La Revue des Ressources

La guérilla verte 

mercredi 3 novembre 2010, par Michel Tarrier

« Sur un arbre perché », les éco-guerriers sont assez adulés et soutenus par l’opinion publique, surtout ceux de la « branche » non-armée mais arbronaute ! Sans doute pour leur aspect de gentils velléitaires folklos, d’éternels adulescents idéalistes, de doux Jésus acrobates, mais aussi pour illustrer la mouvance la plus réactive et épidermique qui puisse être de la cause écologique. Les illuminés en guerre contre les agencements contre-nature ou les saccages impertinents d’un monde fatalement matérialiste nous touchent, nous ramènent au ras des pâquerettes, seraient-ils les derniers humanoïdes non divorcés du naturel, dont le cordon ombilical avec la terre-mère et le plancher des vaches n’aurait pas été coupé ? Ils symbolisent aussi l’inaccessible rêve éveillé du recours à la forêt, de cet échafaudage romantique et éminemment rebelle de la cabane dans les arbres, du renonçant fuyant le plus loin possible l’insupportable réalité quotidienne, vite rattrapé puisqu’il est désormais interdit de se perdre et de se pendre dans les arbres, bois et forêts correspondant au faux domaine public de l’état ou pire propriété privée d’un privilège foncier. De quoi confondre une frustration profonde du citoyen lambda, apte à vivre, depuis son confortable bunker, son fantasme vitaliste et libertaire par procuration. Ces Tarzan aux commandos pacifiques plaisent aux vieilles dames, n’inquiètent pas trop dans les foyers, les détenteurs de biens forestiers qu’ils menacent n’étant pas légions et dans la plupart des cas communaux ou étatiques. Ce sont des radicaux sympathiques qui vont en prison par amour pour l’arbre, c’est vénérable. Rien à voir avec ces irrationnels animalistes, intégristes qui se mobilisent contre la vivisection et l’élevage industriel, donc contre notre capital santé et l’animal qui finit dans nos plats. C’est ainsi que réagissent les gens et j’avoue trop souvent ne rien comprendre aux raisons qui font qu’on se retrouve glorifié ou lynché. La fin du séjour arboricole ou canopéen des défenseurs des arbres coïncide le plus souvent avec le bruit de la tronçonneuse, ils se laissent tomber de leur nacelle ou cueillir comme des anges chlorophylliens, la fleur aux dents. C’est peut-être cet aspect perdant qui est plus sympathique à vox populi que le comportement underground des insaisissables défenseurs des animaux. S’asseoir sur la branche que vont scier les sbires d’une société sans âme, quel symbole ! Cela relève de Besancenot chez Drucker… ! C’est comme dans un jeu de rôles. Ils font un peu « scier » les méchantes institutions en leur donnant du fil à retordre, mais ils nous donnent bonne conscience et la société magnanime les supporte un moment. Les guerriers verts ont tout pour satisfaire notre délire schizophrénique : râler un peu contre les exploiteurs, les bétonneurs et les agresseurs de notre biosphère, tout en jouissant infiniment du progrès destructeur.

Bien d’autres stratégies sont à l’actif des guérilleros verts, comme d’entraver des constructions anarchiques et trop peu homotypiques, de lutter contre la sylviculture sélective et ses reboisements à base d’essences allochtones ou de résineux. Le sabotage des engins de travaux est un autre symbole quand on sait qu’un bulldozer peut détruire irréversiblement et en quelques minutes ce que la genèse a mis des millions d’années à construire, par exemple pour ce qui concerne la couche de terre arable ou les strates de végétation. Les éco-guerriers crèvent les pneus, tous les pneus y compris des roues de secours, ils sablent les réservoirs ou y déversent des grains de riz, ils sectionnent les tuyaux hydrauliques, détruisent les tableaux de bord, saccagent les serrures... Des tags sont réalisés sur les véhicules afin d’être lus par le public. Quand il s’agit d’actions à l’encontre de coupes d’arbres, ils plantent de gros clous en biais à la base des troncs, au niveau de la saignée servant de tracé d’abattage, ce qui met hors d’usage les tronçonneuses. L’objectif est le plus souvent de gagner du temps et de faire perdre un maximum d’argent aux entreprises mandatées. Déchaînés, ils ont également l’art de s’enchaîner aux engins ou à des grilles, souvent à plusieurs, et le spectacle des policiers coupant à la pince les maillons pour les libérer de force est très prisé par les médias.

Les organismes de gestion forestière, comme l’ONF français, sont tristement connus pour leur propension à exploiter beaucoup et à ne protéger que trop peu. Coupes rases, plantations monospécifiques à grande échelle (une seule espèce sur des centaines d’hectares) et introductions d’espèces étrangères à pousse rapide font que ces administrations à esprit souvent plus militaire et productiviste que naturaliste et respectueuse, sont la proie élective des éco-guerriers. En France, d’innombrables actions, souvent initiées par l’éco-combattant Samuel Baunée, ont notamment eu pour cadre la forêt de Fontainebleau dont la gestion a toujours été très contestée. Comme l’expérience prouve qu’il est vain de porter plainte contre l’introduction d’essences étrangères envahissantes ou de résineux estimés préjudiciables à l’écosystème, les éco-guerriers laissent l’administration procéder au reboisement ou à l’afforestation, puis procèdent ultérieurement à l’arrachage ou au saccage des plants. Les eco-warriors américains d’Earth First introduisent certains champignons parasites, notamment des rouilles redoutables, voire des coléoptères ravageurs comme les scolytes, qui tôt ou tard mettent à mal les résineux. C’est un mode d’action biologique très efficace et qui, compte tenu de sa discrétion, ne craint nullement les risques de poursuites judiciaires. Aucun remord pour la nature n’est de mise lorsqu’il ne s’agit que d’une pinède artificielle ou d’une plantation de jeunes hybrides (clones) à stock génétique simplifié. Il s’agit même de gestes pour le bien public en écartant les risques de pollution par les pollens au détriment des peuplements naturels.

Parmi les dernières manifestations les plus tenaces du genre, ayant eu un sensible écho en Europe, souvenons-nous des 102 jours de siège du parc Paul Mistral de Grenoble pour la sauvegarde de platanes vénérables et d’un orme champêtre séculaire (espèce quasiment éteinte) contre un projet de vulgaire stade de 20 000 places, bataille évidemment perdue et terminée en février 2004 par un assaut musclé des CRS contre les écocitoyens non-violents.

L’un des records de séjour d’occupation fut probablement le tree-sitting des quatre militants californiens restés perchés vingt-et-un mois pour défendre une cinquantaine de chênes séculaires promis à la coupe au profit d’une salle de sport sur le campus de l’université de Berkeley, près de San Francisco. En dépit de la pugnacité des activistes, le projet n’a pas été abandonné, mais une vague négociation pour compenser la perte par d’autres plantations a mis un terme au courageux séjour des arbronautes contestataires, descendus et vindicativement poursuivis en justice.

Les activistes verts s’opposent aussi aux nouveaux tracés d’autoroutes, lorsque ceux-ci sont estimés aller à l’encontre d’une valeur paysagère ou d’un quelconque biopatrimoine, enfreindre des mesures de conservation que les pouvoirs publics ont vite fait de déclasser lorsqu’il y va, comme ils disent, de l’intérêt général. Dès 1970, le Norvégien et écosophe Arne Næss, l’un des fondateurs de la deep ecology, donna le ton de cet activisme concret en s’enchaînant, en compagnie d’autres protestataires, à la falaise des Mardalsfossen, l’une des plus hautes chutes d’eau du monde et qui se jette dans un fjord, dont le site était convoité par un projet de barrage. La manifestation avait bel et bien permis, en son temps, le renoncement au projet. Depuis, une usine hydroélectrique fut néanmoins implantée et la belle cascade est tarie presque toute l’année.

On retrouve des actions de guérillas vertes dans bien des luttes citoyennes : émeutes antinucléaires où les activistes s’enchaînent aux rails de chemins de fer ou entravent l’accès aux ports maritimes pour manifester leur désapprobation au transport des déchets nucléaires vers des cieux inconnus ; action des anti-chasse où les manifestants perturbent des battues ou le déroulement de chasses à courre, démonstrations de faucheurs et de semeurs volontaires s’opposant au dictat des OGM par l’arrachage de plants, mouvements anti-fourrure, antivivisection, anti-gavage, anti-élevage industriel et plus généralement contre toute maltraitance animale. Tout le monde connaît les épopées très spectaculaires de Greenpeace ou autres, notamment celles du type monte-en-l’air pour déployer un calicot sur un bâtiment administratif ou celles très courageuses contre les baleiniers. Avec l’avènement du courant de la décroissance et des économies d’énergie, de nouvelles actions évènementielles dites extrémistes, alors qu’elles sont empreintes de la plus docte sagesse, ont vu le jour contre les gâchis d’énergie, le transport aérien, l’automobile et plus particulièrement les véhicules tout-terrains, en faveur d’une suppression du Grand Prix de France de formule 1, de la démotorisation en général.

Les éteigneurs de néon sont des groupuscules d’esprits « éclairés » et qui ont vite compris qu’un simple clic sur l’interrupteur de sécurité extérieur des enseignes publicitaires permet d’économiser l’énergie et de lutter contre une stupide pollution lumineuse. Sachant qu’à l’instar du papillon de nuit, la clientèle, attirée par tout ce qui brille, est sujette au phototropisme, les gestionnaires de tous les magasins, de toutes les institutions qui ont pignon sur rue, nous aveuglent inutilement et abusent de l’éclairage. Le clan néon, les pêcheurs d’énergie et autres lumineuses appellations dont se parent avec humour ces initiateurs accomplissent dans de nombreuses villes une action non violente, qui n’engendre aucune dégradation mais dont l’intervention non souhaitée par les responsables des lieux peut être interprétée comme autoritaire. Ces éteigneurs, avec leur bonne action, sont aussi les nouveaux « éclaireurs » d’un éco-scoutisme naissant.


Non aux Néons de Nuit
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D’autres mouvances de contre-pouvoir, de contre-culture et d’objection de croissance et de consommation en tous genres se manifestent épisodiquement, essentiellement contre la marchandisation de notre société symbolisée par la grande distribution et les médias vecteurs, mais sans rencontrer l’écho espéré auprès des consommateurs ankylosés, inertes, paralysés par les tics d’un rituel imposé. Il s’agit toujours d’une lutte non violente, fondée sur l’argumentation contre la pub et faisant appel aux valeurs des droits de l’homme, de l’éthique démocratique et d’une alternative qui est celle de la décroissance soutenable. C’est ainsi que les casseurs de pub (subvertising en Grande-Bretagne) organisent dans les métropoles des actions de grèves à la consommation, des journées sans achats, des semaines sans télé, des descentes perturbantes dans les grandes surfaces (abandon en nombre de caddies débordant de denrées surgelées…). Les anti-pubs, comme le collectif des déboulonneurs, s’attaquent à l’envahissement de l’affichage publicitaire dans tous les types de paysages, comme dans le métro parisien.


casseurs 2 pub
envoyé par dr4g. - Court métrage, documentaire et bande annonce.

Le détournement publicitaire, quant à lui, utilise la parodie et la satire afin de dénoncer, de relativiser et d’altérer les messages. Les actions pionnières furent celles du Billboard Liberation Front californien (1977) qui s’exprima plus tard en Australie, des Humains associés français et de leur célèbre campagne de contre-publicité humaniste (1987) et des Adbusters canadiens (1989). Vincent Cheynet et Paul Ariès sont en France les animateurs les plus connus du genre. Une de leurs associations avait lancé un pacte de bon aloi contre Nicolas Hulot pour dénoncer les écotartuffes médiatiques.

Cette critique active de la propagande et de la communication marchande est aussi celle de l’hégémonie des marques, dont chaque porteur est un homme-sandwich X et volontaire.

La publicité est une pollution mentale et la publiphobie est la résistance idoine. On relira Jean Baudrillard : Le Système des objets (1968) et La Société de consommation (1970), ce qui motivera à ne plus rallumer la télé dont un führer anodin avait parfaitement décrit l’objectif : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Ces contradicteurs et ces trublions sont de salutaires fouteurs de merde. Ils ne rencontrent pas, hélas, l’assentiment du plus grand nombre, les gens ne souhaitant qu’une chose : consommer idiot. J’attends, pour ma part, la remontée des Champs-Élysées par une massive manifestation d’antinatalistes, après sit-in devant des maternités et saccage des bureaux des allocations familiales…

Les guerriers verts sont aussi de ceux qui s’attaquent à la McDonaldisation, cet avalage minute opéré dans 32 000 réfectoires récréatifs. Ils agissent souvent avec dérision, comme en 1998 où un commando parisien avait kidnappé les clowns Ronald et Pamela, effigies emblématiques de la marque américaine, avant de les « libérer » devant La Tour d’argent, symbole opposé ; ou quand José Bové et sa Confédération paysanne procédèrent en août 1999 au « démontage » du McDo de Rodez, bénéficiant d’un relai médiatique d’une ampleur exceptionnelle.

D’inspiration anglo-saxonne, les éco-guerriers français ne représentent pas une réelle force vive, encore qu’il ne soit pas aisé d’en inventorier l’effectif. Ils ne sont généralement pas fédérés en associations et leur organisation relève plutôt de l’underground, d’autonomes, de groupuscules, et ce, pour des raisons évidentes de stratégie. On ne les connaît que par leurs coups d’éclats très porteurs, sortes d’émeutes improvisées ou d’happenings. La plupart sont des activistes s’investissant de façon spontanée et souvent ponctuelle. Si l’écologisme est une contre-culture, un contre-pouvoir, les éco-guerriers en sont le bras « pacifiquement » armé. Leur manque d’impact sur les décisions économiques et politiques permet de diagnostiquer une perte de conscience de notre société, une véritable amnésie de la morale citoyenne. Ces gens se battent au nom du principe de précaution, de la santé publique, du respect des autres espèces, pour la défense des paysages et du biopatrimoine, contre la dette extérieure des pays pauvres parce que dépossédés, contre les pollutions, la marchandisation du monde, pour que la vie soit vivable pour nos enfants. Mais leurs manifestations ne rassemblent pas l’équivalent d’un quart de stade lors d’une rencontre d’un match dont l’incidence dans le plus court futur sera égale à zéro. On ne peut que regretter de voir porter au pinacle les choses de la moindre importance ou même préjudiciables et dédaigner celles qui se réfèrent aux combats majeurs les plus légitimes. Chaque visite d’un pape en terre laïque est là pour nous le rappeler.

The tripod : Three logs lashed together are a symbol for unity.
Colours :
Red, yellow and black are in recognition of indigenous cultures worldwide.
Green represents nature and the environmental movement.
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