Dans la rondeur du jour qui se lève, en ce samedi du début du mois de septembre 2005, nous décidons, ma femme et moi, rentrée oblige, de nous rendre dans ce nouveau centre commercial dont les journaux ont parlé. Situé en région parisienne près de Melun il se nomme le "Carré-Sénart". Son ouverture récente le rend d’autant plus intéressant que ses concepteurs l’ont développé selon un concept global. Il ne s’agit plus ici de ces centres commerciaux de la fin du XXème siècle, où le client n’était qu’un porte-monnaie. Ce vaste centre regroupant des boutiques par dizaines, par centaines même peut-être, nous attire car nous sommes curieux de nouveauté. Cette attention constante que nous avons vis-à-vis de ce que la société développe de plus récent reflète selon moi un sens aigu de la modernité. Avouerais-je également que c’est un des moyens que nous ayons trouvé pour rester globalement jeune. Nous allons y déambuler, sans raison précise, pour le plaisir de regarder, de se montrer aussi. Nous nous sommes habillé pour l’occasion. Je choisis une tenue stylisée : mes tennis sont "Nique", mon jean "H & Haine", ma chemise en cuir "Chauve et Gnon", ma veste en flanelle"Zoro", mes chaussettes se voient peu, c’est dommage, elles sont "Kevlin Clain". Mon slip, qui n’est pas visible, est sans marque, je l’ai acheté en pack de trois au Franprix près de chez moi.
Après un court trajet de quelques dizaines de kilomètres d’autoroute, nous empruntons une bretelle nous emmenant directement sur un vaste parking établi sur deux niveaux. Nous choisissons l’étage inférieur, plus sombre que le supérieur, il est néanmoins bordé d’arbres et de plantes. Tout cet endroit s’appelle "Carré" malgré sa forme décidément allongée et plate comportant deux seuls étages à la dimension humaine. Une insouciance y règne paisiblement.
"Le bonheur clé en main ! Si je veux.’
Je rejoins ma femme postée devant un des abris à caddy et l’empoigne pour que nous quittions le parking et gagnions le lieu essentiel de notre visite. Au passage je note que l’abri à caddy a été joliment dessiné. La partie supérieure comme posée sur un simple poteau se développe en épousant une courbe et s’allonge en creux, offrant une douce ligne au regard. L’abri à caddy est une vraie réussite architecturale !
Au carré-de-Sénart, le bonheur se déplace à quatre roues. On y vient en voiture, on y circule en caddy. Et pour si le bonheur allait trop vite, aux deux mains pour pousser s’ajoute deux pieds pour freiner. Le caddy est ainsi ce prolongement roulant de notre personne où s’amoncellent ces petits bonheurs quotidiens, à commencer par celui de remplir un espace vide grillagé. 1 ronde pièce à la ronde valeur : 1 euro pour qu’il roule grâce à cette essence pas chère que sont nos jambes.
J’ai souvent remarqué que le bonheur tient à peu de chose : au quotidien que l’on enchante, à ces petites joies que l’on se procure au travers de gestes simples qu’auront facilité les techniques les plus modernes : facilité de stationnement, aisance de déplacements en lieux couverts, un éclairage intérieur semblable à l’extérieur ... la nature, non pas supplantée mais sublimée par la technique !
L’atmosphère spacieuse des allées couvertes mais lumineuses, où l’utilisation du bois, élément naturel, le dispute au vert de sources lumineuses judicieusement placées en hauteur. Ces dernières illuminent par un halo des affiches d’herbes grasses et de plantes vertes, rappelant toute cette vraie proximité de la nature. Car bien sûr ce lieu ne fut pas toujours hypermarché ! En cet espace d’anciens champs comprenant quelques épis de maïs pauvrement transgénique couvraient la surface. Ces champs ont été intelligemment convertis. Ils ont cédé leur place mais non leur âme car la dimension naturelle du site perdure au travers d’aménagements : arbres et éoliennes, rangées de parkings au nom d’animaux et gardes à cheval. Des chants d’oiseaux diffusés par haut-parleurs sur le lieu de stationnement rappellent qu’ici la nature affleure, qu’elle n’est jamais loin. Et attenant au parking se trouve le poney-club. Les animaux s’y agitent dès qu’ils entendent les enfants venant côtoyer ici le monde animal. Le lieu conserve ainsi sa dimension naturelle, campagnarde, agricole même. La nature perdure, transformée certes, mais non disparue et peu altérée.
Aussi le bonheur n’est pas chose agressive. Il est doux, souvent fait de lenteur, parfois sirupeux, mais jamais violent. Le bonheur se donne dans le mouvement, non dans la fuite. Il s’épanouit au quotidien, lui-même synonyme de vitesse, et dans les besoins simples qu’il demande et qui nécessite des réponses simples. Au carrefour des choix quotidiens qui mènent au bonheur, où en éloignent, se place, je crois, le temps du shopping...
Le bâtiment de toute évidence ne ressemble pas à un centre (Par "centre" il faut comprendre "centre commercial". Mais cette appellation est devenue si galvaudée qu’il lui sera préféré celle de "Centre". Car en effet un tel lieu est avant tout centre et central : il accueille tout, tous y passent et tout s’y passe. Centre-ville il est également centre de vie ! ). Sa façade blanche basse et étirée toute en longueur qui capte la lumière et les regards ne ressemble pas aux lieux du même nom. Et parce qu’il est centre, au Carré-de-Melun l’univers est rond. Tout en effet se tient : la nature se lie à la culture ; les stationnements aux services proposés, car rien n’est imposé. Les promotions sont suggérées, les soldes éventuelles et les réductions presque acquises à qui en fait la demande !
Poussant le caddy, qui roule assez mal car la direction d’une des roues est faussée, nous pénétrons dans un vaste hall tout de blanc peint. Les allées sont larges, le sol est en dalle aux allures de marbre et par endroit se distingue des lattes de bois. Ce goût du naturel, une fois de plus, n’est pas pour me déplaire. Les quelques portions de murs visibles sont blanches, le reste est serti de vitrines rutilantes. Le plafond, d’une égale et éclatante blancheur, ouvre sur des baies lumineuses. Nous nous sentons presque à l’extérieur. Des escalators, planes ou à marches se profilent discrètement. Ils ne sont pas massifs et permettent mécaniquement de passer d’un niveau à l’autre. On monte et on descend tout naturellement. Le Centre est également bien pourvu en loisir : 16 écrans géants permettent d’intelligemment se divertir.
Si nous avions eu des enfants nous aurions tant aimé les emmener voir un Walt Disney. Pendant ce temps ma femme et moi serions allé déguster quelques plats chez Flunch ! Ma femme qui aime les chocolats a repéré un Jeff de Bruges. Pour les desserts un croissant à la "Croissanterie" ou une bière "Aux 3 brasseurs" auraient bien fait l’affaire. Mais pour cette fois nous avons déjeuné au Mac Donald. Deux doubles hyper-hamburgers bacon-salami-cheese avec de grosses frites belges.
Nous déambulons.
Sans souci, sans obligation, naturellement. Sereinement peut-être même. Les regards des autres se posent sur nous, nous posons nos regards sur les autres. Tout le monde se regarde, mais sans se voir, ou plutôt sans s’appesantir. La légèreté, l’insouciance se lit dans les regards. Nous nous sentons vu donc exister et l’on rend poliment la pareille à ces compagnons de route de ce jour présent et anonyme. Je me plais à croire que nous sommes tous en ce lieu pour la même raison : pour faire corps, pour assouvir ce désir de ne pas se sentir seul. Cette foule qui se densifie dans les allées au fur et à mesure de l’avancée du samedi après-midi est le plus véritable témoignage de cette humaine lutte contre la solitude. Ces hommes et ces femmes qui poussent des caddys nous rappellent tous à l’existence. A leurs côtés, comme eux, je suis dans la vraie vie !
Les corps se parent, comme sur les croisettes estivales, tentant par quelques artifices de supprimer les abstractions grossières du quotidien. Les corps de tous âges se présentent à la vue emballés, commercialisés par les apparences qui les recouvrent. On s’y montre, et les jeunes filles, pullulantes espèces en ces lieux fangeux, viennent pour acquérir ce qui leurs permettront de plus et mieux se "donner" à voir. Mieux vaut toutefois ne pas tenter de les approcher : la parole semble leur faire défaut et elles ne sont prêtes à donner ni leur temps, ni leur corps. Au plus de l’indifférence. Pourtant en cet endroit tout se vend. D’autant plus que l’hyper manie et conjugue les désirs de chaque tranche d’âge avec une aisance incroyable, alliant pour allécher l’envie de possession qui nous tient en éveil, les images, les sons, les aliments et toutes ces autres choses qui se vendent.
L’hyper se trouve au bout de la chaîne d’un cycle. Or ce long cycle de la consommation, ce n’est rien d’autre que le cycle de la vie : l’idée qui germe, le projet qui se lance, l’objet qui prend forme, l’homme qui produit, l’usine qui le permet, le produit-fini, créé de toute pièce à l’image de l’homme, comme lui imparfait et perfectible, maintenant en vente, maintenant accessible : l’homme l’a fait pour d’autres hommes !
Miracle de la croissance, bienfait de la consommation.
L’objet dès lors est exposé, convoité, acheté, possédé. Puis jeté. Il est alors broyé, brûlé, détruit. L’objet a disparu, mais sa disparition est transformation : elle a certes occasionné production de substances qui s’évaporent, mais participe aussi à l’élaboration d’un autre objet. Les matières se combinent, les idées se complètent, l’homme est roi ! Ainsi va le monde et ses créations sans nombre. Que vive l’homme créateur d’objets.
Ainsi l’homme est fait : ce qu’il voit, il le désire et par tous les moyens, du rêve à l’achat, veut se l’approprier. Alors, il le possède et un jour ... s’en lasse, s’en passe.
Notre pas lent se cadence sur le rythme interne, attentif et distraitement saccadé du cerveau, qui en totale attention, décrypte tous les objets qu’il convoite. Les formes, les couleurs, les matières rivalisent avec les prix et l’ensemble se laisse accéder par le regard, désiré du cœur ou du bas-ventre ça dépend, et posséder par la main. Portefeuille et carte, chèque ou code à l’appui, les euros rendent heureux ! selon le bienfaisant théorème : La Possession d’Euros Rend Puissant, la Possession d’Objets Rend Heureux.
Tout en poussant le caddy je réfléchissais à l’étymologie de "hypermarché". Il y a là assurément quelque chose de très intéressant. Dans ce mot réside l’histoire humaine : ses errements, ses aventures et avancées, toutes débutées ... par un pas. La marche fait l’homme et le marché est ce lieu privilégié de la rencontre, de l’échange qu’il se nomme troc, vente, discount. Le marché est le lieu où l’un découvre l’autre. De la marche au marché, du marché à l’hyper ...
De "super" à "hyper" je verrais bien ce qui distingue la modernité de la post-modernité, à savoir une avancée technologique ayant affecté toute la société. Le super est grand, l’hyper est immense. Mais en plus de la notion, importante, de taille, se trouve la stratégie du concept. La notion de concept est déjà dans le supermarché bien mise en avant. Mais c’est avec l’hyper que le concept de notion est pleinement développé. Je me dis cependant qu’il faudrait trouver un mot nouveau pour décrire ce type de lieu qu’est le Triangle-de-Sénart. Le mot devrait ainsi allier triangulairement le sens du religieux avec le monde de l’argent, deux sphères qui ont toujours bien cohabité et auxquelles il faut dès lors en ajouter une troisième. Le résultat serait quelque chose comme "L’église de la consommation". Ou plutôt une église où l’on communie par la consommation. Dans dix minutes quand mon caddy nous aura amené à Carrefour je leur proposerais cette idée dans leur livre de réclamation au chapitre QCC "Questions et Conseils des Consommateurs".
Les rides du quotidien que la vie dépose, sont ici lissées par une chirurgie de douceur des formes et couleurs, des slogans et sponsors. L’emblème, le programme du centre n’est-il pas : "Cultivons notre carré de bonheur". Je me rappelle le fameux mot de Voltaire "Cultivons notre jardin" et je réalise que de la même manière nous devons, pour nous rendre libre, cultiver ce carré que propose le centre de Sénart. Car dès que je consomme je me sens mieux. C’est à ce prix seulement qu’il deviendra bonheur.
Le caddy, par sa position spatiale se trouve à l’avant-garde de mes choix : par ses tiges métalliques, tel un drone sentant les bonnes affaires, il capte les ondes des bons d’achat qui m’apporteront la joie de la possession, de l’accalmie du désir d’achat. Et enfin, plus tard, le bonheur du consommateur ! Repus, les tensions apaisées, de retour chez moi je pourrais ouvrir les emballages, répartir sur les placards, étagères, bureaux, frigidaires, ces objets améliorant mon quotidien et donc ma vie. Elle qui, au dire de tous, est "trop courte pour consommer triste".
Moi et ma femme décidons que le vrai héros de ma journée sera notre caddy ! Toujours vaillant ; roulant et pas râleur, il participe pleinement à nos choix en fonction de son appétit. Quant il est vide nous le remplissons, d’abord avec de gros articles pour avoir le plaisir de le sentir se remplir vite. Quand il atteint sa pleine capacité nous complétons par de petits articles afin qu’ils se logent dans les interstices laissées vides. Et quand il est plein nous rejoignons le parking pour aller remplir le coffre. Notre cheminement peut alors recommencer.
A peine sommes-nous entré chez Carrefour qu’un haut-parleur divulgue l’une de ces informations à ne pas rater : une "vente-flash" a lieu au rayon bijouterie. J’exhorte ma femme à s’y rendre immédiatement afin de profiter de prix "en or". Après quelques accrochages avec d’autres caddys je la rejoins avant que la précieuse et courte vente ne prenne fin. Deux bagues (véritablement dorées à l’or fin) pour le prix d’une ! Nous en achetons quatre. Une pour chacun de nous et deux que l’on pourra offrir à un couple d’amis pour leur anniversaire de mariage. La vente flash s’est déroulée dans une grossière agitation. Maintenant qu’elle s’est achevée chacun s’éloigne vivement, tous jetant des regards envieux à l’encontre des privilégiés comme nous ayant réussi à obtenir l’un de ces médaillons jaunes.
Triturant mes nouvelles possessions je fais tomber l’une des bagues. Alors que je suis penché à sa recherche, un caddy, manié par un ado, me heurte violemment la tête. Le choc me projette à terre et pendant quelques secondes je perds connaissance. Le gosse est hilare à la vue de mon visage portant en négatif l’empreinte du grillage du caddy. Je me redresse groggy. Je ne souffle mot, quelque chose qui me préoccupent et que je ne peux nommer m’empêchant de parler. Ma femme, contenant son énervement s’agite contre le petit monstre.
L’hululement est devenu un appel que j’entends, confusément puis distinctement. Rien n’est dit : les haut-parleurs ne l’ont pas mentionné mais derrière leur langage codé j’ai compris ce que la voix signifiait : une alerte à la mort.
Sous quelques pressions psycho-pathologiques qu’induit la vie quotidienne des bribes de mes nuits m’ont été subitement remémorées. Le vide, la banalité du quotidien exacerbée par le week-end ont resurgi. Je ne suis plus que seul. Je croyais que les fins de semaine existaient pour oublier cette banalité. Ils ne font que la nourrir. Consommer pour oublier le vide de l’existence. Ovale-Sénart ou la quadrature du cercle.
Rêves d’Idoles et d’Hosties.
Demain nous n’irons pas à l’église. Nous n’en ressentons plus le besoin après cette sainte journée passée dans ce grand Centre vaste comme un temple. Aujourd’hui fut notre véritable sortie religieuse. Nous ressentons en revanche le besoin de communier. Et c’est plongé dans ces pensées que mes oreilles me rapportent le son d’une voix. Elle est douce, chaude, rassurante, elle est cette divine source de communication avec les fidèles, s’échappant de haut-parleurs fixés dans le plafond-ciel où trônent des tuyaux de toutes tailles, et qui me presse d’agir en consommant. Alors que je traverse le secteur "bien-être de la maison", des chérubins, à moins qu’ils ne s’agissent d’enfants de cœur vêtus de blanches blouses pulvérisent de laiteuses senteurs au moyen de vaporisateurs. Une odeur de sous-bois quelques peu pourrissant se répand dans les allées de l’hypermarché. Je m’enivre de cette atmosphère de fin de jour du samedi quand la foule fidèle, où chacun est porteur de sa carte de fidélité, se dirige vers les autels, péage payant, pour communier. Je me rends compte alors que les églises faisaient peu pour le bien-être matériel de ses fidèles, ne voulant souvent que pouvoir et argent. Les Centres-du-Commerce à l’inverse œuvrent concrètement pour améliorer le quotidien de leurs fidèles et tous nous nous en réjouissons.
Je rêve d’hostie et de communiants. L’hostie est la carte de crédit et chacun par un code gardé secret, communie directement avec la divinité-banque. D’une manière laconique je me pose la rituelle question :
"Ce produit peut-il entrer en ma possession ?"
Oui - "Code bon".
Non - "Veuillez recomposer votre code".
La réponse, toute puissante, est immédiate, définitive, sans appel. On sait si son avenir, proche ou lointain, sera fait de la consommation de l’objet désiré.
La messe se poursuit au cœur du nouvel espace religieux. Elle est orchestrée au moyen de ces mots minimes qu’engendre l’espèce chère des publicitaires.
Nous formulons notre prière pour nous attirer la chance et la richesse :
AGATHAALAINAFFLELOUALAINMANOUKIANAN’GEARMANDTHIÉRYARTICLESD
EPARISATHLETESWORLDBAM’SBATABENETTONBERYLC&ACAISSECENTRALEH
YPERMARCHÉCAISSED’EPARGNECAMAÏEUCARMINCAROLLCARRÉBLANCCARRE
FOURCARREFOURFINANCESASSURANCESETVOYAGESCELIOCHEVIGNONCLAIR
E’SACCESSORIESCÔTÉMAISONCÔTÉVILLAGECOURIRCRÉDITLYONNAISCUFF
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MFRANCKPROVOSTGAUMONTGOSPORTGOLDYLESMONTRESGRAINED’INTÉRIEU
RGRANDOPTICALH&MHEYTENSHISTOIRED’ORJACQUELINERIUJEFFDEBRUGE
SJENNYFERJULIEKKODAKL’HOMMEMODERNEL’OCCITANELACITYLACIVETTE
MÉDICISLACORDONNERIELAGRANDERÉCRÉLAPHARMACIEDUCARRÉLACOSTEL
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RIONNAUDMERETESPACEMEXXMICROMANIAMONCEAUFLEURSMORGANMULTIPL
ESNAFNAFNATUREETDECOUVERTESOKAÏDIOPTIC2000OPTIQUECARREFOURO
RCADEMINELLIORCANTALINGERIEORCHESTRAPETITBATEAUPHILDARPIMKI
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OUSETIMBERLANDTRÉSORUNJOURAILLEURSVIRGINMEGASTOREXANACAYVES
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Et tout autour de nous, repris par des milliers de voix groupées autour de caddys - cellule familiale sur roues - s’élèvent ce long murmure. L’assemblée, présente aux quatre coins de l’hyper, d’allure dissoute dans les allées, hululent unanime la mélopée du désir et du bonheur.
LAGRANDERÉCRÉ
LAPHARMACIEDUCARRÉLACOSTELAUENTCERRERLEVI’SLULUCASTAGNETTEM
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’EPARGNE
Tout ça ce sont des boniments pour asticots.
Tous ils attendent sagement qu’on les enfile au bout d’un hameçon. Alors ils se tortillent de cette douleur flasque et peu pitoyable qu’inspire les traîtres.
"Narcisse t’attends au carrefour". En m’éveillant ce matin, cette phrase fut la seule chose dont je pouvais me rappeler concernant mon activité nocturne. A la vue de l’épuisement musculaire qui tenaillait mon corps, tout laissait soupçonner qu’elle fut longue et constante. La phrase m’apparut toutefois comme un mot d’ordre, bien que je n’avais su dire ce qu’elle concernait précisément. Ce code m’avertissait qu’il me fallait me rendre au rayon "beauté pour soi" du "Carrefour" ’carré’ et attendre un contact qui sans doute me fournirait d’autres informations. Aucun contact ne vint. L’initiative avait naquit de moi : je n’avais à attendre l’aide de personne. La non trahison de soi répond à celle des autres. Seul, je devais choisir ma cible. Car à chacun la sienne. Les hypers ciblent le client. Offres Spéciales et Ouvertures Exceptionnelles. Alpha, bêta, gama. Vente flash, réduc’, promo, tout est bon pour piéger le cochon. Nous ciblons la mercantile absurdité.
Nous sommes devenus des artirroristes ; aussi notre "art" sera-t-il d’engendrer la terreur. Pour cela nous sommes devenus des pros de la projection : en particulier le lancer de tartes crémeuses. Mais voilà qu’arrive la nécessité de sortir la société de sa torpeur marchande, de son bonheur liquéfiant. D’abord la tarte, après la bombe. Détournement, Désinformation, Rumeur urbaine, Virus-net, Mensonge viral. Tout sera utilisé.
Le parking du "pseudo-rectangle-Sénart" vaste comme celui d’un aéroport est déjà à son comble. Chaque espace est occupé par des véhicules. Et en descendent mécaniquement des foules en famille, qui toutes identiquement, à la même allure et dans un même mouvement, se dirigent vers les larges portes vitrées du centre pour participer à la grande messe. Célébrée par haut-parleurs les voix graves ou éthérées informent à chaque minute des grands bienfaits matériels dispensés par les technologies modernes de production. Tout coûte rien ou si peu !
À l’entrée du centre un panneau affiche "Cultivons notre carré de bonheur". Ce n’est pas un simple slogan publicitaire. Le sens réel de l’affiche s’impose maintenant à l’esprit. L’analogie entre le "carré de bonheur" et la culture de mon jardin personnel nécessitait que je fasse l’acquisition de produits potagers. Du stand "beauté pour soi" du carrefour je rejoins le rayon jardinage. Tous les stricts ingrédients se trouvent en effet sur place : désherbant, chlorate de potassium, puis sucre ajouté au fameux cocktail pour que les flammes collent. Quant aux bouteilles en verre il suffit de vider ces nouvelles poubelles à couvercle blanc installés dans les quartiers pour la collecte du verre.
Je savais maintenant pourquoi je m’étais rendu dans ce lieu factice et aveugle. Le carré de Sénart, parce que nouvellement ouvert offre une cible facile et de choix, comme le sont ces mastodontes de la consommation, tous trop sûr d’eux-mêmes. Il suffit de quelques repérages et d’une préparation technique minimum facilement acquise sur internet sur quelques sites habiles prêchant la terreur pour engendrer la paralysie d’un tel centre.
Je parcourais à nouveau les douceâtres allées du centre qui bientôt allaient s’éventrer. Déjà dans mon esprit, sur le sol, se dessinaient de larges cercles, comme autant de diamètre d’une arithmétique sanglante et politique. Je calculais les surfaces couvertes par le souffle et les projectiles s’échappant de bonbonnes de gaz remplis de boulons. Chaque point faible, chaque angle mort et espace amplificateur de feu se distinguaient au milieu de la foule avenante. Mon pas, précis et meurtrier, jugeait à sa mesure exacte les amplitudes de plafond, les encaissements propices à la résonance des souffles, et j’imaginais les paisibles allées du centre devenues la table d’un jeu de billard où rouleraient leurs têtes peu humaines !
L’histoire du monde fut-elle autre chose que celle de ses violences ?
La soif de déchirer le voile superficiel du réel me faisait tressaillir d’une joie profonde et durable.