Le petit Sébastien le savait, malgré les promesses faites à ses parents, ce premier trimestre avait été déplorable, hormis la géographie, une matière vers laquelle début décembre il porta quelque intérêt, ses notes étaient mauvaises. Aussi la punition tomberait, ses parents l’avaient averti : « Tu fais un effort et ton noël sera satisfaisant, sinon ! ». Les efforts sollicités n’ayant pas été accomplis son noël serait insatisfaisant... Malgré cette déduction, à l’instar de ses petits camarades il s’était attelé à sa lettre au père noël, à diverses reprises l’avait recommencée, puis, jugée achevée, soumise à sa mère, mais à la vue de ses moues et hochements de tête lors de sa lecture, vite comprit-il que cette missive à rallonge ne serait pas expédiée. D’autant plus qu’une fois déposée et consciencieusement aplanie sur la table, sans rire et les yeux dans les yeux celle-ci lui demanda s’il considérait que ses efforts avaient été à la hauteur de ses engagements, dans ce même temps où elle la déchirait tout en lui disant : « mon petit Sébastien je n’enverrai pas cette lettre truffée de fautes, preuve s’il en est que tes engagements n’ont pas été tenus. Tu savais à quoi t’en tenir, de notre côté avec ton père nous ne nous contrarierons pas, tu n’auras rien de ce que tu espérais, seul le strict minimum, par exemple une paire de bottes, car vu l’état des tiennes ! »...
Sébastien prit ombrage de ce refus, et alors qu’entre ses camarades une surenchère gonflait, chacun des morveux s’entourloupant par l’étalage de lettres illustrées pour ne pas dire ouvragées – un challenge réussi vu les regards admiratifs ou complaisants de ses copains – il décida de prendre les devants... Durant les nuits le rapprochant de celle dite sainte tant sur le plan religieux qu’économique, établit un plan devant lui permettre de pallier ce refus d’autant plus injustifiable que lors des précédents noëls ses souhaits avaient été, en partie seulement, satisfaits. De surcroît il avait changé de classe, et ce changement de catégorie eut dû rendre plus compréhensifs ses parents, n’avait-il pas besoin d’un trimestre d’adaptation, vraiment leur décision frisait l’inacceptable !... Ce plan consistait à une fugue en direction du grand nord, un pays enneigé peuplé de lapons et de rennes, où il savait y résider le père noël dépendant de ces animaux pour la traction de son traîneau ; une vague direction correspondant à cette route nationale traversant leur ville et conduisant à la capitale de la France, Paris, ainsi que d’autres successivement annotées : Périgueux, Limoges, Vierzon, etc., avant d’atteindre le septentrion... Tout à trac avait-il interrogé sa mère : « Maman les rennes vivent en ‘Rennanie’ n’est-ce pas ! » qui subodorant l’origine de cette question en riant lui avait ainsi répondu : « les pères noël aussi, puisque tu tiens à cette confirmation ! Mais, sache-le, et l’aide de ton dictionnaire te sera de quelque secours, cet arctique qui t’intéresse englobe le pôle nord et des milliers de kilomètres nous en séparent ! »... Ce chiffre lui parut volontairement gonflé, d’autant qu’un attelage de rennes et une seule nuit permettaient au père noël d’assurer sa longue tournée, et cet exploit relativisait cette distance incommensurable, aussi, avisé des difficultés qu’il rencontrerait décida-t-il de fourbir son bagage... Il n’oublierait pas les lainages, chaque jour sa mère le houspillait, l’obligeait à se protéger des frimas, dont il paraissait ne tenir aucun compte – exprès s’aguerrissait-il en prévision de sa fugue ? – « tu vas m’attraper un vilain rhume ou une grippe et tant pis pour toi si pour le réveillon tu te retrouves alité ! » – par l’intermédiaire de bonnets, moufles et bottes, celles usagées devant être remplacées en guise d’étrennes, bonjour le cadeau ! Dans son havresac les confiseries l’emportaient, n’avait-il pas entendu dire que les sucres lents étaient requis pour les efforts longs !...
Ainsi fait qu’à seulement quarante-huit heures de l’échéance, passant outre les réitérées mises en garde de ses parents concernant, sur le trajet menant de leur domicile à l’école, son abordage par des inconnus, des messieurs ou dames faussement bienveillants, par l’intermédiaire de cadeaux ou de promesses sinon par la force l’incitant à les suivre, au lieu de regagner son domicile Sébastien gagna le nord de la cité, d’où en bordure de la nationale il fit de l’auto-stop... Un automobiliste sympa s’arrêta à sa hauteur... bizarre, il ressemblait au médecin de famille il y a peu convoqué ! Quoique rassuré par le cartable de l’enfant, l’homme le questionna sur sa destination, sur le pourquoi de son isolement ? Des questions auxquelles Sébastien répondit avec aplomb, déclara devoir rejoindre ses parents l’ayant devancé dans la ville suivante où ils devaient y fêter noël... Néanmoins, inquiet de son insolite présence l’homme de l’art réitéra ses questions ; n’avait-il pas peur de voyager seul, de faire de mauvaises rencontres ? « Tu sais à ton âge, les enfants doivent se méfier... et avec cette nuit qui vient vas-tu savoir retrouver les tiens ! »... L’assurance de Sébastien parut rassurer le conducteur-médecin, qui ne se sentit vraiment libéré que lorsqu’il le déposa en centre ville... qu’il eut établi son diagnostic : une vilaine grippe !...
Ayant jusque-là bénéficié de la chaleur de l’habitacle Sébastien fut saisi par le froid, de surcroît les faisceaux des phares avaient repoussé ces ténèbres qui maintenant l’enveloppaient ; bien que mentalisé pour cette aventure, après un bref moment de découragement et de désorientation se reprit-il en suivant les panneaux indiquant la direction de Paris, puis à nouveau se planta aux abords de la chaussée avec l’espoir de s’y voir récupéré par un second automobiliste. Hélas, interrogatifs au sujet de cet enfant incompréhensiblement isolé, avec son pouce en l’air essayant de les interpeller, méfiants, après avoir décéléré les conducteurs accéléraient... Bientôt, frigorifié et mort de faim, ses insignifiantes réserves entamées, il regretta sa folle entreprise et penaud s’en retourna vers le centre de cette cité inconnue, dont les premières maisons avec leurs volets clos et le chiche éclairage public lui rendait difficile son identification. Commençait-il à regretter sa fugue, la chaleur d’un foyer, à s’interroger sur la panique de ses parents à cette heure alertés de sa disparition ; une fugue envisagée par le rappel de cette ‘Rennanie’ dont l’enfant quêtait l’existence, qu’ils mettraient sur le compte d’une punition qu’ils n’auraient pas tenue ; sur la mise en route de recherches, bientôt de l’apparition de gendarmes le retrouvant endormi sur un banc, alors qu’il espérait, sinon atteindre ce septentrion pour l’heure inatteignable, mais sur son trajet rencontrer le père noël et son attelage, qui bonhomme se serait arrêté, compréhensif l’aurait embarqué sur son traîneau ?... Un rai de lumière perceptible par l’interstice de volets lui redonna espoir, il jeta un œil au travers et repéra dans une cuisine, assise à sa table, une vieille femme dont l’aspect de sorcière le fit d’abord reculer avant qu’il se décide à frapper. Il s’y reprit à plusieurs fois avant que cette vieille personne, méfiante, n’entrebâille sa porte avant de vivement la refermer puis la rouvrir aussitôt, tant avait-elle été surprise par la présence de ce garçonnet en pleurs et proche de la défaillance, avant de l’inviter à pénétrer dans son domicile... Une masure qui s’avère sale et sent le pipi de chat, dont la propriétaire revêtue de haillons se révèle être un véritable épouvantail, de surcroît possède des ongles longs et crasseux, des cheveux mal soignés et un regard perçant capable de sonder l’âme du petit fugueur, à sa seule vue il fut pris de vomissements et de maux de tête... Mielleuse elle l’interrogea : « d’où viens-tu mon petit, je ne te connais pas... approche-toi, n’ai pas peur, je ne vais pas te manger, ça ne se passe que dans les contes ! Je vais t’aider à reprendre cette lettre judicieusement déchirée par ta maman, car criblée de fautes ! Sinon, comment veux-tu que le père noël prenne en compte un tel galimatias ! »... Sébastien reconnut son institutrice, et surprise, sur une table de nuit dont il jugea la présence incongrue, des flacons de médicaments et son carnet de notes, la plupart soulignées de rouge ! Rêve-t-il, ce qui lui paraissait une judicieuse réponse à l’inqualifiable décision de ses parents, une entreprise courageuse eu égard sa prise de risques, vient de se réduire à néant... Sébastien esquissa un mouvement de fuite, mais prompte l’enseignante lui bloqua la porte, puis le prenant par une oreille l’invita à rejoindre cet austère bureau monté sur une estrade dont elle occupe ce siège auprès duquel, une fois les classes terminées et les bons élèves égaillés à l’extérieur, elle y retient ces cancres du genre ‘Prévert’ qu’elle admoneste en les reprenant sur leurs devoirs plus fréquemment bâclés qu’incompris... Néanmoins, si amicale elle ne tança pas Sébastien, elle lui fit comprendre que cette fois il ne serait pas question de fautes de syntaxe ou de conjugaison, mais de cette fugue en définitive mal programmée, dont intérieurement il se désolait de la piteuse conclusion...
Maintenant autour de lui ça se bousculait, au travers des bribes d’un dialogue tenu par des voix connues, celles de sa mère et de son père, alarmées, il en repéra une s’en différenciant, plus posée et débitant des mots scientifiques : pneumonie, pleurésie, refroidissement... hospitalisation à prévoir si au-delà de quarante-huit heures la fièvre... « Ce serait dommage que Sébastien ne bénéficie pas de son noël quoique si l’urgence le requiert, ses cadeaux pourront lui être apportés... En attendant je renouvelle mes prescriptions et vous quitte, car avec cette épidémie de grippe ! »... Une fois le médecin en allé, la mère de Sébastien s’assit auprès de lui, et tout en lui essuyant son front brûlant de fièvre lui dit : « tu nous as fait peur, quelle idée t’a pris de te cacher et ainsi t’exposer à ce refroidissement, simuler une fugue afin de nous contrarier. Tu le savais, vilain garçon, que tes cadeaux se trouvaient dans notre cabane de jardin en attente du réveillon, il eut fallu qu’après les avoir déballés convenablement tu les réemballes, c’est tout un art mon enfant, et le mensonge aussi sache-le ! »...