La Revue des Ressources
Accueil > Restitutio > Lewis Carroll > Une introduction à Lewis Carroll

Une introduction à Lewis Carroll 

mercredi 25 septembre 2002, par Rédaction

Lewis Carroll : l’homme

Charles Lutwige Dodgson naît le 27 janvier 1832 à Daresbury dans une famille qui ne comptera pas moins de onze enfants, tous gauchers et dont sept (y compris lui), bégaieront. Très rapidement le petit Charles fait preuve d’inventivité en créant pour sa nombreuse famille toutes sortes de jeux. Il rédige très tôt des poèmes et des revues satiriques littéraires.

On sait que Charles aimait inventer, pour ses frères et soeurs, des jeux divers, et qu’il monta notamment des spectacles de marionnettes. A douze ans, on le mit en pension à Richmond et, un an et demi plus tard, il entrait à la grande public school de Rugby. Son séjour y fut, de son aveu, fort pénible, par suite du régime des punitions et surtout du poids de la vie collective, rendu plus lourd encore pour lui par son goût médiocre pour le sport. Il y fit de bonnes études et, après quatre ans passés à Rugby, fut admis à Oxford (Christ Church College), où il s’installa en janvier 1851 ; il devait y résider jusqu’à sa mort.

Sa mère mourut cette même année. Charles en fut très affecté, ce qui contribua peut-être à rendre plus difficile ses relations avec son père. Il travailla d’arrache-pied, sans se faire beaucoup d’amis, et obtint brillamment son diplôme de mathématiques en décembre 1854. Le collège lui accorda de ce fait, le titre de student, qui devait faire de lui ultérieurement un "membre du collège" et, d’emblée, l’équivalent d’un assistant de faculté d’aujourd’hui. En contrepartie, il s’engageait, au moins provisoirement, à devenir prêtre et à rester célibataire.

Dès l’âge de 13 ans, le jeune Dodgson s’adonne à la publication de petites revues littéraires élaborées avec ses frères et soeurs, qu’il rédige et parfois illustre lui-même, à l’usage des hôtes du presbytère de Croft (Yorkshire) où exerce son père : La Revue du Presbytère, La Comète, Le Bouton de Rose, l’Etoile, le Feu Follet, Le Parapluie du Presbytère, etc., avec des poèmes et chansons de sa composition, un "courrier des lecteurs" et de courtes parodies de romans contemporains.

A partir de 1855, il écrit des poèmes pour The Train, désormais sous le nom de Lewis Carroll. Il publie un recueil de poésies sous le titre Fantasmagorie et autres poèmes (Phantasmagoria and Other Poems) en 1869, et un autre long poème, La Chasse au Snark (The Hunting of the Snark) en 1876. Sous son vrai nom, Dodgson est l’auteur de plusieurs ouvrages de mathématiques et d’un traité de logique dont il a publié seulement la première partie en 1896, Symbolic Logic, Part I, Elementary (MacMillan).

En même temps, il se passionnait pour la photographie, encore balbutiante. C’est ainsi qu’il tira de nombreux portraits des enfants du doyen de son collège, Liddell, et s’attacha à la petite Alice. En 1862, l’année où celle-ci eut dix ans, Carroll au cours d’une promenade en barque, raconta pour la première fois ce qui devait devenir Alice au pays des merveilles. Quelque temps après, le texte, considérablement augmenté, fut proposé à l’éditeur MacMillan, qui l’accepta immédiatement. Illustré par John Tenniel, caricaturiste alors célèbre, le livre parut en juillet 1865. Ce fut tout de suite un grand succès et, dès 1867, Carroll envisagea une "suite" illustrée également par Tenniel : ce fut De l’autre côté du miroir (1871). En 1876 enfin, le succès de La Chasse au Snark fut presque aussi grand.

Parallèlement, Carroll poursuivait son travail de professeur et de mathématicien, mais son enseignement ne plaisait guère. Après avoir été ordonné diacre en 1861, il renonça à devenir prêtre, invoquant sa timidité et son bégaiement. Il parvint cependant à rester à Christ Church, où sa vie se déroulait calmement, malgré des conflits violents avec le doyen Liddell, inquiet d’abord de son attachement pour Alice, puis exaspéré par les pamphlets virulents - leur anonymat ne trompant personne - par lesquels Carroll le mettait en accusation avec plusieurs des autorités d’Oxford : Notes by an Oxford Chiel (1874). En 1880, il renonce à la photographie, et en 1881, à l’enseignement. Dès lors, c’est la logique qui va devenir l’objet de tous ses soucis. Certes, il publie encore une oeuvre d’imagination : Sylvie et Bruno (en deux parties, 1889 et 1893), mais l’essentiel de sa production, quoique publiée sous le nom de Lewis Carroll, marie plus ou moins heureusement logique, mathématiques et humour.

Bien que connu de tous ses collègues comme Dodgson-and-Carroll, il refusa constamment l’identification et, quelques mois à peine avant sa mort, décida de renvoyer tout courrier adressé à Lewis Carroll. Mais c’est sous ce nom qu’il se présentait aux petites filles, très nombreuses, avec lesquelles il entrait en conversation, dans le train ou sur la plage ; et c’est un exemplaire d’Alice qu’il leur laissait en cadeau - à moins que la sympathie ne grandît - prélude à des relations plus profondes, dont une volumineuse correspondance nous en a laissé la trace.

Ce fut là l’essentiel de ses amitiés, et, lorsqu’il mourut dans sa famille, le 14 janvier 1898, à l’âge de soixante-six ans, ses petites amies de toutes les régions furent, à coup sûr, les plus affectées.

Lewis Carroll entre texte et image, une réflexion en miroir

"Bien qu’écrivain, la passion de Lewis Carroll pour les images est multiforme. Dès son adolescence, il réalise, pour amuser ses frères et soeurs, des journaux illustrés de sa main. De plus, son premier livre, Alice au pays des merveilles, connut avant sa publication une forme manuscrite, illustrée et calligraphiée par l’auteur. Destinée à Alice Liddell, cette première mouture ne fut publiée que plus tard en facsimilé. Elle montre cependant à quel point l’auteur associe profondément textes et images. Ces deux éléments pourtant de nature hétérogène sont invités à cohabiter sur la page, avec harmonie. Un subtil dialogue s’établit même entre le dessin, aux traits à la fois effilochés et sûrs, et les lignes régulières, tracées à la plume des mots. Les illustrations et la "mise en page" que Carroll adopte sont, ici, sans doute quelque peu maladroites, mais comment pouvait-il l’ignorer ? Les dessins semblent avoir été réalisés postérieurement à la soigneuse calligraphie du texte. Cependant, une place leur avait été ménagée dans l’architecture des pages. Cette composition consciemment élaborée ne doit-elle pas écarter, du moins en partie, les allégations de naïveté et de littéralité qui leur sont souvent attribuées ? Lewis Carroll est un familier de l’image. Ainsi, il pratiqua toute sa vie le dessin et s’exerça au croquis d’après nature. De plus, sa pratique poussée de la photographie forme son oeil à la balance des contrastes, à la composition et enfin à la nature même de l’image. Ne prendra-t-il pas des positions radicales à l’opposé du courant dominant, le pictorialisme ? Pourtant, malgré cet engouement, il ne se résolut jamais à publier ses propres dessins et fit pour chacun de ses ouvrages, appel à des illustrateurs professionnels. (...) La relation de Lewis Carroll avec le monde de l’image s’étoffe d’une épaisseur supplémentaire lorsque l’on cesse de l’envisager sous la stricte perspective d’une pure naïveté ou spontanéité. L’attitude de Carroll face au réel (et sa pratique de la photographie le démontre suffisamment) constitue une perpétuelle interrogation sur la représentation du monde qui nous entoure. Tout semble alors lié : le texte qui s’interroge sur le langage et la langue ; les dessins qui s’aplatissent pour pouvoir être glissés plus facilement dans un livre ; les photographies "sans effets" avec leurs personnages inscrits à la surface, comme naturellement habitant leur cadre. On comprend mieux alors la réflexion de Jean Gattégno : "Ce serait une erreur de croire que ces exemples et leurs formulations burlesques révèlent simplement le côté fantaisiste de Lewis Carroll et ne sont là que pour l’amusement. Bien plus profondément ils sont chez lui l’expression d’une conviction selon laquelle, dans tous les rapports humains, et d’abord dans le langage, la forme importe au moins autant que le contenu." [Jean Gattégno, La logique sans peine de Lewis Carroll (traduction et présentation de). Paris, Hermann (1966, 1992), p. 17.].

[Jennifer Ward "Lewis Carroll entre texte et images, une réflexion en miroir" article paru dans le journal n°17 de l’Ensad, 2000
d’après le mémoire éponyme soutenu en novembre 1999.]

Lewis Carroll photographe

"On dit que nous autres photographes sommes au mieux une race aveugle, que dans les plus jolis visages nous ne pouvons voir qu’un rapport d’ombre et de lumière, que nous admirons rarement, que nous n’aimons jamais. C’est une erreur que je tiens à détruire."

Lewis Carroll. mathématicien, poète et photographe. Professeur de mathématiques et écrivain anglais, Lewis Carroll fut, en outre, l’un des premiers grands amateurs photographes anglais et surtout le meilleur photographe d’enfants du milieu du 19e siècle.

Nous avons évoqué autrefois des personnalités qui ont utilisé leurs loisirs à la photographie et qui s’y sont révélées comme des maîtres. Lewis Carroll est un de ces personnages et nul n’ignore sans doute qu’il doit sa renommée, surtout dans les pays anglo-saxons, à une suite de contes pour enfants dont l’élément de liaison est le personnage d’Alice. Lewis Carroll est le pseudonyme d’un professeur de mathématiques, le Révérend Charles Lutwidge Dodgson, né à Daresbury le 27 janvier 1832 et mort à Guilford le 14 janvier 1898.

Il avait une activité débordante et un amour passionné des enfants. Il n’est pas utile d’insister sur une existence toute de calme, de piété et d’études, entourée de l’affection d’amis aux noms célèbres tels que les poètes John Ruskin et Tennyson ; ces derniers avaient des enfants qui allaient permettre à Lewis Carroll de révéler son double talent d’écrivain et de photographe.

Quand a-t-il conçu cette passion pour la photographie ? Helmut Gernsheim note qu’il fit l’acquisition de son premier appareil en mai 1856, donc une époque où l’on pratiquait le collodion humide. Mais pour ma part j’ai pu trouver, dans l’une de ses lettres adressées à l’écrivain Miss Thomson en décembre 1858, "qu’il y a une vingtaine d’années, il avait trouvé amusant de photographier d’après nature et particulièrement les enfants ". Il dit encore qu’il avait fait bien des efforts infructueux pour les dessiner.

Alice Liddell, qui servit de modèle pour Alice au pays des Merveilles

"Le 13 mai 1859, il rendit visite à Tennyson et lui montra une photographie qu’il avait faite de la jeune Alice Liddell en petite mendiante. Tennyson ne put s’empêcher de dire que c’était la plus belle photographie qu’il eût jamais vue. Miss Liddell devait inspirer Lewis Carroll pour le personnage d’ Alice au pays des merveilles.

On lit à la date du 12 décembre 1860, dans son Journal , qu’il fut présenté au Prince Albert. "Je lui parlai du nouveau procédé américain permettant de faire 12000 photographies à l’heure. Edith Liddell arrivant à ce moment, je remarquai le beau tableau (en français dans le texte) que les enfants pourraient faire. Il acquiesça et dit encore, en réponse à ma question, qu’il avait vu et admiré mes photographies. En conclusion de notre entretien je lui dis que s’il désirait des copies je me sentirais très honoré de son acceptation". Quelques jours plus tard le Prince lui faisait parvenir son autographe et fixait son choix sur une douzaine d’images, pour sa collection privée.

Considérant les difficultés évoquées du procédé humide, et, d’autre part, son horreur de "re-toucher " les négatifs, les images que nous connaissons sont proprement étonnantes. Certaines ont été présentées à la Reine Victoria qui les admira beaucoup.
Lewis Carroll prit dans son atelier et sur le toit plat du collège d’innombrables photographies de ses amis et de leurs enfants ; l’un de ses premiers portraits fut celui de Faraday. "

Texte de Harmant, P.-G. "Il était aussi photographe". In : Kodéco, Paris, novembre 1962.

Les aventures d’Alice sous terre

En 1862, lors d’une expédition avec les soeurs Liddell, Lewis Carroll leur raconte une histoire. Dans son journal du 10 février 1863 il note : "C’est à cette occasion que je leur racontai le conte des Aventures d’Alice sous terre, que je me suis mis en devoir de rédiger à l’intention d’Alice et qui est maintenant terminé en ce qui concerne le texte bien que les illustrations soient loin d’être faites".

Une autre version de la genèse de ce texte a été fourni par Alice Liddell elle même lors du centenaire de la naissance de Dodgson dans un texte paru dans The Cornhill Magazine, en juillet 1932 : " La presque totalité des Aventures d’Alice sous terre fut racontée lors de cet après-midi éclatant de lumière, tandis qu’une brume de chaleur frémissait sur les prés, là où notre groupe avait mis pied à terre pour s’abriter un moment, à l’ombre des meules, près de Godstow. Il me semble que les histoires qu’il nous raconta cet après-midi là furent meilleures qu’à l’accoutumée, car je me rappelle très distinctement cette expédition, et je me rappelle aussi que, le lendemain, je commençai à le harceler pour qu’il rédige l’histoire pour moi, chose que je n’avais encore jamais faite. C’est à cause de mes "et après ?, et après" et de mon insistance qu’après avoir dit qu’il y réfléchirait, il finit par me le promettre, mais avec hésitation il se lança dans la rédaction."

Il y a eu plus de trois manuscrits du texte, dont celui offert à Alice que nous reproduisons ici le texte, un autre offert à des amis qui jusqu’en 1865 aura des modifications. Les aventures d’Alice au pays des merveilles sont l’aboutissement d’un processus dont ne parlera jamais Carroll, mais qui sont l’aboutissement d’une histoire racontée à des petites filles, puis écrite pour l’une d’entre elle, puis enrichie et donnant naissance à Alice au pays des merveilles.

C’est seulement en 1885 que Carroll décide de publier cette première version de son manuscrit en fac-similé. Il écrit alors à Alice Liddell qui lui fait parvenir le manuscrit qu’elle a gardé en recommandé. La publication a lieu un an plus tard.

(les aventures d’Alice sous terre sont en ligne sur le serveur de la revue)

Alice Liddell, une petite bourgeoise anglaise

Née en 1852, un an après l’arrivée de Carroll à Oxford, université où le Doyen est son père, Alice est, avec ses deux soeurs, une amie proche de l’écrivain.

C’est dans le journal intime de Carroll que l’on apprend à connaître qui était la vraie Alice, celle par qui tout arriva, cette petite fille brune, bien élevée, d’origine très aisée, curieuse et attentive aux contes et jeux de son ami Charles Dodgson. C’est elle qui fait de lui Lewis Carroll, qui l’inspire, qui le POUSSE À RÉDIGER l’histoire qu’il invente pour elle. (ça n’a l’air de rien comme ça mais ça a toute son importance et Carroll est le premier à le souligner dans Alice à la scène, un texte écrit à l’occasion de la première adaptation scénique de son oeuvre.) Par conséquent, cette petite fille de dix ans est sa muse et son commandatore.

C’est pour lui plaire qu’il s’exécute. Avec raison. Cela lui permet d’immortaliser la petite fille de sept ans (elle a pourtant dix ans à l’époque) dans son souvenir comme dans l’oeuvre. Car bientôt la petite fille devient adolescente au grand dam de Carroll qui la voit devenir madame Hargreaves en 1880. Ils se reverront une dernière fois en 1891. Mais Alice n’oublie pas son ami et ne rechigne jamais à donner son autorisation, comme elle prête son manuscrit original pour une publication tardive. Elle écrivit à la mort de l’écrivain un recueil charmant, Lewis Carroll tel que je le connaissais.

À savoir maintenant qu’ils furent véritablement séparés en 1864, quand madame Liddell décide d’interdire Carroll de se promener avec ses filles, elle qui rechignait déjà à le faire, et encore, accompagné d’un ami pour surveiller ce monsieur très proche des enfants. Alice Liddell a t-elle jamais souffert de cet obscur attachement qu’éprouvait Carroll pour les petites filles ?

Alice au pays du net

 

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter