La Revue des Ressources

Carmen 

samedi 9 juillet 2011, par Prosper Mérimée (1803-1870)

De la nouvelle de Prosper Mérimée jusqu’à nous, comme « Carmen » a pris une aura considérable ! Cela n’aurait pas été possible sans Bizet et Nietzsche. De la nouvelle de 1847 dont nous vous proposons la lecture, Georges Bizet pour la musique, Henri Meilhac et Ludovic Halévy pour le livret tirèrent un opéra comique en 1875. Pour des raisons qui lui sont à la fois personnelles (attitude de Wagner envers Nietzsche) et philosophiques, Nietzsche tourne le dos à Wagner, à sa musique et à son idéologie et rédige, sur le tard, « Le Cas Wagner » (1888) en prenant pour contrepoint à son oeuvre l’opéra de Georges Bizet : « Carmen ». Voici ce que Friedrich Nietzsche dit de « Carmen » et de Bizet :

« L’oeuvre de Bizet sauve aussi ; Wagner n’est pas le seul « Sauveur ». On prend avec lui congé du nord humide, de toutes les brumes de l’idéal wagnérien. Déjà l’action nous en délivre. Elle emprunte à Mérimée la logique dans la passion, la ligne concise, l’inflexible nécessité. Elle possède avant tout la qualité qui est celle des pays chauds : la sécheresse de l’air, sa limpidezza. Voici, à tous les égards, le climat métamorphosé. Ici s’exprime une autre sensualité, une autre sensibilité, une autre gaieté. Cette musique est gaie ; mais non pas d’une gaieté française ou allemande. Sa gaieté est africaine ; la fatalité est en elle, la joie y est de courte durée, soudaine, sans rémission. Bizet est enviable pour avoir eu le courage de cette sensibilité qui n’avait pas jusqu’alors trouvé d’expression dans la musique savante d’Europe, — je veux dire cette sensibilité plus méridionale, plus cuivrée, plus ardente... Quel bien nous font ses après-midi dorées de bonheur ! Si nous contemplons l’horizon, vîmes-nous jamais la mer plus unie ? — Et comme la danse mauresque s’adresse à nous en nous apaisant ! Et comme sa mélancolie lascive enseigne la satisfaction à nos désirs toujours insatisfaits ! — Enfin l’amour, l’amour ramené à la nature ! Non pas l’amour d’une « noble jeune fille » ! Pas de sentimentalité à la Senta ! Mais l’amour comme fatum, comme fatalité, cynique, innocent, cruel, — et voilà justement la nature ! L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base ! — Je ne sais pas de circonstance où l’humour tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, trouve une formulation aussi terrible que dans le dernier cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt :

« Oui, c’est moi qui l’ai tuée,

Carmen, ma Carmen adorée ! »

Une telle conception de l’amour (la seule qui soit digne d’un philosophe —) est rare : elle élève une oeuvre dd’art au-dessus de mille autres. Car en moyenne les artistes ot la même manière de faire que tout le monde, en pire, — ils méconnaissent l’amour. Wagner lui-même l’a méconnu. Ils se croient désintéressés en amour, parce qu’ils veulent l’avantage d’une autre créature, souvent même aux dépens de leur propre avantage. Mais ils veulent en récompense posséder cette créature... Dieu lui-même n’est pas une exception. Il est fort éloigné de penser : « Si je t’aime, est-ce que cela te regarde ? » — il devient terrible, si on ne l’aime pas en retour. L’amour — avec cette parole on gagne sa cause chez les dieux et chez les hommes — est de tous les sentiments le plus égoïste, et, par conséquent, lorsqu’il est blessé, le moins généreux (B. Constant). » (in « Le Cas Wagner », trad. de Daniel Halévy et Robert Dreyfus révisée par Jacques Le Rider)

Voici, avant de lire la nouvelle de Mérimée, un extrait de l’opéra de Bizet :


L’édition que vous allez lire date de 1900, elle a été faite par G. Thone à Liège et scannée par l’Université d’Ottawa.


Le lien internet : http://www.archive.org/stream/carmenmr00mr#page/10/mode/2up

Le site : archive.org


Pour poursuivre la réflexion sur le rapport de Nietzsche à la musique et plus particulièrement à Bizet et Wagner, nous proposons un article en .pdf :

 Benoît Goetz, « Nietzsche aimait-il vraiment Bizet ? », Le Portique [En ligne], 8 | 2001, mis en ligne le 09 mars 2005.

et un autre en ligne :

 Lionel Duvoy, Wagner ou le masque de la décadence (essai), 3 février 2006.

(NB : tous les articles de cette rubrique sont accessibles en cliquant sur le mot-clé Love en haut de page à droite, ou ici.)

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