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Zone sécuritaire 

mercredi 7 septembre 2005, par Stéphane Tirilly

Les guides touristiques nous emmènent vers une charmante principauté, qui pose au bord du bleu de la mer son béton prospère, sa marina internationale.
Les guides vantent un lieu parfaitement sécurisé, car partout des caméras surveillent les rues, les corps des passants.

Lieu de haute sécurité, zone de non-droit : n’allez pas croire à l’antinomie de ces termes.

La principauté est un lieu sécurisé de non-droit : l’argent s’y déverse à flots, les profits de la drogue, du crime, de la guerre, autant que ceux de l’industrie ou de l’exploitation plus banale ; il ruisselle dans les casinos où j’imagine les tapis et les tentures rouges sang.

La principauté est régentée par une fausse aristocratie, des princes qui descendent d’une lavandière et qui jouent au royaume d’opérette pour les journaux illustrés. Vous y croisez des magnats à boutons de diamants, des créatures aux bras de magnats à boutons de diamants, des délinquants millionnaires et de riches asociaux, des couturiers vulgaires et des parasites de luxe ; et toute l’assemblée hétéroclite des maffieux qui se gargarise de la sécurité de la principauté.
(Et aussi, peut-être, immobilisés devant les roulettes des casinos, les prisonniers du jeu, ceux-là que vous avez déjà aperçus dans un roman de Dostoïevski.)

Les rues de la principauté ne sont pas mortes, mais peuplées de fantômes qui passent sur les caméras de surveillance ; si l’un se met à exister par des gestes trop brusques, un comportement importun, on l’appréhende fissa. La nécessité s’impose de contrôler les corps inadaptés, mal orientés, trop agités - dont la matérialité invite à l’emprisonnement. Ainsi la ville est devenue quartier de haute sécurité.

L’argent, lui, circule sans contrôle, presque instantanément. Il doit circuler sans entraves, puisque ce n’est qu’un flux ; argent propre ou sale, vrai ou faux, on ne sait plus - mais qu’importe. Cela circule dans un espace dématérialisé et sans frein ; est-ce toujours de l’argent au sens où nous l’entendons ? Il faudrait inventer un nouveau nom pour ce fluide qui charrie toutes les prédations, ce flux électronisé et mystérieux de la planète marchande que j’imagine fuser à des vitesses vertigineuses, entre des lieux lointains et liés.

Les valises de billets, quelle ringardise ! Il subsiste sans doute des maffieux de l’ancienne école qui débarquent ainsi, par attachement sentimental, au seuil des banques de la principauté, muettes comme des tombeaux.

A votre droite, l’entrée du port.

P.-S.

Première publication en 2002

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