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Faut-il une grande cuillère pour signer avec Google ? (version bêta) 

jeudi 3 novembre 2005, par Michel Valensi

« Donner c’est faire l’impossible. »
Carlo Michestaedter

« Impossible est français. »
Dicton (pas très) populaire. XXIe siècle.

Le 25 août 2005, les éditions de l’éclat ont signé un accord de partenariat avec le moteur de recherche Google pour leur projet Google Print, dont le Landernau français de l’édition s’est ému.

Un Directeur de Bibliothèque Nationale en est même allé de son livre à 10 francs (reconverti sous le label "Mille et une nuits"), un ancien sherpa présidentiel, fossoyeur de banque européenne et gaspilleur de quelques millions de francs en game-boy électroniques qui devaient remplacer le livre, a suggéré une numérisation exclusivement française (sans doute dans l’idée de créer un internet franco-français), et un président de syndicat ayant sans doute un rapport avec l’édition (le mot figure dans son intitulé) a prétendu qu’aucun éditeur français ne s’y intéresserait tant que Google n’aurait pas placé à l’entrée du portail cinquante gendarmes, dix-huit fouilleurs de sacs, un détecteur de "napster", vingt-cinq mines anti-jeunes, trois camions de CRS en cas de castagne, et une ribambelle de juges, avocats, conseils, tous spécialistes en spoliation de droits d’auteur prêts à bondir au moindre faux pas du géant américain.

Le projet google-print est relativement timide encore par rapport aux possibilités du net de s’associer au livre-papier, mais il part d’un principe simple, celui-là même que nous avions énoncé dans le petit traité sur le lyber paru en avril 2000 dans le collectif édité par Olivier Blondeau et Florent Latrive, Libres enfants du savoir numérique, à savoir :

1. le livre est irremplaçable,

2. la lecture suscite la lecture.

3. "Donner à lire" n’est pas incompatible avec "vendre des livres".

C’est pourquoi nous avons signé. Une centaine de titres sont désormais disponibles. à moyen terme, c’est l’ensemble du catalogue qui pourra être consulté.

Le projet Google-Print est le premier projet de grande envergure (il en existait d’autres auparavant, parmi lesquels le lyber lui-même ; il en existera d’autres dans les mois à venir) qui permet une entrée en force du livre dans l’internet. Après la multiplication des sites de toutes sortes sur les sujets les plus divers, on en revient au livre comme source première d’information. On permet l’accès à une partie des contenus, on permet une navigation thématique à l’intérieur du livre, on renvoie à d’autres livres, à l’éditeur, vers des librairies, etc. mais jamais on ne se substitue au livre, dont la forme reste omniprésente à travers l’image même des pages consultées. Paradoxalement, Google-Print indique ainsi les limites d’une information infinie (qui est un leurre) à travers la prolifération incontrôlée des sites, et propose un "retour" (qui est une progression) vers un médium encore aujourd’hui sans équivalent.

Si d’autres projets semblables prenaient forme au niveau européen, nous serions les premiers à y souscrire.

Vous trouverez ci-après la liste de quelques-unes des critiques énoncées à l’égard de ce programme. Nous y répondons en quelques mots et détaillons certains points.

Google est américain.

C’est, au fond, la critique fondamentale. Le coca-cola, les blue-jeans, Steven Spielberg, Paul Auster, les Greatful Dead, Rothko, passe encore, mais Google, non ! c’en est trop. Un moteur de recherche qui veut numériser notre patrimoine national ne passera pas. L’Etat-nation, les altermondialistes et quelques ultra-nationalistes (de plus en plus souvent bras dessus bras dessous, vous avez remarqué ?) dresseront des barricades pour empêcher cela. Les barricades ? Gallica, le "serveur qui ne sert que si on ne s’en sert pas" ; un projet de bibliothèque numérique européenne (chiche !) bricolé dans l’urgence et dont l’idée est confiée à un "comité de sages-comme-des-images" (on a évoqué le nom d’Att@li-book pour veiller à sa destinée - Google peut donc dormir sur ses deux oreilles) ; une numérisation fondée sur des critères ethniques-linguistiques... les "enragés" de mai 68 avaient plus d’imagination (serait-ce les mêmes à qui on a donné des postes ?)

La publicité va parasiter la lecture.

Débarrassez-nous de celle qui parasite nos vies et on déchirera notre contrat avec Google... Avez-vous essayé de lire un quotidien en ligne avec deux mains seulement ? dix doigts ne suffisent pas à refermer toutes les fenêtres surgissantes, quand elles ne viennent pas se ficher au beau milieu d’un article et refusent de disparaître. Sur les pages de Google-Print, les liens publicitaires associées aux pages de livre sont en haut à droite. Ils ne surgissent pas, ne clignotent pas, assurent une rémunération "symbolique" à l’éditeur et celui-ci peut à tout moment soit les supprimer tous, soit en supprimer certains. Le principe de ces liens est le suivant : un fabriquant de madeleines artisanales demande à Google que son lien s’affiche chaque fois qu’un internaute tape "Marcel Proust" dans le moteur de recherche. Vous vous trouvez donc devant une page de la Recherche du temps perdu, avec, en bas à gauche, une liste de libraires où vous pouvez acheter le livre, et en haut à droit un lien vers http://www.madeleine-de-proust.com. Si vous cliquez sur madeleine-de-proust.com, la société reverse, X centimes d’euro à Google, qui reverse X/4 centimes d’euro à l’éditeur de Marcel Proust. Proust ne touche rien. D’où le tollé des syndicats d’écrivains aux Etats-Unis. Mais Proust touche des droits d’auteur si le livre est vendu. N’est-ce pas raisonnable ?

Les livres seront piratés.

C’est le grand fantasme des éditeurs ? Ils se regardent dans le miroir et voient qu’ils ont pris un sacré coup de vieux... Miroir, dis-moi qu’on va essayer de me "pirater" ! que je vaux bien l’industrie du disque ! Mais le miroir se gratte le tain... Des hackers vont-ils télécharger des livres via google et revendre des fichiers sur internet ? Feront-ils des tirages pirates du dernier livre d’Amélie Nothomb qu’ils revendront sous le manteau devant les librairies désertées ? Les toners d’imprimante vont-ils tourner à plein régime (au prix où est l’encre) et déstabiliser l’économie du livre ? L’argument ne tient pas debout parce que : 1) La photocopie est drôlement plus pratique ; 2) On ne lit pas un livre sur écran ; 3) Le livre est un objet irremplaçable (bis repetita), etc.

Si les gens accèdent au contenu du livre et le trouve inintéressant, ils ne l’achèteront pas.

On est "pour" ! Faisons de bons livres ! Faut-il alors fermer les bibliothèques ? mettre les livres sous cellophane dans les librairies et en empêcher la consultation ? interdire le prêt privé ?

Trop d’informations est nuisible.

Soit. Lao-Tseu avait proposé jadis un retour à la corde à noeud. C’était une occasion à saisir. Nous l’avons laissée passer. Il nous faut maintenant gérer l’excédent, pour construire de nouvelles "villes basses" dont toutes les fenêtres donneront sur la mer. Par ailleurs la constitution d’un moteur de recherche fondé non plus sur la "toile infinie de nos mauvaises humeurs" mais sur les livres eux-mêmes, déjà objets d’une sélection (le temps, les éditeurs,etc.) est un élément appréciable.

Les librairies indépendantes sont menacées par le commerce électronique.

On n’a pas attendu Google-Print. Les liens vers les libraires proposés par Google sont en effet ceux des plus importants libraires en ligne. Un lien pourtant, qui ne fonctionne actuellement que pour les Etats Unis mais qui devra avoir un équivalent européen, permet en tapant un code postal de disposer d’une liste de libraires indépendants correspondant à ce code postal. C’est une fonction essentielle du service proposé par Google Print. Elle doit être étendue à l’Europe. Cliquez sur BookSense.com en bas à gauche de la page pour voir comment ça marche. Par ailleurs, Google-Print est aussi un outil que les libraires peuvent utiliser pour informer leur clientèle, lorsqu’ils n’ont pas le livre en rayon (ça arrive quelquefois avec les titres de notre catalogue).

à suivre...

... mais en attendant vous pourrez trouver sur Google-Print version Bêta, 99 titres des éditions de l’Eclat, consulter la table des matières, les index, les couvertures, faire de la recherche de mots à l’intérieur du livre, lire des extraits etc.

Faites-nous part de vos remarques... nous n’en ferons pas un blog, mais elles nous permettront de préciser notre position.

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