Texte traduit par Juliette Gheerbrant.
Moi je suis comme vous, on est pareils. Je suis comme vous. Par exemple, vous allez me dire : non ! moi je suis de droite (pour dire) ! Eh bien tout juste, tout juste, moi je suis comme vous, moi aussi je suis de droite ! C’est que de son temps à lui, les trains arrivaient à l’heure ! Et puis on a une bonne blague « bah, il aurait pu être chef de gare ! » Tsss ça veut rien dire, c’est peut-être une blague, n’empêche que les trains arrivaient vraiment à l’heure. Moi je suis comme vous, on est pareils !
Et alors là, vous allez me dire : non ! moi je suis de gauche ! Et ben voilà, voilà, je suis comme vous ! je suis de gauche. Parce que moi, hein, le 25 avril, les médailles accrochées aux drapeaux, les drapeaux rouges, la résistance, tout ça… Eh oui ! Moi je suis comme vous ! On est pareils, tous de la même race, il n’y en a qu’une, la race humaine. Et alors là en fait, vous allez me dire : non ! c’est pas vrai qu’on est tous de la même race, qu’il n’y en a qu’une, la race humaine ! hein, et vous allez me dire qu’en fait vous êtes raciste. Oui, voilà, voilà ! moi je suis comme vous, on est pareils. Moi aussi je suis raciste. Tenez, par exemple : je sais dire le mot “Ku Klux Klan”. C’est pas le cas de tout le monde… Kou Kloux Klan ! Moi je le dis bien. Il y en a qui disent Kouss Kouss Klan par exemple ! C’est quoi ça ? un plat marocain ? Parce que vous savez, le Ku Klux Klan, c’étaient des gens bien, des gens qui brûlaient les noirs, ils brûlaient les noirs, et vous savez pourquoi ? Parce que le noir pue. Le noir pue toujours, même quand il se lave. Même quand il est mort il pue. Il pue le brûlé ! ah ah ah ! Moi je suis comme vous, allez ! On est pareils, je suis comme vous, moi ! Et alors là en fait, vous allez me dire que vous êtes pédophile, oui, pédophile. Et ben voilà, voilà ! je suis comme vous, moi aussi... moi aussi je suis pédophile, comme vous, parce que dites-moi, qui n’aime pas ça, la chair fraîche, hein ? Allez… Qu’est-ce que vous croyez ? que j’aime les vieilles édentées qui bavent ? Allez, moi je suis comme vous ! On est pareils ! Et alors là en fait, vous allez me dire que vous aimez les vieilles. Eh ben voilà ! voilà, je suis comme vous, moi aussi j’aime les vieilles ! D’ailleurs quand j’étais gamin, j’avais cette maladie, là… le complexe d’oedipe, ce truc où tu aimes ta mère, les femmes de son âge, tout ça… Mais maintenant que les années ont passé, j’aime carrément les vieilles vieilles, les grand-mères quoi ! D’ailleurs maintenant j’ai le complexe de Grand-mère Donald. Vous pigez ? Le complexe de Grand-mère Donald, ah ah ah. Moi je suis comme vous, on est pareils, moi je suis comme vous… Et là en fait, vous allez me dire que vous êtes homosexuel, gay. Bien. Voilà, moi aussi, moi aussi, je suis comme vous, je suis homosexuel. Parce que bon, Grand-mère Donald, je disais ça comme ça, mais en vérité moi j’ai le complexe de Gus glouton, vous savez le Gus Glouton de Grand-mère Donald, là ! Parce que Gus il est pédé, hein ! Ehhh il est pédé Gus ! comme moi ! comme vous ! On est pareils, moi je suis comme vous ! On est pareils, je suis comme vous… Et là en fait, vous allez me dire que tout ça c’est pas vrai, que vous baratinez, que c’est des conneries, du flan, des bobards, hein, que des mensonges ! Mais... mais, oui ! voilà ! moi aussi j’ai raconté un tas de conneries ! Enfin quoi, vous avez vraiment cru que j’étais tout ça à la fois, tout et son contraire ? Non, non, moi aussi je suis un type super sympa ! j’ai tout inventé ! mensonges, mensonges, que des mensonges ! Moi je suis comme vous. S’il vous plaît, moi je veux être comme vous ! Je dois être comme vous ! Mais, mais pourquoi, pourquoi vous ne voulez pas que je sois comme vous ? Hein ? Allez... allez, dites-moi comment vous êtes, et moi je me fais homologuer, photocopier, polycopier, copie conforme, je suis une copie conforme, moi je veux être comme vous. Vous me dites : “je suis grand”, moi je grandis ; Vous me dites “non ! je suis petit”, moi je me scie les jambes, ça m’est égal de toute façon je ne vais nulle part ; vous me dites “je suis gros”, moi je grossis, je deviens un gros lard, un tas ; vous me dites « non ! Je suis maigre”, je deviens anorexique, tout sec, maigrelet ; vous me dites comment vous êtes, et moi je deviens comme vous, pareil, copie conforme, photocopie, copie conforme.
Vous vous croyez malin, hein ? Vous croyez que vous n’êtes pas comme tout le monde, que vous pensez avec votre tête, de façon indépendante ! Eh bien vous vous trompez ! Enfin regardez... Enfin ! vous les lisez journaux, hein les journaux ? Et... sur les chaînes ? Sur les chaînes ? A la télé ? Est-ce qu’ils ne disent pas tous la même chose ? Tous de la même manière ! Hein ? Regardez-moi... Eh ! écoutez-moi un peu ! Tenez, disons par exemple, je sais pas moi, le Premier ministre, hein, le premier ministre éternue... il a la morve au nez. Et tout le monde ne parle plus que de la morve au nez du Premier ministre, oh ! mais il a peut-être la grippe ! et puis le Pape... le Pape lâche un pet, disons. Et tout le monde parle des pets du Pape, tous de la même manière. Et celui qui dit ou qui écrit autre chose... personne ne l’écoute ! personne ne l’écoute... parce que, vous voyez, celui qui sort du rang disparaît, tout simplement.
Moi je suis comme vous ; je veux être comme vous ! Et vous aussi vous devez être comme moi ! Faites pas le malin ! Et puis, je vous vois bien, moi... vous savez ! Là, maintenant, je suis debout derrière ma fenêtre fermée et je vous vois de l’autre côté de la rue dans votre immeuble, debout, derrière votre fenêtre fermée. Tous les deux avec la même envie d’ouvrir la fenêtre et de se jeter dans le vide. Tous les deux avec la même peur de le faire pour de vrai. Moi je suis comme vous, on est pareil, vous et moi : déprimés, la peur au ventre.