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Résurgences 

vendredi 17 décembre 2010, par Emmanuel Samak

Décalage horaire

Ils ont beau régler leur montre
Quand ils prennent l’avion
De Lima à Tokyo
En passant par Bombay
Ils ne marchent pas au même pas.
Prisonniers de leur temps
Hérité de leurs parents
Ils se piquent aux fuseaux
Qui leur sont étrangers.
Humanisme, moyen âge
Coexistent en tapage.
Ils n’ont pas le même âge
Ceux qui pourtant sont nés
Le même jour, la même heure
Prisonniers de leur temps.
Mais qui remettra donc
Toutes ces montres à l’heure ?
Encore faut-il savoir
Quelle sera la bonne heure.
Peut être simplement
Celle qui leur permettra
D’accéder au bonheur
Qui fait battre les cœurs
Au dam des dictateurs
Des apprentis sorciers
Et des graines de voleurs.
Coup de gueule d’émotion
Dû à ma condition
Je ne suis qu’un homme à quartz
Qui goûte au ralenti
Tous les instants de vie
En cherchant à trouver
Un fil conducteur
Dans les couloirs du temps.
Quel en est le moteur ?
L’amour, assurément.

Nègre j’étais

Lorsqu’arraché je fus
A la terre de mes pères.
Enchaîné sur la mer
Je découvris l’enfer
Comme nul autre n’a souffert
Comme cent mille ont souffert.
On me vendit pour cent guinées
Ma liberté me fut volée
Ma dignité envolée
Pour le profit de quelques uns
Pour le profit de bons chrétiens
Des bâtisseurs de civilisations
Dont je ne connaissais pas le nom
Qui ne connaissaient pas mon nom.
Ces artisans de l’empire
Toujours partisans du pire
Qui s’illustrèrent dans la traite
Du bois d’ébène, du bois de chair
Du bois de sang, du bois des dents.
Nègre j’étais
Sous la morsure du fouet.
Dieu sait si j’avais peur
D’avoir à compter les heures
Qui m’éloignaient encore
De ma liberté d’antan.
A chaque fuite, je subis
Les foudres de mes poursuivants
Qui me faisaient payer cher
L’affront de n’être pas soumis.
Et puis...
Nègre je suis mort
Et mes os blanchis
Ont enrichi la terre
Où coulait ma sueur
Et où gouttait mon sang.
Ami, entends mon cœur
Quand tu foules en riant
La plage où je suis mort
La plaine où je suis né.
Je suis libre à présent.

Moi Monsieur…

Je gratte de la prose de gare
Pour sûr, c’est pas du grand art.
Je bave sur papier, tard le soir
Ma prose à un kopek
Juste l’histoire d’un mec
Qui a pris pour habitude
De pisser violemment
Dans un violon exsangue
Au son des tours de clefs
Dans des serrures d’H.P.
Mes mots transpirent
Sur un buvard bavard.
C’est ti’ du cochon ou du lard ?
Confitures bien étiquetées
Dégustées au matin
Une fois l’hiver venu
Droit dans ses bottes
Raide comme un poilu.
Des mots photos jaunies :
Les longs doigts décharnés
De l’instit au sifflet.
Le petit portugais au genou écorché
Par un croche-pied salaud.
Et les cours de français
Pour mieux nous préparer
A jaillir du bourbier.
Mais la fange nous rappelle
A son étreinte mortelle
Une fois les gars tombés
Au sortir de la tranchée
Ou bien dans leur cité
Dans le flanc, des éclats
De mots durs et coupants
José est un fainéant
Samuel est peureux
Et Samak prétentieux.

Moi Monsieur, je gratte de la prose de gare
Et les chemins de fer barbelés
Me parlent comme ils ont hurlé
Avec leurs roues stridentes
Martelant les tympans
De centaines d’enfants
Kilomètres d’existences
Affalées sous la schlague.
Avec à leurs pieds, leur valise griffée
Au visage, des ecchymoses gonflées
Dans leurs yeux, le lait et le miel
Dont leur mère les abreuvait
Au temps d’avant le temps du fiel.

Moi Monsieur, je gratte de la prose de gare
Et les stations défilent
Entre champs de houblon
La lande, les genêts
Et des coteaux charnus au soleil couchant.
Je m’arrête céans
Et repose mes yeux
De ces cris étouffés
De ces bouches tordues
Ma rétine brûlée
Par la foudre complice
De leur ultime supplice.
Reste à savoir si le ciel était vide
A leur supplique livide.
La question n’est pas là.
Mais quelle est la question ?
Le meilleur comme le pire.
Nous étions prévenus
Par le fil des siècles
Comme autant de couperets
Sur des nuques graciles.

Vint le temps des machettes.

A quand donc, les massues ?

Moi Monsieur, je gratte de la prose de gare
Et j’emmerde
Tous les chefs gueulards et leurs sbires muets :
Les putains automates
Des glorieux génocides.

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