30/11/06 – Nous partons pour Awash. Avant le départ du bus, deux étudiants enthousiastes nous bombardent de questions et nous sommes crevés, il est 5 heures du mat’. Ils veulent littéralement tout savoir de notre vie en France, et aussi connaître les raisons de notre voyage. « Why do you visit Ethiopia ? Why do you visit Yemen ? What do you eat for breakfast in your country ? How many words in amaric do you know ? In which conditions would you like to live in Ethiopia ? » Ils sont ravis d’apprendre que l’Ethiopie si chère à leur coeur nous intéresse autant et qu’on va la visiter en long, en large et en travers pendant plus d’un mois. « You will know my country better than me !... Do you believe in God ?... When people are educated, some of them don’t believe in God. But we have to think for the future, when we will be dead… » dit l’un d’eux en souriant.
Les contrôles de police sont fréquents dans les bus entre Harar et Awash. La situation est explosive avec la Somalie. Un passager m’explique par ailleurs que certaines marchandises (« like electronical goods ») n’ont pas le droit d’être transportées d’une province à une autre car les taxes sont différentes et, en effet, un passager se fait confisquer son lecteur CD, le policier le balance par terre.
Arrivée à Awash - On loge au « Buffet d’Aouache » (je l’écris à la française car cet hôtel a été bâti par les Français qui construisaient la ligne de chemin de fer Addis – Djibouti). Les jolies serveuses en tunique bleue nous invitent spontanément à une cérémonie du café. L’une d’elles jette de temps à autres des grains d’encens sur la braise et une fumée blanche nous enveloppe. Nous nous shootons à l’encens.
Je filme le long de la voie ferrée à la tombée de la nuit.
De retour à l’hôtel, nous négocions âprement avec un guide la visite du parc naturel d’Awash le lendemain. Nous nous entendons finalement sur le prix mais il veut être payé tout de suite. Longue embrouille. « It’s not big deal » nous répète-t-il. « Ben if it’s not big deal, why do you want all the money now ? » lui répond Johan.
On dîne au buffet d’Aouache. Une Allemande d’une cinquantaine d’années vient nous saluer. Elle parle un bon français. « Qu’est-ce que vous faites ici ? Qu’est-ce qu’on peut bien visiter à Awash ? Le parc naturel ?... Moi je travaille dans une association qui fait de la médiation pour résoudre les conflits. L’homme avec qui je dînais là, il m’a dit que l’Ethiopie a déclaré la guerre à la Somalie… oui, oui, aujourd’hui… alors on se demande bien ce qu’on fait ici, hein ?... ». Ça risque de changer quelque peu nos plans... on verra ça demain.
Visite du parc national d’Awash. Notre guide dément que l’Ethiopie a déclaré la guerre à la Somalie. Il critique le premier ministre éthiopien qui, nous dit-il, est à la solde des Etats-Unis. « Somalia is not our problem. They are weak, it’s a little country, so we can fight them but after they will have support from the talibans, yes, in Afghanistan. We do not have to declare the war. Somalian people have to solve their problems on their own. »
02/12/06 – J’arrive à Adama (que les Chrétiens appellent Nazret) dans la matinée. J’ai quitté Johan à Awash. Il avait trouvé un camion pour Djibouti. Il était en bonne santé quand on s’est quittés. J’espère qu’il arrivera à bon port…
Je continue le voyage dans la Vallée du Rift en compagnie de Proust et Chateaubriand.
Je bois un café serré dans un verre Duralex.
One birr ! One birr !
Un gamin me demande : « What do you… (il hésite)… waow ? » Ses copains se marrent. Un autre se lance : « What do you name ? » Nouvelle rigolade.
« Faranguy ! Faranguy ! » (une variante de Faranj, j’imagine)
Au moment de sortir de l’hôtel, le vieux gardien m’interpelle : « Go outside ? No, it is not good, it is dark, it is not good, not good for you. » « Ishee » (OK). Le vieux gardien a un fusil dans le dos. Pendant le dîner, je le regarde faire des tours de ronde.
Odeurs de ferme dès que l’on s’éloigne de l’artère principale.
Librairie dans la rue. Ils vendent le journal d’Anne Franck.
Au loin j’entends la voix aiguë d’un prédicateur. Plus proche, les cris de joie des supporters de foot. De temps en temps les youyous des femmes, des oiseaux qui s’envolent. L’humanité et le café sont nés ici. Enivré par l’encens, j’exécute la danse des planètes à l’endroit où l’Afrique se déchire en deux.
La serveuse de l’hôtel s’appelle Boukanet. C’est mignon, comme un bouquet. « Oh yes, it’s dangerous to go outside during the night, because you’re white, white color, so many birr ! » Je lui parle de la cérémonie religieuse à laquelle j’ai assisté en fin d’après-midi. « Yes it was a conference today in the church. Every 3 months there is the conference. People come from Addis, Ziway… all the region. »
La lune éclaire comme un néon les nuages gris-blanc déchiquetés.
Je regarde les Occidentales de la table d’à côté avaler leurs pizzas. Elles sont habillées comme des sacs. Le contraste avec les Ethiopiennes est saisissant.
04/12/06 – Violent orage ce matin. La foudre n’est pas tombée loin de mon bungalow. Cet après-midi, alors que je filmais sur les routes de campagne au sud de l’hôtel touristique Adama Ras : « It is not a safe place for you » me fait un jeune homme qui semble réellement inquiet de me trouver sur un chemin si éloigné du centre-ville. « Are you alone ? » « Yes » « You have to come back, there are bad guys here, it’s dangerous for you. » « OK, thank you… » Je planque ma caméra numérique et regagne l’artère principale en pressant le pas.
Le soir, je lis, j’écris un peu, je fais des pompes (Ah ! Haine de soi !) et je me bats contre les moustiques avant de me coucher.
En voyage, je retrouve naturellement le rythme du Moyen-Age. Je me couche à 9h. Minuit est bien au milieu de la nuit et je me réveille naturellement à trois heures du matin.
Alors que je pars du Bekele Mola Hotel de Nazret, Boukanet, la serveuse avec laquelle j’avais sympathisée me rattrape : « Oh, do you go ? me dit-elle d’une voix essoufflée. Where ?... Will you come back here, in Nazret ?... Ah… OK, dit-elle, sceptique. So good luck ! » Elle me serre délicatement la main. Son visage est illuminé. Good luck, Boukanet.
05/12/06 – Arrivée à Ziway à midi, dans le creux du Rift, au centre de l’Ethiopique, le futur océan qui dans des millénaires séparera l’Afrique en deux. Temps couvert, orageux.
Je bois une bière d’Harar. Je me fais quelques repas faranji pour me requinquer avant d’attaquer plus au Sud.
Beaucoup de bâtiments en construction. Ça me rappelle mon premier voyage en Turquie avec Björn.
Dans mon petit chalet, il y a deux chaises et une table en bois. J’écris une longue lettre à Nin’.
Trimballe sur les sentiers entre la ville et le lac. Ils me proposent de monter dans leur charrette. Ils s’étonnent que je voyage seul.
Nin’ arrive dans 15 jours !
Ils font chauffer leur véhicule pendant des plombes avant de prendre la route.
« We do not have the habit of work. »
Des gamins m’entourent dès que je mets le nez dehors. Ils enchaînent les questions existentielles : « Why do you visit Ethiopia ? Why do you travel alone ? Why are you not with other white men ? » « Why do you come here ? it is poverty… » « Which langage do you think is a better language, Amaric for common language or English for international language ? »
Mes sorties en ville se transforment en interrogatoires amicaux, mais en règle.
Le vieux guide qui m’emmène voir les hippopotames sur le lac Ziway : « We don’t eat the hippos, because they live in a lake and a lake is closed… yes it’s forbidden, it is written in the bible. »
Peut-être la dernière fois que je voyage aussi loin et aussi longtemps.
08/12/06 – Arrivée à Arba Minch en fin d’après-midi, après six heures de bus. Je loge à l’Halleluia Hotel.
À Shesha (un des deux villages qui composent Arba Minch, l’autre s’appelle Sikela), je déguste de merveilleuses côtelettes de poissons (fish cotelet, spécialité du coin) au restaurant Soma. Je sors du resto vers 21h. Plus de taxi ou de minibus pour rentrer à Sikela où se trouve l’Halleluia Hotel. Un orage éclate. Retour de Shesha à Sikela sous une trombe d’eau. Mes pieds ensandalés pataugent dans la boue. Je peste contre le Ciel, ça soulage. Après deux kilomètres sous l’orage, un 4x4 providentiel me prend en stop. J’avale les kilomètres avec soulagement.
Dans le bus vers Arba Minch (Arba Minch signifie « 40 sources » en amaric), rencontre providentielle avec Berhann Amare, médecin de son état. Grâce à lui, j’ai pu choper un Suzu (camion Suzuki où des dizaines de personnes s’entassent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un centimètre cube de libre) à Arba Minch. Les conducteurs de bus refusaient d’aller à Jinka car la route était impraticable à cause de la pluie. Cinq heures de suzu pour rejoindre Konso et cinq autres heures en 4x4 en compagnie de deux Espagnols et d’une Canadienne pour rejoindre Jinka.
Mais laissons parler Berhann Amare. « I have lived in Greece during 13 years. Then I came back to my country to help my people. We were 7 ethiopian doctors studying in Greece and I’m the only one who was coming back home. The brain drain is the major problem in our country. Then, the second problem in our country is corruption. And the third one is to refund the debt. The debt is in the third position. People are responsible for their country like parents with their children. If your child has a bad behavior, you are responsible for that. You know, Ethiopia could be a very rich country but here politicians are not concerned with developping the country. Have you seen the public transports… ? Yes, nothing change. In France, you would have made a revolution for that, but here nothing happens… […] I make my job in Jinka, I live in the nature. I try to convince people to come to the hospital… I’m not involved in politics, I want to be alive and politicians have a gun in this country… […] Maybe I will come back in Addis next year. I come from this region. I worked since four years in Jinka, I learned a lot, the language of hammer people, mursi people… their way of thinking. Yes, you can learn a lot of things everywhere. »
09/12/06 – Arrivée à Jinka, enfin !
Charmante jeune femme au bonnet rouge assise à côté de moi dans le bus qui nous emmène au marché de Koko. « Do you believe in Jésus-Christ ? » me demande-t-elle après avoir échangé quelques mots. Plus tard, alors que je lui parle de l’ethiojazz : « … No, I don’t like modern ethiopian music, I prefere spiritual songs. Do you have spiritual songs in France ?... you feel hapiness when you hear spiritual songs. God helps you to be happy. You make something small and, with the help of God, it becomes Great. » Elle me dit qu’elle est protestante. Ils sont à fond les protestants par ici.
Au marché de Koko. Je filme très peu, de loin. Les parures des Hammer sont très belles. Bracelets en cuivre, colliers de coquillages, plumes ornant les lobes d’oreille. Certains portent même des bouts de bracelets métalliques de montres digitales, c’est le dernier cri.
Je suis le seul Blanc du marché mais ils ne me regardent pas comme une bête curieuse. Je déambule tranquillement entre les étals ; j’échange des saluts amicaux avec les marchands de quatre saisons. Ils m’ôtent la gêne que je pouvais craindre en faisant intrusion comme touriste et spectateur dans cet univers d’apparence totalement hétérogène.
Différentes sections du marché selon les ethnies. Aucune tension perceptible.
Un vendeur de vêtement m’interpelle : « Do you know Oussama Bin Laden ?... It’s a good man. » Je m’en veux de n’avoir rien trouvé à lui répondre sur le coup.