Le monde vrai, accessible au sage, au religieux, au vertueux, — il vit en lui, il est lui-même ce monde.
(La forme la plus ancienne de l’idée, relativement intelligente, simple, convaincante. Périphrase de la proposition : « Moi Platon, je suis la vérité. »)
Le monde vrai, inaccessible pour le moment, mais promis au sage, au religieux, au vertueux (« pour le pécheur qui fait pénitence »).
(Progrès de l’idée : elle devient plus fine, plus insidieuse, plus insaisissable, — elle devient femme, elle devient chrétienne...)
Le « monde vrai », inaccessible, indémontrable, que l’on ne peut pas promettre, mais, même s’il n’est qu’imaginé, une consolation, un impératif.
(L’ancien soleil au fond, mais obscurci par le brouillard et le doute ; l’idée devenue pâle, nordique, königsbergienne [1].)
Le monde vrai — inaccessible ? En tous les cas pas encore atteint. Donc, en tant que tel, inconnu. C’est pourquoi il ne console ni ne sauve plus, il n’oblige plus à rien : comment une chose inconnue pourrait-elle nous obliger à quelque chose ?...
(Aube grise. Premier bâillement de la raison. Chant du coq du positivisme.)
Le « monde vrai » — une idée qui ne sert plus de rien, qui n’oblige même plus à rien, — une idée devenue inutile et superflue, par conséquent, une idée réfutée : supprimons-la !
(Journée claire ; premier déjeuner ; retour du bon sens et de la gaieté ; Platon rougit de honte et tous les esprits libres [2] font un vacarme du diable.)
Le « monde vrai », nous l’avons aboli : quel monde nous est resté ? Le monde des apparences peut-être ?... Mais non ! avec le monde-vérité nous avons aussi aboli le monde des apparences !
Midi ; moment de l’ombre la plus courte ; fin de l’erreur la plus longue ; point culminant de l’humanité ; INCIPIT ZARATHOUSTRA [3].)