Dieu et la laitière
Me voici de nouveau devant Toi
Dieu de Chateaubriand et de Lamartine
Dieu envieux d’Ulysse en son envoi
D’Œdipe et d’Iphigénie de Germinal et des mines
Et j’ai vu le petit devant Toi
Prostré mentalement agenouillé sur une chaise de l’Agence Nationale Pour l’Emploi
Rendu prostré faisant la moue faisant grise mine
Sans diplôme en poche à enseigner juste un paquet de Camel et une lime
Espérant un Auvergnat
Et un feu de bois
Que l’assistante immense enfin l’appelle du bout d’un doigt
Pour lui faire savoir
Qu’il n’est pas seulement
Bon à rien
Mais surtout
Mauvais en tout
Alors ce soir
Je lève mes deux bras
Me voici toujours là
Contrit et vaincu
Mais toujours ferme en la bataille
Même si le combat à jamais est perdu
Hissant la voile au gouvernail
Pour que tu changes notre sort
Comme les torrents du Négueb
Pour ceux qui semaient leurs champs de pleurs
Chantant la trêve
Je ne suis pas d’accord
Avec Benedetti
Lorsqu’il écrit
Que nous comprenons ta douleur
Face au démon qui t’entrave
Et que nous te pardonnons
Car nous pardonnons tout
Je ne pardonne pas ton nom
Qui sonne creux au fond de ce trou
Pourquoi imposes-tu toujours que tout se fasse dans le sang et l’urgence
Lui quittant beaucoup de son plein sens
Ce n’est pas que comme Héraclite
Je pleure
De tout
Mais je n’en ris pas non plus
À la différence de Démocrite
Je ris comme Beaumarchais
De peur
D’avoir à pleurer
Comme la laitière en son marché
Mes espoirs ont été leurrés
Le fond(s)
Du fond
De ma gamelle de Canigou
Dinant comme les indiens à genoux
Je regarde émerveillé la télévision
Et le Ministre Président
Poil-aux-dents
Les yeux vitreux la panse devant
Qui fait une sérieuse déclaration
Statement du gouvernement :
"Il y a de la Sécu le trou
Et des chômeurs qui ne travaillent pas le coût"
C’est pour ça que s’arrangeant
La panse de la cravate au-dessous
Il dit d’un air préoccupé et mou :
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
Alors moi dans le fond
Au fond
De mon trou
Du c. du fond
De ce tré(très)-tro-fond
Je réponds
C’est vrai
Mais il y a des millions
Pour les banquiers qui misent au Casino
À Monte-Carlo
Qui font
La rue
À Wall Street
Et la roue
À Las Vegas
Qui muent
À chaque crise ils prennent du bide
Qui font la moue
Pour qu’État-papa leur donne leur mou
Même s’ils perdent ils n’ont que des As
Comment perdre si ce sont les autres que paient las casse
Qui paient leur casse
Casse
Casse à la Banque
Cash
Cash pour la Banque
Casse
Casse à la Banque
Cash
Cash pour la Banque
Alors c’est là bien sûr que le Ministre Président
Qui fait la pluie et le beau temps
Lance préoccupé mais mou :
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
Alors moi je réponds
C’est vrai
Mais en réalité
Il y en a pour les armées
Les militaires en string
Mankini
En Afrique à Ho-Chi-Minh
Et à Haiti avec les États-Unis
À Paris
Entre Guimard et le bistro
Tu meurs de faim dans le métro
C’qu’on est mal nourris
S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche !
Ou bien leurs mioches
À Versailles
Les locataires
Se congèlent les pieds au parc en hiver
Alors des feuilles y’s’font des pulls en maille
... bête comme ses pieds...
Dans ma maison qui n’est pas ma maison
Alors
Sous les ors
Et les médaillons
De boeuf de l’Élysée le Ministre Président
Qui taille des bavettes et sur les joues (peut-être) baise les enfants
S’exclame perplexe et chaque fois un peu plus dans le flou :
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
Mais moi je réponds
Dans le fond
De mon trou
Je m’en fous
Mais des fonds
Y’en a cent trente millions
Pour le Sénégal
C’est égal
Ancienne colonie
Cinq cents millions
Pour Haïti
Politique internationale
Y’a eu une explosion
... j’habitais un pavillon d’banlieue
J’étais comm’ tout le mond’ pétri de bonn’s manières
Tous les dimanch’ matins je jouais au tiercé
Je portais des cols durs et des bandag’s herniaires
C’était avant la guerr’ avant qu’tout ait sauté
C’était voilà maint’nant bien trois millions d’années
Vous n’avez rien à craindre y a plus de retombées
Des millions
Mais si Sir
Y’en a bien pour le FMI
Et ses amis
Pour les banquiers à toute heure
Qui ne connaissent jamais
La prison ni l’huissier
Malgré toutes leurs erreurs
Pour les armateurs
Pour les pétroliers dictateurs
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Il n’y a plus
Non
De fonds
De fonds"
"Oh bah ça alors c’est trop con"
Et oui c’est à la Chandeleur
Qu’autour
Vautours
De la Galette des Rois
Dont chacun agarre ce qu’il pense avoir droit
Les Ministres et le Président
Verre de champagne en main
S’affilant les dents
Et émoussant le vin
Entonnent tous en coeur
D’un air
Allègre et guilleret
On saura bien les crever
Cette conclusion
Frappée au coin du bon sens populaire
Qu’ils aiment tant
Les odeurs et le parc d’automne
Je parle du premier Bashung
Et de Thiéfaine les pieds dans une poubelle
Route à La Rochelle
Je parle encore
Du pied de Barbara
Derrière le rideau
Et de celui de La balançoire
De Fragonard
De Marcel sur les remparts de Varsovie
Et des chinois cultivés du dernier Jacky
De Reggiani
Avant qu’il perde sa voix
Et son monocle à Altona
Du simple feu de cheminée
De l’enfer de Garcin
Des dimensions du Silence de la mer
De La symphonie pastorale
De la longueur de Boule-de-Suif
Et de La Métamorphose
Et du passage d’Iphigénie dans Silbermann
De Socrate et du satyre de Rabelais
Et des fatrasies
Des peurs nocturnes du jeune Chateaubriand
Et du Château de Pictordu
Je suis un vieux livre
Rien de plus
Et les Croix de guerre et l’imminence de L’Illustration en couleurs
La peur de Boulanger sur les marches
Le président en pyjama
Tombé d’un train
Et cette vieille gueule cassée
Marchant sous le soleil d’été du parc à jockeys de Maisons-Laffitte
Guidée par sa plus jeune fille
Les longues avenues noires de monde
Des élégantes promenades du Joueur
Des Nuits blanches
Et des Mémoires du sous-sol
Qui sent le bois mouillé et l’imprimerie fraîche
Ils m’offrent la nuit
Ils m’offrent la nuit
Et je suis comme Cendrars
Je préfère le matin
Le soir
Me fout le cafard
Ils m’offrent la nuit
Et le ressac du vin
Au petit matin
Le lit
Et la mort au jour
Ils m’offrent la nuit
Comme un immense four
Où fourrer toutes mes ruines illusions
Le fard
Pour racheter leurs émaciées réunions
Au brouhaha assourdissant qui cache le vide
De leur solitude
Ma solitude
A la pureté de l’altitude
Mes compagnons
Jamais ne me quittent
Ils sont tous déjà morts
Avec eux je partage
Mes précipices
Qui surplombent des mers de nuages