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Palestine 2014 / Sept heures du matin 

lundi 1er septembre 2014, par Huda Abdelrahman al-Sadi

Pour répondre à quelque critique que d’aucun aurait pu faire (moi peut-être ?) elle a écrit en statut de son Facebook, le 20 août : « Celui qui condamne la résistance pour avoir lancé des missiles ressemble à celui qui condamne une femme violée pour avoir giflé son violeur. Les deux cherchent à récupérer leurs droits », et celle ou celui qui put l’entendre se le prit pour dit.

L’insolence libertaire de l’intrépidité palestinienne donne une leçon existentielle sans embarras idéologique, c’est aussi la beauté et la fierté de la jeune fille aigüe et séduisante, que ceux qui l’ont côtoyée, ne serait-ce que dans les chats et les publications, ont la chance d’avoir ressenties.

Un jour avant : « Et la guerre reprend son cours et je ne sais plus quand, où et comment je meurs » (pas de point après je meurs, forcément, donc je n’en mettrai pas davantage ici)

Aujourd’hui Huda Abdelrahman s’exprime joyeusement et avec impatience. Mais il est vrai qu’hier, contrainte à la patience par les bombardements inéluctables, à juste titre elle en voulait parfois au monde entier, impassible, de la paralyser — retour en arrière : Gaza, le 18 juillet (pas davantage de point final et le mien s’en tiendra à conclure ma présentation ici). (L. D.)

À l’école de Gaza (août-septembre 2014)
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Source La Libre.be (sans titre et sans mention de copyright)


Le 18 juillet

Sept heures du matin


Cette nuit là, j’étais allongée sur mon lit en regardant les étoiles scintillant par la fenêtre. En fait j’étais obligée de comparer entre les vraies étoiles, celles qui ornent et illuminent le ciel, et l‘autre, qui éclaire le ciel d’un jaune qui t’attire jusqu’au balcon puis te rejette brusquement au fond de ta chambre en même temps que tu entends la voix assourdissante de la bombe qui suit, et cette dernière s’appelle « avion non étoile ».
Puis l’orchestre israélien commence sa fête partout dans la Bande : les canonnières au nord, à l’est et à l’ouest, les chars installés au sud et finalement les avions couvrant le ciel.
Normalement, je passais la nuit en comptant les bombes qui tombaient l’une après l’autre ; un peu plus tard, j’ai trouvé un autre moyen de passer la nuit : et pourquoi pas ne comparer entre les bombes d’avion et celles des chars et des canonnières ?!
En fait, je m’en suis sortie par une nouvelle découverte, la suivante : l’avion bombarde en général le même lieu une ou deux fois puis il part pour une autre cible, tandis que les deux derniers, « chars et canonnières », adoptent un autre système : lancer cinq bombes presque chaque 90 secondes Un.. deux.. trois.. quatre.. Cinq et on y va.
Les instruments de l’orchestre se partagent un point commun, celui d’offrir aux spectateurs le plus possible d’amusement par la musique, mais si l’orchestre israélien vise toujours la distinction en offrant à ses spectateurs le maximum de destruction dans sa musique criarde, pourtant, souvent après l’avoir entendue il faut encore voir la fumée noire monter au ciel, portant les souvenirs de la famille bombardée mélangés avec le sang des martyres qui s’éparpillent sur toute la ville, afin que la Bande de Gaza tout entière partage avec elle les mêmes nuages de peines.
Vous savez — en pensant, cette nuit là — j’ai trouvé qu’il ne fallait pas blâmer les pays arabes ou européens pour leur silence, non, non au contraire, je trouve qu’ils ont le droit de rester muets.
Pourquoi intervenir dans les affaires des autres ?!
S’ils intervenaient, ils perdraient la bénédiction israélo-américaine et ça menacerait la paix du monde !! Pour cela ils ont choisi la route la plus facile, de regarder de loin, en dénonçant parfois les crimes israéliens — mais attention : ils le font « POLIMENT ».
Ils suivent le principe suivant : plus on est muet, plus on est protégé.
Les pauvres, ils ne savent pas que le silence tue et ils nous poussent jusqu’à la soumission, ils ne savent non plus qu’on préfère résister et mourir brûlés, hachés et déchirés, plutôt que vivre sans dignité comme des marionnettes.
Contrairement à ces faibles, bien que je ne tolère plus la situation de « destruction successive, mort des innocents », ce n’est pas par peur, mais ce sentiment d’être paralysée, devant tout ce qui se passe, me tue. Voulant absolument m’éloigner de toute publication sur FB concernant la guerre, j’avais désactivé mon compte. Mais HÉLAS, la réalité me poursuit partout, d’où que j’aie maintenant décidé de désactiver mon cerveau et lui faire un SOFTWARE, pour le débarrasser de tous les mauvais souvenirs du cours des 21 ans que j’ai vécus, en espérant qu’après une guerre je commence ma vie par une feuille blanche…
A la fin de cette nuit, et après avoir vu et entendu tout ce que vous ne voulez pas entendre ou voir : je me suis endormie à sept heures du matin en même temps que les rayons du soleil claquaient sur mes paupières pour accueillir le nouveau jour, et les oiseaux chantaient la mélodie d’amour de chaque jour.
Douce nuit pour vous, — espérant que cette nuit ne sera pas comme cette nuit là, même s’il me semble le contraire


H. A.



© Bushra Shanan (Hébron) : Incrustation photo/graphique (recadrage)
Durant les bombardements de Bordure Protectrice. Source Sud Ouest


P.-S.

En logo, le portrait désormais célèbre de Huda Abdelrahman (car il orne ses publications de guerre et les références de l’atelier de théâtre de Mohamed Kacimi à l’Institut culturel français de Gaza, au printemps dernier), sous les traits de Camille, dans la pièce d’Alfred de Musset : On ne badine pas avec l’amour.

- Il est possible de lire d’autres récits témoignant de la plume mansfieldienne de Huda Abdelrahman, dans le blog Mediapart de Elisabeth Chaudanson :

Entre l’amour et la guerre (25 août 2014).

J’ai appris sous les bombes qu’il ne faut jamais céder à la peur (6 août 2014).
Une nuit à Gaza sous les bombes (18 juillet 2014).

D’ailleurs, on ne peut que recommander l’ensemble des textes palestiniens et amis concernés, publiés par Elisabeth Chaudanson dans son blog personnel sur Mediapart, depuis plus de trois mois.

- Huda (Abdelrahman) al-Sadi — interview via skype par Murielle Paradon sur RFI : Avoir 20 ans à Gaza, sous les bombes (18 août 2014).

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