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Papier-forêt 

vendredi 16 janvier 2009, par Romain Noir

Dans les forêts traversées, lorsque j’emprunte les sentiers de ma mémoire, le coeur défriché, mes yeux fatigués se perdent sur les cercles des troncs, le regard à la lisière du souvenir, chancelant sur les bords du vide et du néant, et le voile embrumé de l’oubli qui s’impose, plie, en balbutiant ses sarcasmes sous un vent livide et froid. Malgré moi, je voyage. Mon corps en suspension presque, au-dessus des cieux. Au-delà du temps, il me transporte et flotte, imperturbable inquisiteur, au-dessus des ans. C’est alors que je te revois, toi, que je n’ai pas oubliée. Ta peau respirée, que le temps va inéluctablement transformer, en forêt de fripière, curiosité de chiffonnière. Ma douce nymphe elfique. Je cours à ta poursuite, dans cette forêt sublime et silencieuse où je criais ton nom dans l’écorce d’un cèdre, il y a si longtemps déjà.

Forêt de folie. Symphonie marécageuse et sinueuse. Je quitte le désert de la toundra et plonge dans la taïga jusqu’aux forêts boréales subarctiques, où je reprends mon oxygène. Je slalome ensuite de zigzags en chicanes en suivant les méandres et j’arrive à tes frontières. Forêt monotone et magnifique. Couleurs humides et sèches encombrées de traces de saisons mortes, envahies par la tourbe des fossés, au fond desquels je trouve refuge un bref instant. Eternel automne.

Et je poursuis ma route. A ta recherche.

A travers ces forêts muettes, des bribes de messages affolés, de voix tronçonnées, de paysages rasés, par la nuit chargée de sons, d’éclairs, d’odeurs et de chairs. Le coeur, presque, à l’arrêt.

Bip. Bip ... bip.

Alerte ! Alerte ! Alerte aux forêts d’obstacles infranchissables, alerte à la mort du papier, papier cache-cache ... Alerte aux forêts électriques, aux pythons d’acier, aux transmetteurs lancinants.

Bip. Bip ... bip.

Je cours encore et des forêts sans faille et sans pitié dressent leurs murs de terre, de briques ou de cendres. Pire. Des forêts d’holocaustes sans clairière et sans fin. Lignine et pêche à la cellulose, de cellule en cellule, à la limite.

La forêt crie sur l’herbe à la vie et à la mort, et dessous, le cimetière sans fin accumule les résidus de forêts guerrières que l’homme tagge au canon comme autrefois au lance-pierre avant d’être réchauffé inéluctablement par la mort au feu de bois, mort, ou au pétrole, résidu de bois mort, ou d’être coincé entre quatre planches, quand la forêt compte elle, ses morts à la souche, son corps entre lattes fines et découpées, voué à la décomposition, à l’extrait de sciure, emmuré de barreaux par des morceaux de troncs frais plantés en guise d’apothéose au milieu des marais périmés et puants de sa vie ridicule.

Sans toi.

Le temps vieilli sonne sans cesse la fin du monde, comme celle de ces peuples de l’arbre que l’on tue, à coups de hache, ou à la force mécanique de mangeuses à bois, qu’on massacre jusqu’aux socles brisés comme ceux de ces misérables vies d’homme brûlées, feuillages que l’on embrase d’une allumette, ou ces jeunes pousses que l’on passe à l’abattoir, ces forêts aux abois dont seuls, se nourrissent les plus forts, dans un gigantesque festin cuit sur coeur de pierre.

Ma tête éclatée et mon réseau de souvenirs à la moulinette. L’esprit désert, bouleversé par les mots. Frêles souvenirs, mis à l’index, asservis par l’agenda. Jusqu’à l’étouffement.

Pas d’issue.

Pas d’issue, la forêt sans dessus, pas d’issue, la forêt sans dessous, pas d’issue, sans dessus dessous, pas d’issue, les mailles des pauvres tiges qui se plient sous les vents cruels ou le circuit balafré de notre propre labyrinthe en perpétuel retournement, circonvolutions du massif agencement d’un monde convulsé qui tire en vain sa sonnette d’alarme à l’ombre des chênes, pauvres prisonniers de leur toile.

Elle note, forêt méthodique, à sa place : l’organe et le corps, le mot et la chose, l’image ou le son, le sens ou l’espace ... Quel formidable effort ! Deviner son portrait, classifier d’un seul murmure ; esquisser le secret du portail de ce chorégraphe grimpant, ouvert, vers nos regrets oubliés : forêts de briques et breloques, peuplement dense en nappes, sources et forêts relatives, petits boisements de désert salé ou gelé, galeries tropicales, conifères en rivières ...

Retraverser ces forêts interminables. Encore et encore. Me retrouver devant le cèdre. Puis, d’un coup net, tirer un trait sur nos amours mortes.

En vain.

Je t’ai dans la peau de tous ces arbres, ton nom gravé à la pointe du canif.

A jamais.

Pénible écorce.

Et tant aimée.

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