*
Ce soir ou ce matin-là
lorsque tu tombas
sur le sol de ta cuisine
il n’y eut pas d’anges
pour te soutenir
.
À même le carreau froid
sentant s’épuiser ta chaleur
tu suivis l’étrange lueur
qu’accrochaient encore ou déjà
les pieds chromés de ta petite table
s’esquiver se brouiller
partir au loin
.
Comme les pas les visages les présences
qui dans ta vie n’ont cessé
de se détourner de toi
pour te laisser
mourir
seule
*
Humble vie
humble ta vie :
jeunesse et guerre
travail d’usine
jusqu’à la mort du textile
mariage sans maternité
veuvage précoce
.
Des bêtes de compagnie
pourries comme des enfants non élevés
aussi égoïstes
que neveux et petits-neveux
avides mesquins
quémandeurs
.
À tout tu opposas
sans te rebuter
l’élan l’allant
sans arrière-pensée
la main ouverte
et le cœur libre
*
Humble vie
humble ta mort :
un double coup
brisa la naïveté
qui était ta seule défense
.
Le petit malheureux
réchauffé en ton sein
comme un fils imprévu
organisa contre toi
une agression
et fit plus
que te dépouiller
.
Une sœur déchaînée
par la mort de tous les autres
pour un mot pour un rien
sur toi lâcha
son chien
.
Tu fus cruellement
mordue
*
Je suis celui
qui pleure ici
entre les lignes
.
Comme d’habitude
j’étais loin
je ne t’ai pas vue
morte
.
(J’ai vu d’ailleurs
bien peu de cadavres
et ne verrai le mien)
.
Ton décès
je l’appris après tes funérailles
par le biais de la sœur
au chien
*
Terre picarde
si grasse et noire
- poétesse des jardins ouvriers
ouvrière en fertile campagne -
creuse à son corps
ton lit profond
.
Terre brisée battue soumise
accueille-la
toute crampie
dans sa boîte
.
Accorde-lui ton repos
et même plus
s’il est vrai que les sources
qui hantent tes cimetières
conduisent l’essence
des morts
jusqu’à la mer
*
Tu vois
je cherche des issues
je ne puis admettre
ta fin sans appel
.
Je me dis
que tu n’es pas bien loin
bien qu’invisible
je t’entrevois pourtant
j’entends ta voix
à l’intérieur de moi
.
Je me dis aussi
que s’il est un séjour
posthume
pour les cœurs simples
et droits
tu dois y être
*
Il y a
à Saint-Quentin (Aisne)
dans la basilique
un dallage en labyrinthe
appelé "La Lieue de Jérusalem"
.
Ceux qui ne pouvaient
faire pèlerinage
aux Lieux saints
s’y usaient longuement
douloureusement
les genoux en pénitents
.
Nous la découvrîmes
ensemble
j’achetai sur place
cette carte postale
qui témoigne aujourd’hui
sur ton carrelage glacé
tu l’as terminée seule
ta lieue