il y a une ville longue
longue ligne comme sur les nationales certaines communes
étirées sur un ou deux kilomètres
étiolées au début et à la fin par un long parking pour poids-lourds
(ou par une ferme qui s’ouvre sur les champs)
s’il y a ces villes-là, trop vite éteintes par le trajet en voiture
(il faudrait les traverser à pied mais ces villes-routes sont faites pour automobiles)
avec leurs quelques lumières rouges qui nous ralentissent
insuffisamment
et le flux qui nous pousse vite dans le désert suivant
il y a aussi, quelque part
une longue ville le long d’une longue rue
pas un virage pour s’éveiller, seule une ligne droite pour marcher
une longue ville sur des centaines de kilomètres
des milliers de kilomètres
je parle sans le savoir de Los Angeles, peut-être
non, je parle d’une ville plus longue
et plus étroite, mais qui serait aussi vaste
dense
plus encore
et oublions Los Angeles
oublions les villes, même
il y a une ville longue, c’est tout
soyons-là, à y marcher sans fin
une ville à longue rue unique
celle-là oui, à emprunter sur des milliers de kilomètres pendant des jours et des nuits
une ville longue flanquée de petites rues capillaires se perdant dans d’autres rues plus petites encore
(habitations aux façades anonymes mais numérotées, commerces brandissant leurs enseignes, vitrines reflétant le mur d’en face et nos yeux)
qui se perdent à leur tour dans des passages, des cours, des rues sans nom
qui se terminent dans la campagne ici, dans la montagne là
au bord d’un lac ailleurs, au bord d’une mer plus loin
jusqu’au bord du ciel, au bord des étoiles
jusqu’au vertige
une ville longue qui ne saurait plus s’arrêter
y marcher sans fin sur le trottoir qui longe la rue principale
avant de s’engager dans les rues sur le côté
innombrables, pleines d’une foule affairée et commerçante
et puis de plus en plus désertes
vides et de plus en plus resserrées
de plus en plus jusqu’à disparaître
(marcher dans une rue qui n’existe pas)
jusqu’au vertige de la distance
(vertige de la marche)
lever les yeux dans le bleu ciel, marcher sur le nuage humain laissé par l’avion
(un Dublin-Naples, un Lisbonne-Oslo)
c’est marcher sur le kérosène
le pétrole
ce sang noir de notre civilisation, ce sang noir sous terre
(extrait par un autre sang)
et sans lui, notre civilisation (du pétrole) prend fin (Dalibor Frioux [1])
alors
marcher sur le rêve de nuage
merveilleux suffisant et bien assez humain pour nous
(on effacera les avions du ciel)
est-ce marcher sur le rêve dans la vitrine ?
poursuivre un bonheur en solde
transpirer à l’appel du patron car il faut bien transpirer à l’appel du patron
suivre le cheminement prévu
algorithme d’une vie programmée installée partout
(regardons autour de nous, que voyons-nous, qui voyons-nous ?)
(une strate de poussière sur un mot pas soufflé
resté en travers du regard échangé)