PHOTO DE BENJAMIN CASCHERA © JULIEN BOURGEOIS
Guy Darol : Vous êtes l’attaché de presse d’Almost Musique, à la fois label et agence de promotion indépendante. Lorsque vous regardez dans le rétroviseur, quel parcours avez-vous suivi ?
Benjamin Caschera : J’ai d’abord fait quelques études, un master d’histoire contemporaine, à l’Université Lyon 3 – Jean Moulin. J’ai ensuite décidé de venir à Paris, pour tenter d’évoluer dans un milieu raccord aux choses qui me font vibrer – j’aime beaucoup l’histoire, aussi. J’ai eu quelques opportunités de stage dans la musique et le disque, et dans le journalisme. La musique est venue d’abord, mais ça n’était pas forcément ma priorité. J’ai donc fait un stage d’assistant attaché de presse pour un distributeur indépendant de disque, Chronowax, que je ne savais pas alors en fin de vie, sans trop savoir ce qu’était le métier d’attaché de presse dans le disque ou ailleurs. Très vite avec les difficultés financières de la structure, j’ai eu beaucoup de responsabilités. Quand Chronowax a fermé, en septembre 2005, les salariés ont monté une nouvelle structure de distribution, Differ-ant. J’y ai d’abord été responsable de la promotion, en stage, puis ai été embauché à durée limitée puis illimitée. Le 1er avril 2009, j’ai quitté cet emploi pour monter Almost Musique, en m’associant avec un semblable (diplômé de l’enseignement supérieur lui aussi, qui a commencé son stage chez Chronowax un mois avant moi et qui a connu exactement la même évolution au sein de Differ-ant). Chez Chronowax puis chez Differ-ant, j’ai appris mon métier et développé sensiblement ma culture musicale.
Guy Darol : Qu’est-ce qui a motivé la création d’Almost Musique et ceci dans un contexte où l’industrie du disque ne semble guère vaillante ?
Benjamin Caschera : L’idée de base, c’était d’appliquer nos savoir-faire et nos expertises acquises avec notre expérience dans le disque – la promotion pour moi, la musique à l’image (placement de musiques déjà existantes sur des films de cinéma, publicité, jeux vidéo ou émission de télévision) – dans notre propre structure avec les artistes et labels avec qui on voulait travailler. L’idée était aussi d’aller chercher des groupes et labels non distribués en France, et donc quasi-inconnus. Et de les rendre humblement un peu moins inconnus, notamment en permettant de les distribuer, grâce à notre réseau, en proposant de devenir leur représentant pour la France, voire pour d’autres territoires (pour le groupe islandais Hjaltalin, par exemple, nous avons sorti leur dernier album en France, au Benelux, en Italie, Espagne et Portugal, permettant ainsi au groupe de développer de nouveaux marchés, et de venir en concert pour les premières fois sur ces territoires). On est donc devenu très vite une sorte de société adaptable aux besoins de chacun des groupes/labels avec qui on voulait travailler. L’idée de monter un label, encore plus humble, est venue après, essentiellement pour les cas les plus désespérés (les moins solvables, donc). Par passion, mais aussi pour la vibration. Pour le moment, tout cette affaire semble viable, probablement parce que nous sommes clairement dans un marché de niche, marginal, avec des disques qui grandissent grâce au bouche à oreille plutôt qu’à un budget marketing assommant.
Guy Darol : Le tout jeune catalogue d’Almost Musique laisse deviner une certaine pluralité dans le choix des styles. On y trouve Sun Ra et Ane Brun, The Daredevil Christopher Wright et Nina Kinert. Quel est le lien, s’il y en a un ?
Benjamin Cascheraa : Aux débuts d’Almost Musique, on avait la prétention d’être « un vecteur du bon » en musique, quel que soit le style. En fait, on se contente basiquement de travailler avec des groupes qu’on aime. Du coup, ça va de la pop suédoise féminine d’Ane Brun ou Nina Kinert à l’indie rock américain, en passant par l’éclectisme avant-gardiste du label néerlandais Kindred Spirits (rééditions du catalogue de Sun Ra en vinyle, les albums du collectif cosmic jazz de Los Angeles Build An Ark, l’ethio-jazz funky des Allemands Woima Collective, etc.) en passant par l’electro, le dubstep de Mount Kimbie et le hip-hop-jazz d’Iswhat !
Pour le catalogue du label, nous avons quatre groupes, et je ne vois a priori rien de commun entre la pop jazzy des Suédois de Thus:Owls, l’indie rock déglingué des barbus du Wisconsin The Daredevil Christopher Wright, la pop garage et sixties des Canadiens Shimmering Stars et le folk francophone et intriguant des Parisiens Arlt, si ce n’est qu’un jeune label indépendant parisien a décidé de sortir leur premier album. C’est assez excitant, en fait, de sortir des disques d’artistes qui n’ont comme dénominateur commun que ce label.
Guy Darol : Comment se passe l’approche ? Etes-vous contactés par des artistes ou le label est-il l’explorateur qui fait venir à lui des talents ?
Benjamin Caschera : C’est un équilibre entre le démarchage brut, l’activation du réseau, les recommandations d’amis et partenaires commerciaux, et la recherche souvent vaine sur tous les blogs spécialisés de l’univers. Et puis il y a la chance, l’opportunisme, le bon email au bon moment. Tout ça fait qu’on réussit quelques coups, et qu’on en rate quelques autres. Ca s’en va et ça revient, en somme.
Guy Darol : Vous arrive-t-il de recevoir des projets ficelés qu’il ne vous reste plus qu’à promouvoir ?
Benjamin Caschera : Oui, dans l’immense majorité des cas. Les groupes ou labels n’ont pas besoin de nous pour enregistrer ou produire un disque, même s’il nous arrive, lorsqu’on est très en amont, d’y contribuer. Mais on intervient essentiellement une fois le produit terminé, pour réfléchir à la sortie du disque, sa commercialisation, le coordonner avec une tournée, définir les territoires à cibler, travailler sur la promotion, considérer les opportunités de synchronisation, placer un titre dans la bande-originale d’un film ou sur une publicité.
Guy Darol : Comment s’est décidée la prise en charge de « La Langue », l’album du duo Arlt qui dégage tant de sympathies ?
Benjamin Caschera : Belle histoire, je crois. Je connaissais de loin Sing Sing, puisque son EP solo était sorti chez Minimum, un label distribué par mon ancien employeur, et que nous partageons une chose que je ne peux pas révéler ici. J’aimais bien. J’ai ensuite croisé le groupe en concert, en première partie d’I Am Kloot, un groupe de Manchester humble et presque culte à une époque. J’avais peu apprécié le concert d’Arlt. Quelques mois plus tard, alors qu’Almost Musique n’a que quelques semaines d’existence, lors d’une soirée hautement mondaine, on m’introduit auprès d’Eloïse, puis de Sing Sing. Ils me racontent leurs monts et merveilles, et leurs recherches de label, entre autres. J’ai droit à un CDR, la première version de « La Langue », longue - 14 titres contre 11 actuellement - et vaguement usante. Le tracklisting d’alors fait mal à la tête. Quelques écoutes intriguées - « Revoir la mer », déjà - puis rien. Plusieurs mois plus tard, on me reparle d’Arlt, je m’y intéresse de nouveau, mais je ne retrouve pas le disque. J’écris donc à Sing Sing qui me dit qu’ils sont en joie, qu’ils reviennent d’une tournée aux USA, qu’ils ont décidé de presser eux-mêmes leur album, en autoproduction, une version raccourcie et éclaircie – lumineuse ? - de « La Langue » et me le renvoie. Je réécoute, et je redécouvre, heureux, et je tombe amoureux. J’en parle de nouveau à mon associé. En trois jours, on a décidé de travailler avec eux. D’abord uniquement pour la promotion, puis, allez, en tant que label, pour simplifier les choses, et puis mince quoi, c’est un si chouette projet.
Guy Darol : Pop et jazz semblent des mots qui vont très bien ensemble. N’est-ce pas la combinaison d’Almost Musique ?
Benjamin Caschera : Je n’y avais jamais songé, mais c’est un agréable raccourci. Il vient probablement de la diversité de nos attractions musicales personnelles. Pas d’un concept conscient et réfléchi, pour sûr.
Guy Darol : Y a-t-il une réception de l’un de vos albums qui ne semble pas correspondre aux espoirs que vous y avez mis ?
Benjamin Caschera : C’est arrivé très souvent, ça arrivera encore, on ne vend pas des pneus, les mathématiques n’ont pas grand chose à voir ici-bas. Et les impondérables, positifs ou négatifs sont, par définition, imprévisibles. Quand ça ne marche pas, on est déçu, on réfléchit aux causes, tout ça. Quand ça marche, on est heureux. Et fier.
Guy Darol : Annonceriez-vous de belles surprises pour les mois à venir ?
Benjamin Caschera : On prépare un 45 tours qui « n’est pas une pipe » d’Arlt, leur première sortie en format vinyle. « La Langue » va aussi sortir au Japon. Le premier album des Canadiens de Shimmering Stars nous excite beaucoup. Nous sommes en contact avec quelques labels relativement importants aux USA pour le sortir en Amérique du Nord. Et en Australie.
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