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Il y aura sûrement  

jeudi 2 septembre 2010, par Andrea di Consoli , Olivier Favier

I

Il y aura sûrement demain matin

Un garçon de seize ans

Dans un minuscule village de l’Italie du sud

Qui prendra le car bleu pour aller à l’école

Et ne descendra pas devant l’école verte

Mais continuera tout droit vers la mer.

II

Nous nous cachions dans la petite salle blanche d’un bar

Nous passions la matinée entière à jouer aux cartes

Certains s’acharnaient sur le flipper

D’autres lisaient la Gazzetta dello sport.

III

Ma génération n’a pas été révolutionnaire

Ceux qui sont nés comme moi au milieu des années

soixante-dix

N’ont rien fait

Personne ne se souviendra d’eux

Nous, nous ne pourrons jamais dire « à notre époque »

Parce qu’à notre époque nous restions des journées entières au bar

Et pourtant certains rêves nous les avions

Mais si je dois être sincère je n’en suis pas sûr.

IV

Quand le car bleu demain matin

S’approchera tout près de l’école verte

Ce garçon de seize ans

Qui vit d’atroces mélancolies

Se tassera comme un fuyard parmi les sièges

Et ne se fera voir de personne.

V

C’étaient des matinées blanches

D’un minuscule village du sud

Certains fumaient trop de cigarettes

D’autres mangeaient trop de frites.

VI

Mais en y repensant j’avais bien quelques rêves

Et je crois que nous en avions tous

Même si nous n’allions jamais à l’école

Et que nous passions nos journées à ne rien faire.

VII

Mais quels étaient ces rêves ?

Je me souviens que j’en avais

Mais quels étaient ces rêves ?

VIII

Demain matin à huit heures et quart

Un garçon qui a trop peu dormi

Et qui n’a pas étudié

Ira seul dans un pays lointain

En supportant les virages de la départementale

Et il aura des pensées profondes

Et il sentira sur lui tout le poids du temps

Parce que le monde ne lui plaît pas

Et qu’il ne supporte pas la condamnation à mort du genre humain

IX

Les filles non plus n’allaient pas à l’école

Mais elles étaient plus tristes

Parce que les autres filles

Celles qui allaient à l’école en revanche

Les faisaient se sentir marginales.

X

Voilà pourquoi je doute qu’un de ces matins-là

En n’allant pas à l’école

Certains aient jamais réussi à en déshabiller une.

XI

Se sentir marginal dans un petit village du sud

Où les parents travaillent dès cinq heures du matin

Et s’achètent une paire de chaussures par an.

XII

Ce garçon demain matin

En n’allant pas à l’école

Se sentira terriblement coupable

Cette nuit pourtant j’éprouve une étrange sensation.

XIII

Ce garçon se cachera entre les sièges

Et il verra ses camarades entrer

Les images de son père qui travaille lui viendront à l’esprit

Pourtant sans ce garçon le monde serait différent.

XIV

Si tu lui demandes quels rêves il a

Il ne sait pas quoi te dire

Il reste silencieux avec le visage rouge.

XV

Pourtant cette nuit j’ai éprouvé quelque chose

Et je sens que sans ce garçon le monde serait différent

Comme il aurait été différent

Si ce n’avait pas été nous du milieu des années soixante-dix.

XVI

Nous sommes restés au bar pendant des jours entiers

Avec le poids du temps et de la faute

Avec un terrible désir d’embrasser le monde

Au cas où il se serait présenté.

XVII

Maintenant j’ai compris

Ce garçon est tout simplement prêt.

XVIII

Nous aussi nous étions prêts

Pourtant nous n’avons jamais imprimé un tract

Contre le capitalisme.

XIX

Nous étions prêts

Pour une chose ou une autre.

XX

Une chose ou une autre.

XXI

On ne sait pas ce que c’est que cette chose

Mais chacun sent qu’elle existe

XXII

L’important c’est d’être prêts.

XXIII

Dans un point ou un autre de l’espace et du temps.

XXIV

L’important c’est d’être prêts.

P.-S.

Poème extrait de Andrea di Consoli, Discoteca, Edizioni Palomar, Bari, 2004.

Traduction Olivier Favier

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