Guy de Maupassant (1850-1893) est un auteur naturaliste français considérable tant par son style novateur et expérimental dans un genre peu partagé en France, le récit court, que par sa production nourrie, ou la sensibilité critique et poétique de son œuvre inspirée par le mode de vie social du peuple moderne de son temps, qui lui valent une grande popularité mais paradoxalement d’être méconnu dans son importance au fil de l’histoire littéraire nationale. Car le point de vue académique assimile le fragmentaire à l’anecdotique, et par malentendu situe de tels projets hors de la filiation continue des ouvrages associée au tableau d’auteur du grand œuvre, d’un Balzac ou d’un Proust aux ouvrages dynastiques érigés en exemples du roman moderne, ou d’un Zola au même titre avec ses romans en série dont celle des Rougon-Macquart. La mémoire convenue le réduit souvent à la débauche bourgeoise exprimée dans certains de ses sujets auto-fictionnels, popularisés à travers diverses adaptations cinématographiques (parmi lesquelles de nombreux chef d’œuvres du cinéma d’auteurs français, de Renoir et Max Ophüls, à Jean-Luc Godard et Claude Chabrol, et étrangers parmi lesquels Kenji Mizoguchi, Luis Bunuel, Robert Wise, Albert Lewin) telle La maison Tellier (anthropologie sociale d’une maison close, patronne, prostituées, clients, exprimée en légèreté du bonheur amoureux) dans le film Le Plaisir — du titre d’une autre nouvelle consacrée à l’amour du couple, au contraire particulièrement sombre, dans la loyauté de l’amant pour celle qu’il n’épouse qu’après qu’elle se fut jetée par la fenêtre, alors qu’il venait de lui annoncer qu’il allait la quitter, et qu’il promènera tendrement la poussant dans un siège roulant, toute le reste de leur vie... À cette aune, « le bonheur n’est pas gai ».
Sa propre sensibilité du désir, emprunte d’une mélancolie de l’échec aggravée par son radicalisme métaphysique, existentialiste, Maupassant étant un amateur de Schopenhauer, se développe en demi-teintes dans l’expression cosmique de la vie urbaine, comme de la nature et de la lumière. Plutôt qu’à la recherche littéraire (la forme de l’autobiographie déplacée par la nouvelle en bio-fiction, l’onirisme comme émergence organique — structurelle — du naturalisme, ou encore l’actualisation sociale des légendes ou du fantastique), on attribue à tort souvent la dimension fantastique et onirique de certains de ses textes aux symptômes cliniques de la folie qui le frappa cumulativement dans les dix dernières années de sa vie (Delirium Trémens — exprimé dans Le Horla — et évolution cérébrale de la Syphilis, découverte dès 1977 grâce à l’attention de Tourgueniev qui au retour d’un voyage le trouva en mauvaise santé, mais déjà trop tard pour le meilleur pronostic thérapeutique). À tort, parce que s’il est difficilement contestable que ses propres expériences de la vie y compris la maladie fassent partie du corpus délibéré de sa littérature auto-fictionnelle, par contre le chantier de son écriture est tout autre que le champ poétique investi par l’existence d’un Nerval comme d’autres grands poètes. Maupassant quoique sensible n’est pas un poète mais un littéraire, un écrivain expérimental en toute conscience critique et distance avec le matériau personnel qu’il travaille. Du Horla il dit qu’il écrit pour les médecins (il se constitue en malade expérimental dans le rapport du vécu des troubles singuliers qui le gagnent et qui soulèvent le diagnostic de référence, rapport sur une expérience que personne d’autre ne pourrait faire à sa place, ne l’ayant pas vécu, ni même les médecins, il fait don du rapport d’écrivain sur sa maladie). À tort, parce que ses textes attestent de l’impact tranquille du fantastique émergent des lieux exprimé dans un réalisme sans ambigüité avec le romantisme, d’autant plus évident par exemple lorsqu’il s’agît de la référence gothique (et de la critique de la littérature gothique) dans La Légende du Mont Saint-Michel. En sorte que notamment ses ouvrages présentant des aspects fantastiques ou oniriques confinent à la littérature d’essai.
Sa production fut d’autant plus sous-estimée par les académies du roman en France, en outre qu’il excellât principalement à fonder une œuvre significative par le nombre de ses récits courts où il trouva la concision et la fluidité critique de son style, peu descriptif (au contraire du réalisme flaubertien), elliptique, et dont le naturalisme se construit par touches d’un réalisme minimal pour éviter le matérialisme caractérisant davantage le naturalisme français, tel celui de Zola, et par conséquent sans emprise idéologique de la fatalité déterministe (telle l’emprise scientifique de la psychologie de la biologie et de la physique dans l’œuvre de Zola), et même au-delà de ses nouvelles qui bien que nombreuses ne caractérisent pas exclusivement son œuvre. Il y a quelques poésies et surtout des romans célèbres parmi lesquels Une vie (1883), dont Léon Tostoï déclara que c’était le plus grand chef d’œuvre de la littérature française après Les misérables, Bel ami (1885), et Pierre et Jean dit Le roman (1887-1888), son manifeste littéraire. Originalités peu adaptées aux catégories locales en vigueur et qui au contraire lui auraient donné des lettres de noblesse dans la tradition littéraire anglo-saxonne, précisément de l’autre côté de la Manche, où il fut d’ailleurs reconnu dès ses premières nouvelles grâce au mouvement naturaliste où Zola l’avait intégré.
Fantasque et immoral (dans l’ordre des conventions bourgeoises), athée et pessimiste (amateur de la philosophie de Shopenhauer), radical, Maupassant était normand, comme d’autres grands écrivains français radicaux, romanciers, essayistes, ou philosophes, et après avoir fait la guerre en Normandie contre les prussiens et s’être fait remplacer un payant quelqu’un pour tenir sa place, il était venu à Paris où il s’était vu confié à Flaubert par sa mère (qui en avait été l’amie). Lequel mentor commença par l’entraîner dans toutes les débauches auxquelles il était associé, et c’est plutôt grâce à d’autres rencontres, dans le cadre des dîners littéraires notamment chez Flaubert, que Maupassant traça son chemin personnel en littérature avec des auteurs comme Tourgueniev et Zola, précisément Tourgueniev qui lui fut intimement attentif, et se développa dans son propre style plutôt naturaliste que réaliste (quoique). Trouvant ses premières ressources en travaillant successivement le jour dans des ministères, en participant aux dîners littéraires en soirées, et en écrivant la nuit, il publia ses nombreuses nouvelles dans les journaux à la mode avant de les éditer en recueils, où ses pairs publiaient plutôt leurs romans en série (feuilletons). Et assez rapidement son œuvre prolifique et séduisante par ses formes brèves ou ses romans teintés par le mode de vie populaire et bourgeois de son temps, qui s’y actualisent dans un lyrisme critique sans complaisance avec le romantisme, trouva le succès auprès d’un public divers, généralement sensible mais sceptique ou contestataire, dans le courant d’une vogue qui privilégia son travail et lui permit de vivre de sa littérature et même de connaître la richesse sans compromettre sa créativité.
De 1880 à 1890, période de sa vie particulièrement féconde en phase avec l’évolution de sa maladie avant qu’elle ne finit par le terrasser, il publia six romans, plus de trois cents nouvelles et quelques récits de voyage.
Avec Zola il participa aux avant-gardes critiques de la littérature et de l’idéologie conformistes, socialement engagées par leurs sujets ou esthétiquement, dont le naturalisme pas seulement comme forme mais comme mouvement critique, du groupe de Médan (d’un lieu où Zola s’était installé), mouvement qui présida à la publication des Soirées de Médan, recueil collectif de six nouvelles publié le 15 avril 1880 chez Georges Charpentier éditeur à Paris, réunissant Émile Zola, Guy de Maupassant, J.-K. Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique et Paul Alexis. Ce fut dans ce cadre la publication de sa nouvelle féministe et anti-bourgeoise Boule de suif, très contestée par la critique, qui lui procura pourtant sans tarder la célébrité su-citée, en France et à l’étranger.
Il faut citer ensuite Charles-Louis Philippe qui publie son premier livre en 1897, quatre ans après la mort de Maupassant, et dont la conception littéraire basée sur l’auto-biographie se réalise entièrement en autofiction. (A.G.C.)
Parmi toutes les suggestions internationales remarquables notamment en Angleterre aux États-Unis ou au Canada où son œuvre est traduite, et/ou recensée dans sa langue originale, on trouve plusieurs excellents sites français (ce qui paraît logique mais n’est malheureusement pas le cas pour tous les écrivains nationaux) ; notamment un index des revues et études consacrées à Maupassant dans la bibliographie proposée entre autre par le site informé et régulièrement actualisé sous la responsabilité de Noëlle Benhamou www.maupassantiana.fr/ ; on peut également consulter le site de l’Association des amis de Maupassant créé en 1991 par Jacques Bienvenu, fondateur de la revue L’Angélus, éponyme du titre du dernier ouvrage inachevé de Maupassant, tenu à jour par l’association qui a mis en ligne l’intégrale de l’auteur : maupassant.free.fr.
La revue des ressources propose dans le champ Restitutio la rubrique La vie errante de Guy de Maupassant, consacrée aux dernières publications de l’auteur, ses récits de voyage la plupart à la fin des années 80 publiés en 1890 alors qu’il était considéré comme n’écrivant plus, deux grands ouvrages étant restés inachevés, l’un également en 1990, L’âme étrangère, l’autre en 1891 — déjà cité, à propos de l’association des amis de l’auteur, —, L’Angélus.
Voir en ligne : Guy de Maupassant @ fr.wikipedia