumanité), même dans ce qui fait violence à la représentation commune de l’humanité.
Voir en ligne : Présentation de Bataille