La Revue des Ressources
Accueil > Dossiers > Kenneth White > La voie du vide et du vent

La voie du vide et du vent 

Kenneth White & Patrice Reytier.

jeudi 6 janvier 2022, par Jean-Luc Chesneau

Nomade intellectuel, grand voyageur ayant séjourné une douzaine d’années en Béarn, aujourd’hui vivant dans son « ermitage » breton, Kenneth White ne cesse de pérégriner à travers les vastes territoires de la pensée, associant littératures de tous horizons et géographie, géologie et philosophies, cartographie et arts plastiques, autobiographie et même politique, il vise à une « appréhension complète du monde ». Pour ne s’en tenir qu’au versant poétique de son œuvre, mais sans oblitérer la matrice complexe des horizons infinis brassés dans son travail de penseur, nous vous proposons d’entrer dans ce vaste domaine par une porte originale, d’accès aisé, à hauteur de néophyte pénétrant le foisonnant labyrinthe mental, conceptuel et sensible whitien.

Quatre-vingt-seize pages douces, colorées, vagabondes, en forme de comic strip (ouvrage au format horizontal, trois cases d’images par page) dessinées par le talentueux bédéaste Patrice Reytier. La voie du vide et du vent n’a rien du pensum touffu mais tout de l’invitation au vagabondage serein, à la méditation débarrassée de toute mystique, au cheminement dépouillé d’emphase, à l’instantané de la perception paisible. Trois cases dessinées, comme trois vers de haïku, trois cases où se glissent de minces phrases de Kenneth White, inédites ou extraites de ses livres, comme autant de clés discrètes et d’usage immédiatement familier. Alors, nous pénétrons ce monde si près de nous, ces mondes qui trop souvent nous échappent, par distraction, négligence, surplomb, précipitation.

Maintenant, nous ouvrons les yeux, oublions contraintes et pesanteur, révoquons niaiseries et vanité. Nous voici marchant en territoire chamanique ou bien contemplant un matin de neige à Montréal, visitant la maison d’Érasme ou embarqués dans l’express Bergen-Oslo, pris dans le vol du fou de Bassan ou à l’écoute du sermon du chardon bleu, au pied de la tour de Culross si ce n’est à Albi, ce matin-là… Sans oublier ni la masse du Monte Perdido ni la beauté et le mystère du bouleau argenté.

Le grand dehors est au tournant de chaque page :

« Le col de Marie-Blanque n’a rien de grandiose. C’est un petit col de rien du tout. On n’y fait pas de prouesses. On y cherche autre chose.  »

À l’instar de K. White, on vise à rétablir et à enrichir le rapport homme-terre rompu ou en voie névrotique de l’être. On ne construit pas un énième système pesant et perdu avant même d’être expérimenté, mais on rode (aux deux sens du verbe), ici et maintenant, une relation dynamique entre notre présence discrète et ce monde qui nous entoure, nous exalte, nous effraie, nous séduit. Ce monde qui est, en dépit de nous.

« Si elle jouit de l’été
l’Argens aime aussi le ciel gris
car il éloigne les sots
les jours de grisaille
elle est seule, toute seule
avec ses roseaux et ses saules.
 »

Trois cases pour une immensité, trois cases pour une incompressible sobriété, trois cases pour s’extirper de toute mesure comptable et laisser place au silence, à la surprise, à l’implicite. Trois cases pour être là, même si nous n’y sommes jamais allés. Des crêtes, des vagues, des nuages, des livres, des arbres, des oiseaux. Du vide et du vent. Qui traversent, emplissent, sont déjà ailleurs. Et nous avec eux.

« Y a-t-il quelque part sur cette terre qui s’amoindrit
un homme comme moi
marchant au bord de l’océan ? 
 »

Jean-Luc Chesneau.

P.-S.

La voie du vide et du vent
Kenneth White & Patrice Reytier
Éd. Rue de l’Échiquier. 96 pages, relié. Avril 2021.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter