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L’Aïd-el-Kébir 2018 à Gaza 

Une fête étrange de l’AÏd-el-Kébir

lundi 20 août 2018, par Huda Abdelrahman al-Sadi

À PROPOS /// Deux jours après l’effondrement du centre culturel de Gaza ciblé hors guerre par un bombardement israélien, je dînais à Paris avec des invités parmi lesquels un ami activiste des mémorables années 60 et 70. Alors et depuis il ne s’était pas intéressé à la question palestinienne d’Israël, sans doute pour ne pas entrer en contradiction avec des proches en jugeant Israël, ou ayant adopté leur point de vue. Comme cela nous divisait mais souhaitant rester bons amis nous évitions d’en parler.
Soudain je fus surprise de l’entendre déclarer à l’adresse des convives qui évoquaient la répression mortelle contre les manifestants de La grande marche du retour à Gaza : "Bombarder un théâtre c’est le fascisme, il n’y a aucun doute possible." Cela m’apparut comme une réflexion déconnectée de la violence de la réalité des morts et des blessés. Mais je servais les plats et en restai là. En fait le statut de Huda Abdelrahman al-Sadi, n’exprimant le choc que onze jours après, publié à la page de son compte Facebook aujourd’hui, veille de la fête nationale de l’Aïd partagée entre tous les habitants de Gaza, Musulmans ou pas, a mis un terme à la perplexité que j’avais ressentie.
Demain 21 août sera une étrange fête de l’Aïd-el-Kébir à Gaza.
Bonne fête à vous « malgré tout » ! Nous pensons à vous. (L. D.)


La dernière fois je vous ai écrit sous les bombardements lors de l’assassinat de deux enfants !

Mais cette fois sous les bombardements vous réécrire fut vraiment difficile : à cause du CHOC.

Pourtant, comme Palestinienne, surtout Gazaouie, sur le choc, la mort, les bombes, les pleurs, la peur, la destruction, je peux déclarer que tout est devenu notre quotidien.

Une fois j’avais écrit : « la plume, le théâtre, la lecture, la culture sont des armes plus puissantes que leurs armes ».

Mais le 8.8. 2018 ils ont tué le théâtre à Gaza.

J’étais au travail, lorsqu’on me dit que le centre culturel Said Al.Mishal venait d’être écrasé, cinq étages comme un biscuit.


Je ne crus personne — je ne voulais pas y croire. Je me dis : « peut-être n’est-ce qu’un missile qui n’a rien endommagé, peut-être l’occupant inhumain a-t-il juste voulu nous faire peur, comme d’habitude, peut-être n’était-ce pas le centre culturel qui était ciblé, mais une terre vide ? »
Beaucoup de « peut être » et rien de « certain ».

Les mots se confondent mais ce n’est pas la guerre, alors pourquoi une telle destruction ?

Pourquoi détruisent-ils nos souvenirs, nos rires ?

Ce bâtiment ne représente pas un bâtiment culturel mais davantage. Chaque mur garde dans ses bras les rires après chaque spectacle, les souvenirs de chaque répétition, les idées de chaque pièce, des chansons, nos âmes, nos talents, nos loisirs. Notre jeunesse, les rêves des jeunes privés de la vie des autres jeunes du monde, avait grandi entre ces murs.

Pour moi et pour d’autres ce bâtiment n’avait donc jamais été un bâtiment, il était le monde dont en tant que Gazaouis on était privés — le monde qu’on n’a jamais vu !

Un théâtre à Gaza fut un rêve d’études en projet pour moi ; j’avais l’habitude de dire : « à Gaza il n’ y a pas de vrai théâtre, il n’y a que de petites salles, et je rêve de faire revivre le théâtre en français. »

À présent je peux affirmer la réalité qu’il n’y a plus de théâtre à Gaza !

Depuis longtemps, Je rêvais de vivre la date des trois 8, le 8.8.2018.
J’aime ce numéro et je voulais vivre pleinement cette date spéciale.
Mais malheureusement prévoir une date spéciale à Gaza est également interdit !

Une annonce avait été lancée par le groupe « Pal Theater » — un groupe de comédiens amateurs qui ont appris à faire le théâtre par eux mêmes et qui avaient promis de faire renaître le théâtre sans avoir une vraie salle spécialisée ni de véritable matériel technique, en ayant seulement leur envie de vivre à Gaza : faire une pièce de théâtre pour la grande fête.

Et cette pièce nous l’attendions avec impatience.

Et maintenant il n’y a plus de théâtre, il n’y a plus de pièce de théâtre
il nous reste la fête
Bonne fête à tous mes amis
Bonne fête à nous malgré tout


H. A-A-S.


P.-S.

Source texte et iconographie FB Huda Abdelrahman Al-Sadi ; texte © Huda Abdelrahman al-Sadi — avec son aimable autorisation. Version d’édition.

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