Après avoir été plébiscitée par le Parlement, l’Uganda a adopté le 18 février une loi dite « anti-pornographie » qui prohibe le port de vêtements indécents. Pour reprendre la définition du Ministre de l’éthique et de l’intégrité, le Révérend Père Simon Lokodo, il s’agit de toute tenue susceptible d’irriter le regard d’autrui ou de l’exciter sexuellement.
On comprend toute l’urgence de la loi à la lumière des propos tenus dans les médias par le très éthique Père Lokodo, éminent théologien, diplômé de l’Université Urbaniana de Rome, pour qui « le viol des jeunes filles par des hommes est plus naturel que les relations consentantes entre personnes de même sexe » — voilà !
Depuis, dans un climat de chasse aux sorcières, de drôles de gardiens de la morale, traquent les femmes qui osent la minijupe pour leur signifier ce qu’il en coûte d’agresser visuellement son prochain. Mission d’intérêt national dont ils s’acquittent avec beaucoup de courage, il faut reconnaître. Comme tout le monde sait, l’Ougandaise est une redoutable karatéka. Il faut au moins dix gaillards bien bâtis, qui n’ont pas peur de prendre un coup de sac sur le front, pour la coincer dans une impasse et la déshabiller en public.
Naturellement, cette histoire de décence ne nous concerne pas. Je veux dire, nous les hommes. Nous pouvons toujours faire du safari en short dans le pays de la grue couronnée, et nous balader topless sur la plage sans que le ciel nous tombe sur la tête. Les Jeunes peuvent toujours porter ce pantalon d’un goût douteux, qu’on appelle Baggy, dont le principe est d’étaler les fesses à l’air libre. C’est très laid, certes, mais le corps d’un homme est innocent par nature. Sauf quand il se prend pour une femme évidemment !
Le problème c’est la femme. C’est son corps dont la vision peut réveiller le diable qui sommeille en chacun de nous. Mais quitte à sexualiser le corps des femmes, Révérend Père, Honorables députés, pourquoi faire une fixation sur la minijupe ? Il est vrai qu’un beau galbe peut tourner les sangs d’un honnête homme, mais il n’y a pas que les jambes et les seins Révérend, regardez bien. Tout est troublant chez une femme. Les bras, les mains, la nuque, le lobe des oreilles, tout. Et ces yeux de biche qui brillent de mille flammes, qu’elles cerclent de mascara pour nous envoûter ? N’y a-t-il pas là matière à légiférer ? Allez-vous les laisser nous allumer du regard en toute impunité ? Et cette bouche gourmande, aux lèvres ourlées et pulpeuses Messieurs les députés ? Comment ne pas y penser une seule seconde devant une provocation aussi manifeste ? Ne faut-il pas mettre également ces jolis minois à l’abri des regards indiscrets ? Leur mettre un masque ? Ou une cagoule comme à Kaboul ? Aller au bout de la logique comme les Talibans, tout cacher. Car tout est beau, désirable, une simple mèche de cheveux peut incendier une ville. Tout couvrir de la tête aux pieds, les chausser jusqu’aux genoux, les ganter jusqu’à la garde comme à l’époque victorienne, ne rien laisser percer car la vision de la moindre parcelle de peau peut nous envoyer à la géhenne.
La loi fait bien de protéger les femmes de notre nature imprévisible. Il faut isoler les braises des matières inflammables. Nous avons de la nitroglycérine au cerveau et un bâton de dynamite en permanence sous tension. Ça peut péter à tout moment !
Aucun homme n’étant maître de sa personne, j’ai rôdé pour ma propre gouverne, un kit de survie en cas d’extrême tentation. Quand je sens que je ne peux plus me contenir, quand les boutons commencent à sauter, que je suis sur le point d’exploser à la vue d’une femme non couverte, je me jette sur le premier homme que croise mon regard et ne le lâche plus d’une semelle. Pendant un moment, je médite sur cet être fait d’épaules et de poings, qui gagne en prestige en grossissant du ventre. Ça calme. Du bel ouvrage, tout en articulations, très pratique pour abattre des arbres, creuser des trous, manier des armes à feu, avec ses mains préhensiles, taillées pour tenir, attraper, arracher, s’emparer, ramener tout à soi ! Ce Maître du monde, auto-proclamé Vicaire de Dieu sur la Terre, qui frappe une femme sur trois, qui viole une femme toutes les trente secondes, qui tue tous les jours 180 femmes à travers le monde.
Curieusement ce palmarès n’est pas mis à notre crédit. Notre corps émerge inerte et sans charge. C’est l’image de la femme qui interpelle. Dans toutes les sociétés, religieuses comme laïques, on se demande à quoi doit ressembler une femme dans l’espace public. Les débats sur la tenue vestimentaire de la femme passionnent les foules au nord comme au sud du globe. D’Honorables élus s’occupent, durant des semaines, à trier sa garde-robe. Les interdits et les fatwas tombent drus comme des pierres.
Mesdames, vous causez beaucoup de trouble à l’ordre public ! Voilées, vous faites hurler les Européens, vous portez atteinte à la dignité de la femme ! En tenue décontractée, vous faites hurler les Africains, les Orientaux,... vous portez atteinte à la dignité de la femme !
Ne cherchez pas à comprendre, la dignité de la femme est une vertu masculine. C’est peut-être même la seule. Les hommes n’ont pas de dignité singulière à défendre. C’est un concept qu’on ne trouve dans aucune langue, la dignité masculine. Si elle existe, elle se cache très bien. Personne ne l’a vue passer, on n’en a jamais entendu parler, aucune ligue de défense ne la protège. Dans un siècle de revendications, personne ne bat le pavé pour dire que le comportement de tel ou tel salaud notoire porte atteinte à l’image des hommes. Et pourtant des salauds bien barbus, il y en a de tous les poils, mais en tant que genre, on s’en bat les yeuk ! Le déshonneur d’un homme ce n’est pas son salaud de frère, c’est sa sœur qui couche !
En guise de dignité, nous avons des filles modernes et bien éduquées, des sœurs courageuses et vertueuses, des femmes respectables et fidèles et des mères saintes et sacrées ! C’est ainsi, vous n’avez pas le choix Mesdames, vous devez être parfaites car vous êtes notre unique vertu.
Si vous croyez qu’avec tant d’attentes placées en vous, nous allons vous laisser porter le tissu de votre choix, Mesdames, vous vous trompez depuis des siècles ! Vous êtes chacune à la fois et en même temps, la mère, la fille, la sœur et la femme de quelqu’un. Tous ces hommes attendent de vous des gestes précis et contradictoires. Tant que vous n’aurez cessé d’envoyer votre père, votre fils, votre frère et votre mari s’asseoir à votre place sur les bancs du Parlement, ils n’arrêteront pas de fouiller dans vos affaires et vous dicter une conduite. Quand donc arrêterez-vous de déléguer votre pouvoir aux hommes ? Et partant, cesser d’éduquer vos fils comme des divinités mâles !
En attendant, BONNE FÊTE LES FEMMES ! S’il nous arrive parfois d’être injustes, misogynes, paternalistes, violents voire inhumains, de nous comporter bestialement à votre égard, en brutes épaisses, de vous violer ou de vous assassiner, n’oubliez jamais, chères sœurs, que nous le faisons toujours par AMOUR !