Etudiant à Jussieu en cinéma, je courais à la Sorbonne voir Eric Rohmer donner des cours de Cinéma. Avec Jean Douchet, Bernard Cuau et Jean Rouch, il a fait partie de ceux qui m’ont donné envie de faire des films.
Gamin, j’avais vu "ma nuit chez Maud" dans un cinéma de Saint Germain, avec Claudie, ma mère.
Ma Nuit Chez Maud - Eric Rohmer - Film Annonce
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Longtemps mon père m’a parlé du genou de Claire, comme d’un objet du désir impossible. Lorsqu’il m’a montré ce film, je me suis mis à aimer l’arnica, à rêver de caresses à l’arnica.
Le synopsis du film via Wikipédia : A Annecy, aux alentours du lac, lors de ses dernières vacances de célibataire, Jérôme, un attaché culturel de 35 ans, se découvre fasciné par une jeune fille, Claire. Il ressent un désir irrépressible de toucher son genou...
Rohmer : "Je me suis mis à aimer le cinéma quand je me suis aperçu qu’il pouvait exprimer des sentiments ambigus".
Rohmer : "Mon intention n’était pas de filmer des événements bruts, mais le récit que quelqu’un faisait d’eux."
Rohmer confesse : "Je me suis mis à aimer le cinéma quand je me suis aperçu qu’il pouvait exprimer des sentiments ambigus."
"Les personnages de Rohmer croient qu’ils savent tout, or il y a des choses qu’ils ne voient pas. "Pendant qu’ils agencent leur propre intrigue à l’insu de leur partenaire, celles-ci se livrent à une occupation analogue avec un inconnu", écrit Bonitzer.
"On ne ment pas assez souvent au cinéma", écrit Rohmer, qui va se faire un plaisir d’orchestrer des films où un homme ment afin d’exercer une emprise sur un autre, et où des hommes et des femmes se mentent l’un à l’autre..."
A 17 ans, je ne pensais pas encore au mensonge.
Je suis tombé amoureux d’Haydée Politoff.
Haydée Politoff, à la fois bimbo et lolita, s’offre avec nonchalance à Daniel Pommereulle (dans son propre rôle d’artiste mondain) et à Patrick Bauchau.
Je cherchais des photos d’elle que je collectionnais dans un cahier. Bref, j’étais tombé amoureux d’une actrice qui était devenue secrètement mon idole.
Car, à Colmar, dans cette jeunesse alsacienne, la Collectionneuse avait inventé (pour moi) l’art de l’amour au soleil.
Haydée, c’était bien mieux que Brigitte Bardot. C’était une autre icône.
Le synopsis repris sur Wiki : Adrien s’apprête à passer une partie de l’été dans la villa provençale de Rodolphe afin d’assister, soi-disant, à une vente et de traquer un commanditaire pour sa future galerie de peinture. Mijanou, son amie, s’envole pour Londres. En réalité, Adrien va surtout tenter, avec Daniel, un peintre reconverti dans la fabrication d’objets, une quête du néant par le biais d’une profonde inactivité. La présence inattendue de Haydée déplait à Adrien qui craint de voir sa tranquillité troublée.
En 1967, Claude-Jean Philippe se réfère à un texte d’André Breton pour illustrer le propos de La Collectionneuse, d’Eric Rohmer :
"Est-ce du Rohmer ? Il n’y manquerait même pas la référence à Goethe. Non, c’est du Breton, celui de L’Amour fou. Étrange rencontre. Car enfin, le sujet de La Collectionneuse est là tout entier.
Haydée s’identifie à la nature. Son nom est écrit en vert au générique. Alors que Daniel est en jaune ( « un certain jaune ») et Adrien en bleu. Dès lors, le premier prologue revêt un sens primordial. Haydée longeant la mer, déliant les apparences de sa démarche égale qui révèle en unifiant. Le front de mer se découvre semblable, inscrit sur la page d’aube, bleue et grise, le front de la jeune fille enferme je ne sais quel secret. Tout est neuf en ces images imitées de l’antique. Nul sentiment d’adoration ni d’horreur. C’est-à-dire absence d’un érotisme, au moins immédiat. C’est le ton de l’éloge, mais qui n’exulte pas. Le découpage ne vise qu’à préciser le sentiment d’admiration : nœuds des genoux, saillie des omoplates, finesse, grain de la peau. Beauté du tout comme de la partie précieusement cernée. A première vue c’est l’enfance de l’art, l’enfance du regard. Mais c’est une enfance retrouvée au bout du raffinement et de l’épure.
Donc, Rohmer nous donne d’emblée le regard juste. Dès les premières images, l’œuvre est dénouée, c’est-à-dire heureuse. Il lui reste à se nourrir d’inquiétude, mais sans se départir de cette première et souveraine vision. « L’homme de la rue et le philistin, écrit Rohmer, vouent à la beauté un culte dont on a tort de mésestimer la ferveur. C’est avec la culture, souvent, que débute l’indifférence. » Daniel et Adrien, produits ultimes de notre civilisation et de notre culture, entrent en scène. Rohmer leur oppose Haydée comme objet de connaissance. Mais il se propose, les ayant précédés, de poursuivre également sa recherche. Ayant connu, il s’agit de reconnaître. (...) On ne peut que louer Rohmer d’avoir choisi Adrien, Daniel, Haydée, tous trois d’aussi belle venue, et de leur avoir laissé toutes leurs chances. La part qu’il prend à leurs jeux n’est pas de complaisance ni même de complicité, elle est de pur et simple intérêt."
Noël Herpe écrivait en 1998, dans un papier que j’ai découpé dans Libération : "Il y a tout cela ensemble dans la Collectionneuse, et il y a encore autre chose, qui appelle une perception moins consciente : ce ne sont encore que des détails, mais impossibles ceux-là à collectionner, se faufilant entre les vains discours pour imposer une évidence aveuglante. Par exemple, ce sont les attraits d’Haydée Politoff, objets d’un passage en revue qui élude d’avance tous les commentaires ; et c’est une sorte de sous-film où se manifestent sans aucune distance la beauté des corps, le passage de l’instant, la possibilité du bonheur" Alors, on a l’impression que le délire interprétatif des personnages de Rohmer n’est jamais là que pour rehausser une absence : celle d’une jeunesse perdue en bavardages, celle d’une vie qui continue au-delà du cinéma."
Francis Moury, dans un article publié sur Cineaste.net, pense qu’"il y a deux lectures possibles du film :
– 1) la sublime Haydée Politoff (la conservation du prénom réel " Haydée " signifie un renoncement symbolique à la distance personnage-personne réelle) est une incarnation du concept théologique de la Grâce qui vient troubler le nihilisme philosophique d’Adrien : il est immédiatement " ravi ", tombe malgré lui amoureux d’elle, mais au dernier moment, pêche par orgueil et renonce à son bénéfice pour retrouver une illusoire liberté. Sa liberté n’est pas la liberté volontaire infinie de Descartes qui s’apparente à l’infinité divine elle-même — ce qu’il croit et dit au moment où il revient vers la villa, seul. Haydée laissée sur la route, il ressent un vide mais ne peut plus le combler qu’en prenant l’avion pour Londres où il va retrouver une conquête sans saveur, habituelle pour lui. Ce retour à Londres marque l’échec de la Grâce. C’est précisément parce qu’il ne voulait pas aller à Londres avec sa maîtresse qu’Adrien avait été en mesure de rencontrer Haydée. Il avait en lui-même préparé le terrain, fait le vide pour accueillir une telle venue.
– 2) ou bien une lecture profane purement psychologique et sociologique. On est alors en présence d’une comédie discrètement dramatique écrite dans un style qui alternerait Marivaux, le romantisme allemand, les penseurs politiques des années 1960-1965 " révolutionnaires ". On constate alors une impossibilité de l’amour en raison de la liberté même des mœurs qui provoque finalement une incommunicabilité entre les êtres, interchangeables. Aussi une réflexion sur le nihilisme comme fin en soi et l’impossibilité d’y échapper. Enfin le constat brut d’une histoire d’amour naissante puis avortée au parfum mystérieux : Adrien emprunte un moment à " Daniel " (Daniel Pommereulle, cinéaste expérimental de l’époque, assez étonnant comme acteur et parfait contrepoint à " Adrien ", tant physique que psychologique — qui lui aussi garde son vrai prénom dans le film) un volume des Œuvres complètes de Rousseau (gros plan sur la couverture de la Pléiade) tandis qu’un soir Haydée lit…Dracula de Bram Stoker - on reconnaît de loin la belle édition belge Marabout originale car le volume n’est pas filmé de près. Ce qui évoque quelque part une rencontre entre naturel et surnaturel. Haydée ramène chaque soir un jeune homme différent, qui ressort de sa chambre le matin l’air épuisé… métaphore de la séductrice vampirique, entre deux tirades socrato-platoniciennes (le dialogue sur la beauté et la laideur entre Adrien et les deux femmes, avant qu’il ne voie Haydée faire l’amour) ou nietzschéennes (le second prologue présentant la " beauté aux lames de rasoir " crée par Daniel et la discussion sur la nature " tranchante " de l’œuvre d’art, posée combativement sur du néant)…
Entre les deux interprétations, on hésite si on ne sait pas que Rohmer est catholique et que ses films sont imprégnés de problématique théologique. Mais le charme secret du film vient du fait que sachant cela, on hésite pourtant encore… cette description entre l’éloge et le simple constat d’une marginalité luxueuse mais authentiquement philosophique (les deux amis se gaussent, pour notre plus grand plaisir, du jeune abruti matérialiste et ignare ramené par Haydée et finissent même par le chasser d’une manière glacée et comique tout à la fois) " agressée " par le désir pur, brut, obscur qui annihile toute tentative de fuite ou de distance, cette histoire d’amour pointilliste, qui sous des dehors sages maintient un " suspens " constant a tout le charme du cinéma indépendant, proche de l’underground parfois, de l’époque."
A 20 ans, j’ai rencontré son fils avec qui je travaillais de 5 à 9 heures du matin à faire des revues de presse avant d’aller à l’université. Pourtant, je ne savais pas que Denis était son fils.
Je lisais les Six Contes moraux, rêvant d’écrire comme son père sans savoir non plus qu’il avait d’abord voulu être écrivain.
C’est bien plus tard que j’ai découvert qu’Eric Rohmer, de son vrai nom Maurice Henri Joseph Schérer, a d’abord voulu écrire des livres, avant de se consacrer au cinéma.
Rohmer a d’abord rêvé de faire de ses contes un livre. Il a d’ailleurs publié un premier livre en 1946 Élisabeth.
Rohmer dit sur Elisabeth : « Ce livre a été écrit sous les balles. C’est-à-dire que les balles sifflaient devant ma fenêtre. J’habitais, au moment de la libération de Paris, en août 44, un hôtel du Quartier latin, dans une rue adjacente à la rue Soufflot où se sont produites plusieurs escarmouches. C’est précisément à cette période-là que, bloqué dans ma chambre, n’osant mettre le nez à la vitre, j’écrivais Élisabeth. En même temps, je me posais la question : "Est-il possible d’écrire sur les événements présents ?" Ma réponse était : "Non, on ne peut pas, il faut du recul." Et je n’ai pas changé sur ce point. »
C’est le refus de son éditeur de publier son recueil de nouvelles, les Contes moraux, qui l’a décidé d’en faire un ensemble de films : La Boulangère de Monceau (1962) ; La Carrière de Suzanne (1963) ; La Collectionneuse (1967) ; Ma nuit chez Maud (1969) ; Le Genou de Claire (1970) ; L’Amour, l’après-midi (1972).
Il disait : "Au fond, je ne dis pas, je montre, je montre des gens qui agissent et parlent. C’est tout ce que je sais faire, mais là est mon vrai propos"."
Dernièrement à la question "Au cinéma, ça vous intéresse ? Chez Billy Wilder par exemple ?", il répondait :
"Certains l’aiment chaud est un film que je n’aime pas du tout. Je trouve ça horrible. D’ailleurs, j’ai peu interviewé de gens célèbres dans ma vie, mais il se trouve que j’ai interviewé Buster Keaton. Il était très âgé et le film venait de sortir. Il m’a dit : “Certains l’aiment chaud, c’est exactement ce que je déteste.” Ça m’avait beaucoup amusé."
En un peu plus de 40 ans, Éric Rohmer a réalisé, avec une remarquable constance, près d’une cinquantaine de films.