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Homeless Story 

jeudi 29 juillet 2010, par FP Mény (Date de rédaction antérieure : 6 mars 2009).

Tu parles d’une baraque !

— Je suis sûr que j’ai une putain d’araignée qui m’est rentrée dans le cul pendant que je dormais. C’est vraiment la maison du bon dieu mais tu peux toujours chercher les coccinelles.

— Tu crois qu’elle a pris son ticket d’octroi, rien du tout, en fraude je parie qu’elle est passée, je me demande si j’ai pas un abcès.
Mémé maintient l’ordre vaille que vaille quand elle est pas trop bourrée dans son boubou informe qui doit bien lui valoir une dysenterie. Quand elle prend l’autobus, les passagers de concert s’organisent sous couvert de politesse, les bonnes gens, miteuse mais fière, peu avare de son corps, elle occupe allègrement deux sièges.
Prévenus, les contrôleurs évitent les bus du mercredi matin, jour de marché. Elle peine dur avec son cabas et moi je suis pas un rejeton agréable, je prends mon air dégoûté des jours de marché, mon air encore plus dégoûté des jours de marché pluvieux avec un parapluie, je fais quoi moi si je vois la fille du médecin, j’ai l’air de quoi, c’est que je suis encore un petit con, j’ai commencé à me branler très tôt, j’ai cru que j’allais monter sur les tréteaux, j’ai tout de suite compris la vaste plaisanterie de cette cour des miracles universelle, on met du temps à être fini, à aller vers sa concrétisation, quand on a vingt ans, on se voit bien pas dépasser la trentaine, quand on a dépassé la trentaine, on voit bien qu’on a rien foutu, on commence à réfléchir que César et Vercingétorix, on les croise pas sur le marché quand on achète des carottes, pourquoi pas une laitue.

— Enfin, j’ai pas de quoi être fier, même pas j’ai le permis pour l’emmener, prendre le 297 c’est pas la joie.

— Je vais quand même pas afficher que j’aime ma grand-mère, tu vois la honte, même si elle a des cheveux gris remarquables, diamant, et que c’est la seule dont j’arrive pas à soutenir le regard bleu gris, je confonds les déclarations d’amour avec les déclarations de guerre. J’ai pas encore mis de l’eau dans mon vin, de toute façon c’est quand je serai entièrement perméable et qu’elle sera morte, que je ferai la manche sur le marché, que je verrai à quel point je suis un tocard.

Les volées de bois vert n’attendent pas l’heure de la prière, des reproches acérés qui transpercent de part en part jusqu’à ce que le jour se lève.

— Adoubée, elle manie l’épée avec élégance bien qu’elle soit un peu lourde, l’épée, pas la grand-mère, la grand-mère aussi, c’est sûr, mais l’épée si tu veux elle est à moitié en fer forgé, j’y connais rien mais elle est lourde, ça c’est sûr.
Chaque nuit, preuse chevalière, après les bouteilles de Côtes du Rhône enquillées, elle descend l’escalier, le manche en acier bien tendu vers la pointe. Elle ouvre la lucarne lorsqu’elle en a fini avec la télé et d’un mouvement circulaire elle pointe l’espace de son inconscient paranoïaque.

— C’est un blanc et un noir, ils sont encore venus la nuit dernière !

— Mais oui mémé, on va la boire, la tisane, t’en fais pas.

— Tu me fais encore passer pour une folle !

— Mais non mémé, je me permettrais pas.
En revanche, son médecin mérite des claques parce qu’elle mélange les hypnotiques et l’alcool, et ça fait pas bon ménage. Tu me diras, il y peut rien hormis normalement sa déontologie parce qu’elle va le voir justement en se croyant à la Samaritaine, peut-être ça lui rappelle des souvenirs, quand elle était à Paris avant la crise du logement, bon, son médecin, il est en banlieue et vaut mieux qu’il assure les ordonnances sinon elle change de crèmerie, elle calcule le niveau du médecin à la longueur de l’ordonnance, plus c’est long, plus c’est bon, mais oui mémé, ça fait bizarre de communiquer avec les morts.

— Je te dis pas comme elle hallucine grave, franchement elle pourrait aller en teknival tellement elle est défoncée, je suis sûr qu’elle serait pas dépaysée, elle essayerait des nouveaux produits, mémé sous Kétamine, et elle passerait très bien, ce serait une icône, ça manque de vieux en teknival, d’ailleurs ils sont où les vieux, on les voit jamais, ils sont pas tous morts.

— Ils sont encore venus, c’est un blanc et un noir !
En ouvrant la lucarne, elle s’ouvre les portes de l’asile comme d’autres s’ouvrent les veines, mais elle, elle a pas de veine, elle le dit assez, c’est son chemin de croix, une vraie martyre, d’ailleurs elle m’oblige à faire la prière alors que j’y connais rien, je sais même pas d’où ça sort cette histoire, par contre le sang, je sais d’où ça sort parce que forcément elle se pète la gueule dans l’escalier, tu parles dans son état, c’est pas raisonnable, et vas-y que j’ai l’air con quand elle a des bleus partout et qu’elle va répétant à qui veut l’entendre que je lui fais peur, les boules.

Au début, les gonzesses, je leur raconte tout, je te dis pas comment elles flippent.

— Et vas-y que je me ramasse dans l’escalier, le SAMU rapplique et l’emmène à Longjumeau, ça fait de l’animation dans ce quartier pavillonnaire à la con où Damien un jour sur deux ramène un vélo qui marche pas, il doit croire que c’est déjà un cimetière, vas-y, attends un peu, on va se connaître pendant tellement d’années, c’est beau l’amitié, ça va en roue libre, bah nous, depuis le début le cadre est pété.

— Et l’arcade sourcilière de mémé aussi, encore une fois, si je devais y croire à tes putains de prières, ça fonctionnerait peut-être mieux, non ?
Pourquoi c’est les pauvres et désargentés qu’ont toutes les galères qui croient en Dieu, faudra qu’on m’explique, les mecs, ils sont à Lima, ils ont pas l’eau, ils prient, les autres, de l’autre côté de la colline, ils se baignent dans leur piscine et va prier dans l’eau, toi, remarque c’est ainsi sans doute qu’on flotte dans la félicité.

— Traumatisme crânien.

— T’es vraiment un petit-fils indigne, moi et mon traumatisme crânien, quelle guigne, heureusement que j’ai Coquette, elle est pas comme toi, elle.

— Tu verrais la gueule de Coquette, dans le genre bâtard, on fait pas mieux. Ils se sont bien trouvés, ces deux-là.

— C’est sûr qu’on a pas la même gueule, non que je sois beau mais enfin, j’ose à peine dire que c’est un clébard, Coquette, tellement elle ressemble à rien, même avec une serviette à table et son rond de rangement à son nom, c’est à peine si c’est pas elle qui choisit les programmes, pas jusque là mais presque, en tout cas, ça se passe en concertation.

— Tu voulais voir quoi la Coquette, ce soir, ça te plairait de voir le Foucault ?
Jusqu’à la fin, elle brosse ses cheveux de sel avec soin, les femmes restent coquettes et se voient mourir dans le miroir. Coquette, le nom du chien, un bâtard sans grâce d’aucune sorte qui n’apporte rien et ne sait pas rapporter, une intelligence de volaille, il attend juste sa pitance et de regarder la télévision. Je crois qu’il en a rien à battre de mémé. Il mange son onglet avec ses dents dégueulasses et puis voilà.

— Dès que je peux, je lui fous des coups de lattes, c’est pas de la jalousie, tu parles, on peut pas être jaloux d’un truc pareil, juste une espèce de soulagement, comme j’ai rien à foutre dans la vie, ça me rassure, vous avez remarqué quand on est pas content de soi comme on aime s’en prendre aux plus faibles, ça soulage, c’est la nature humaine, on t’a battu quand t’étais petit, tu te venges, ta meuf t’a trompé comme un salaud, tu vas leur en faire baver, et toutes ces meufs qui font un môme parce qu’elles s’emmerdent et qu’elles ont pas trouvé leur voie.

— Coquette, un jour, on sait pas ce qui lui a pris, un sursaut d’orgueil sans doute, elle a fait une fugue, la gueule de mémé je te dis pas, plus aucun goût à la vie, c’est qu’on s’attache n’est-ce pas, on leur parle et tout.

— Le chien avait dû découvrir qu’il lui restait un neurone, à force de voir des émissions culturelles.

— Il est jamais revenu, la laissant moribonde creuser le jardin à sa recherche.

— Après, elle est partie dans un délire mystique, elle croyait que Coquette était la réincarnation d’un clébard super célèbre.
Elle passait des heures à bêcher la terre en souvenir, peut-être elle croyait que c’est moi qui l’avais assassiné. Je suis pas un assassin.

— Notre père qui êtes aux cieux, à force de le provoquer tu parles, fallait bien qu’il se passe quelque chose, la pire tuile, faites que mon père revienne et qui c’est qu’arrive avec son bâton de pèlerin, non point de Jérusalem mais d’Amsterdam, interdit de séjour évidemment, mon père.

— Que votre règne arrive, t’as raison, non mais c’est quoi cet accoutrement, un short en velours et pis quoi encore.

— C’est donc lui le portrait en premier communiant sous lequel je fais ma prière comme si j’étais un gland sous le chêne, bah putain, la ressemblance est pas frappante.

— Ensuite, il était soldat en Algérie, y’a pas de balles perdues là-bas.
C’est un illustre inconnu pas encore enterré. Pas le parrain de Coppola mais presque. Il roulait en Rolls à travers l’Italie, traversait le Rhin à la nage, on l’aurait localisé en Chine, à l’aéroport de Bangkok il faisait le passeur.

— Pis le v’là avec son bâton de pèlerin qui s’installe directement comme s’il était chez lui. Du jour au lendemain je suis plus héritier, mais je le connais pas moi ce mec.

— Il s’est fait braquer sa guitare par des Surinamiens, tu vois le genre, alors qu’il comptait finir ses jours en Inde, résultat : chez mémé.

— Bon dieu, les jours rallongent.
Du jour au lendemain, j’ai plus de place. Une loque aux commandes dans un opéra bouffe aux faux airs de mariachis. Une nuit, il me réveille et me propose un gros coup qu’on peut faire en un seul jour, le jour de la fête du travail, ça tombe bien, vu qu’on a jamais bossé ni les uns ni les autres, quinze ans plus tard je peux encore en dire autant, on a ça dans les gènes.

— On va vendre du muguet qui pousse dans le jardin de mémé.

— Vendre du muguet qui pousse sauvagement dans le jardin ! Voilà donc le gros bonnet de la pègre, il aurait tenu dans le soutien-gorge de sa mère, faut couper le cordon, l’éducation aux Baumettes laisse à désirer.

P.-S.

Extrait de Homeless Story, Editions Sulliver, 2009.
Avec l’aimable autorisation des éditions Sulliver
www.sulliver.com

5 Messages

  • Homeless Story 8 mars 2009 13:21, par Aliette

    Merci pour cette citation du second ouvrage de FP Meny paru aux éditions Sulliver, à titre posthume en janvier 2009. Quelle tristesse d’avoir perdu FP Meny, d’abord connu contre la Hype parisienne des journalistes culturels et de l’art contemporain dont il fit partie à la marge, que sous son pseudonyme efpé il vilipendait sur le ouaibe. Mais il ne fallait pas être malin pour resentir que sa plume fut saisissante, et que d’autre part il édifiait une oeuvre personnelle, qui soutenait ce flot de colère. Cette voix une pour tous, forcément un jour ou l’autre allait faire connaître son soufle, abstrait d’aujourd’hui, au-delà des Clochards célestes et de Brautigan. Car un jour, refusant tous les compromis éditoriaux qui auraient pu lui permettre de se nourrir, il partit par monts et par vaux, armé de son Moutain-bike sous le soleil du sud, et dormant à la belle étoile ou dans les foyers de SDF s’il en trouvait en route, selon le temps, parfois reprenant pied en envoyant d’on ne sait quelle connexion aléatoire une rare newsletter à son ancienne liste d’amateurs fidèles, dans laquelle il commençait à diffuser son oeuvre. Frédéric Pontonnier-Meny, juste après une violente altercation dans une manifestation littéraire locale, dit-on, s’étant enfui seul dans la campagne sous un terrible orage, fut retrouvé mort dans une grange, en juin 2008, alors que son premier ouvrage édité, au titre transparent "Conquête du désastre", venait enfin de pouvoir faire l’objet d’un accord entre lui et un éditeur (car il n’en manqua pas pour s’intéresser à l’oeuvre de FP Meny mais en vain) pour paraître loyalement, chez Sulliver... quand il reste tant et tant d’écrits de ce cher auteur à éditer typographiquement pour lui faire dire au public toute son importance passionnante, et le faire émarger à la Bibliothèque nationale comme une des grandes voix transgenre du changement des Lettres françaises, parmi les auteurs francophones des générations devenues adultes au carrefour du millénaire moderne et du millénaire au-delà de la post-modernité. Ce sont de superbes pièces et/ou chants de révolte, au retour parfois hilarant à pleurer d’on ne sait plus quelle raison, certainement tragique liée à la dérision de nos vies désirantes, sur les épisodes de ses amours aux extrêmes de leur génération, et de ses camaraderies titanesques ou orphelines, en quête d’intensité matérialiste et d’absolu sublimé — l’absolu.

    Son site toujours maintenu en ligne par son ami graphiste :
    http://efpe.free.fr/

    Voir en ligne : Conquête du désatre

    • Homeless Story 2 août 2009 09:57, par Aliette G. Certhoux

      Merci pour ce rappel...

      Voir en ligne : Merci

      • Homeless Story 26 avril 2010 09:41

        quand il reste tant et tant d’écrits de ce cher auteur à éditer typographiquement pour lui faire dire au public toute son importance passionnante, et le faire émarger à la Bibliothèque nationale comme une des grandes voix transgenre du changement des Lettres françaises, parmi les auteurs francophones des générations devenues adultes au carrefour du millénaire moderne et du millénaire au-delà de la post-modernité. Ce sont de superbes pièces et/ou chants de révolte, au retour parfois hilarant à pleurer d’on ne sait plus quelle raison, certainement tragique liée à la dérision de nos vies désirantes, sur les épisodes de ses amours aux extrêmes de leur génération, et de ses camaraderies titanesques ou orphelines, en quête d’intensité matérialiste et d’absolu sublimé — l’absolu.

        Voir en ligne : esoftlib

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